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    Bandersnatch, le vrai jeu vidéo que vous ne verrez jamais
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    L'épisode Black Mirror : Bandersnatch serait lointainement inspiré d'un vrai jeu développé à partir de 1984 par un petit studio basé à Liverpool. Teasé à grands renforts de publicités aux messages de plus en plus étranges, il fut finalement annulé.

    Vous avez probablement fait partie de ceux et celles qui ont regardé le désormais fameux épisode interactif Black Mirror : Bandersnatch, diffusé sur Netflix le 28 décembre dernier. L'histoire de Stefan Butler (Fionn Whitehead), un jeune programmeur développant un jeu pour l'ordinateur ZX Spectrum basé sur un roman fantastique. Ce que vous ignorez très certainement, c'est que Bandersnatch est en fait basé -de manière lointaine quand même- sur un jeu qui devait également sortir sur ZX Spectrum et qui fut développé à partir de 1984, mais dont le développement n'est jamais parvenu à son terme.

    C'est à l'auteur Chris Scullion que l'on doit le récit de cette histoire, dans un billet posté sur le site Tired Old Hack, et intitulé Bandersnatch: the game that killed a company and inspired a Black Mirror episode. Le jeu fut pensé et conçu par une équipe de trois amis au sein de leur petit studio de développement, Imagine Software. Le trio, Mark Butler (tiens tiens, le même nom de famille que le personnage de l'épisode Black Mirror !), David Lawson, et Eugene Evans, s'était déjà fait une petite réputation avec le succès de jeux précédemment sortis, dont Arcadia, Zzoom et Alchemist.

    Début 1984, ils commencèrent à placer des publicités teasing de leur deux prochains jeux dans des magazines spécialisés, comme CVG, Crash, et Sinclair User. L'un des deux jeux, Psyclapse, devait sortir sur Commodore 64. Le second jeu, Bandersnatch, devait sortir sur ZX Spectrum.

    La toute première publicité d'Imagine Software, diffusée dans la Presse en février 1984, expliquait comment un quatuor des "meilleurs créateurs - scénaristes de jeux vidéo" débauchés pour l'occasion, à savoir Ian Weatherburn, Mike Glover, John Gibson et Eugene Evans, allait s'y prendre pour créer ce jeu.

    Ci-dessous, la publicité en question. Le personnage le plus à droite, Eugene Evans, dont on rapportait qu'il avait engrangé la somme de 35000 £ de royalties dans la création de jeux vidéo et qui possédait une voiture de sport, est l'inspiration directe du personnage Colin Ritman dans Black Mirror : Bandersnatch, incarné par Will Poulter.

    Scullion décrit ainsi comment, au fil du temps, la série de publicités entourant la création des jeux à venir est devenue de plus en plus étrange. "La tension commence à être palpable" pouvait-on lire sur l'une d'entre elles; "Leurs visages jadis souriants sont désormais tirés et exténués, leurs yeux injectés de sang, Psyclapse et Bandersnatch commencent à laisser des séquelles"...

    Si le studio Imagine Software s'évertue à susciter la Hype chez les futurs joueurs, pas une seule image du jeu ne sera pourtant montrée... Au point que, même encore à l'heure actuelle, on ignorent encore en quoi consistait le jeu... En fait, tout au plus sait-on depuis 2015, date à laquelle des éléments conceptuels ont été vendus aux enchères sur Ebay, que celui-ci devait être un jeu d'aventures se déroulant dans une ville futuristique avec des bâtiments en forme de dôme, où les joueurs contrôlaient un personnage du nom de Vell, un jeune retraité de la Police intergalactique. Son mécanisme central de Gameplay, révolutionnaire pour l'époque, devait permettre aux joueurs d'interagir avec les habitants de la ville, via un système de dialogues dans des bulles, tandis que les pensées du personnage principal devaient également apparaître sous cette forme. Les joueurs avaient alors la possibilité d'interagir avec elles en pressant la touche Fire de leur joystick. Toute proportion gardée, ce jeu anticipait de 30 ans ce que le Game Designer français David Cage fera avec son jeu Heavy Rain.

    De bien belles idées... Sur le papier. Car Psyclapse et Bandersnatch furent pensés comme des Mega Games, c'est à dire des jeux dont les ambitions étaient dès le départ bridées par les limites technologiques de l'époque. En fait, Bandersnatch était prévu pour accompagner le modèle d'ordinateur supérieur et à venir de la marque ZX Spectrum, avec plus de mémoire vive. Ce souci -et pas des moindres- n'était qu'un parmi d'autres. Le plus important étant le problème lié au nerf de la guerre.

    Très vite, avant même que le concept du jeu se développe, Imagine Software rencontre de gros soucis d'argent. Fin 1983, quelques mois avant la première publicité des jeux, une agence de publicité, Studio Sting, fut placée en liquidation judiciaire, affirmant avoir été plombée par Imagine Software, qui n'avait pas payé sa facture, astronomique, de 50.000 £... L'ardoise d'Imagine n'a cessé de grimper, alors que la campagne de publicité autour des jeux commencait. Publicités qui n'ont, toutes sans exception, jamais été payées par Imagine... Un procès a même eu lieu entre Imagine et le magazine Personal Computer Games pour factures impayées. Procès qui a eu lieu le 9 juillet 1984. Tiens tiens, exactement la date à laquelle l'épisode Black Mirror Bandersnatch commence ! Quoi qu'il en soit, l'issue fut logiquement fatale pour la société Imagine, et le développement du jeu Bandersnatch. Du moins, jusqu'à ce que les anciens fondateurs et quelques salariés de la société Imagine ne remontent une autre structure... Pour tenter de terminer le jeu !

    Le storytelling autour de cette création, accompagné de copies de documents d'époque comme ce que devait être le scénario du jeu, est lisible sur le billet de Chris Scullion. On vous encourage donc vivement à le lire.

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