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    Thanksgiving sur Arte : "C'est Scènes de la vie conjugale revu et corrigé par John Le Carré" [INTERVIEW]

    Arte diffuse ce soir "Thanksgiving", mini-série en 3 épisodes qui explore les problèmes d'un couple sur fond d'espionnage industriel. Nous avions rencontré le réalisateur Nicolas Saada et sa co-scénariste Anne-Louise Trividic à Séries Mania en 2018.

    Thibault Grabherr

    AlloCiné : Nicolas, vous avez notamment réalisé le film Espion(s), sorti au cinéma en 2009. Malgré un traitement de l'espionnage très différent ici, vous aviez l'envie de revenir vers ce genre ? C'est ce qui a motivé l'écriture et la réalisation de Thanksgiving ?

    Nicolas Saada (réalisateur et scénariste) : La série est née du désir de Claude Chelli [le producteur, ndlr] de travailler avec moi. Il était grand fan d'Espion(s) et il voulait me proposer de travailler sur un projet de télévision. J'ai dit "Ok, pourquoi pas. L'espionnage, trés bien, mais peut-être en l'abordant de manière différente". Et je suis rapidement arrivé à la conclusion que je ne pourrais pas écrire ça tout seul. J'ai d'ailleurs tout de suite pensé à Anne-Lise et j'ai dit à Claude : "Je ne ferai pas Thanksgiving si Anne-Lise n'en est pas la co-scénariste".

    Anne-Louise Trividic (scénariste) : C'est vrai. Un jour Nicolas m'a appelé et pour plusieurs raisons je ne pouvais pas envisager de travailler sur ce projet avec lui. Mais il est revenu à la charge trois mois plus tard et j'ai fini par céder (rires).

    Les films ou les séries qui traitent de l'espionnage industriel sont assez rares. Qu'est-ce qui vous a plu dans cet univers ?

    Nicolas Saada : Pour moi, dans l'espionnage, il y a une adéquation totale entre l'économie et l'esthétique. C'est le seul genre qui permet à quelque chose d'ordinaire de basculer dans l'extraordinaire, avec un décalage infime. C'est un regard de travers, un mouvement, une information, un mot, une rencontre... C'est pour ça que par rapport aux moyens que j'avais avec Arte, 600 000 euros par épisode, donc une économie quand même extrêmement contraignante, je me disais que le seul moyen de pouvoir déployer tout le temps des choses nouvelles dans une narration télévisuelle c'était de prendre ce genre-là. Je savais que je n'aurais jamais à me dire "Oh la la, le camion je ne vais pas l'avoir", ou "Oh la la, la poursuite sur le périphérique il faudra la faire en vélib parce que ça ne va pas être possible avec des motos".

    Anne-Louise Trividic : Et l'espionnage industriel permet d'entrer dans différentes socio-cultures. Sinon on est toujours dans les mêmes sphères ou les mêmes thèmes. Là c'est vous, moi, tout le monde, le type d'à côté.

    Pour vous, est-ce que Thanksgiving est davantage une série d'espionnage ou plutôt l'histoire d'un couple vue à travers ce prisme ?

    Nicolas Saada : Pour moi c'est les deux. Quand je la pitchais en écriture, je disais "C'est Scènes de la vie conjugale revu et corrigé par John Le Carré". J'adorais cette idée-là. On avait revu Scènes de la vie conjugale chacun de notre côté et un soir j'avais appelé Anne-Lise en lui disant "Mais pourquoi ça fait aussi peur ?". C'est terrifiant et il n'y a aucune raison, car il ne s'agit pas de monstre dans le placard ou de loup-garou dans le jardin. Et j'avais envie qu'on justifie ce côté terrifiant et qu'on exploite cette espèce de malaise. Rationaliser l'irrationnel. Bergman est un génie, et je ne suis qu'un petit fabriquant de films, mais j'avais besoin de cette dose d'espionnage pour faire habiter cette puissance du malaise dans le couple.

    Anne-Louise Trividic : Ce qui nous a vraiment intéressé dans cette conception c'était de jouer à chaque fois sur ce qui fait le plus peur : les menaces que subit un tel dans son métier ou ce qui est en train de se jouer entre eux deux ? Ça navigue tout le temps au final.

    Thibault Grabherr

    En terme d'écriture, le format d'Arte de 3x52 minutes est assez spécial. C'est compliqué d'écrire quelque chose qui est un peu à mi-chemin entre la mini-série et le très long film ?

    Anne-Louise Trividic : Ce sont des contraintes qui étaient nouvelles pour Nicolas et moi mais je crois que nous nous sommes tous les deux délectés de ces nouveaux cadres. Ça nous a appris à trancher dans le vif et à chercher dans des coins où nous n'allions pas forcément avant. J'ai trouvé ce format très stimulant.

    Nicolas Saada : Je suis totalement d'accord. Nous avions quand même des demandes de la chaîne qui souhaitait qu'il y ait des cliffhangers à la fin de l'épisode 1 et à la fin de l'épisode 2. On s'est donc gratté la tête pour qu'il y en ait. Et puis il fallait qu'on aille plus vite dans certains mouvements aussi. Je pense que j'aurais été plus complaisant, que je me serais plus laissé aller, dans un format cinéma, avec des temps plus longs, des respirations, des flottements interminables. Dans Espion(s), par exemple, il y a une scène que j'adore qui dure près de 3 minutes et dans laquelle Guillaume Canet est seul dans sa chambre d'hôtel à Londres. Il commande à manger, il boit, il regarde la télé. Il n'y a pas beaucoup d'espace pour des choses comme ça dans une série télé. Il faut toujours qu'il y ait un petit enjeu à chaque fois.

    La série est magnifiquement portée par Grégoire Colin et Evelyne Brochu. Ce sont deux comédiens que vous aviez en tête dès le départ ?

    Nicolas Saada : Le casting a été très long. Nous n'avons pas écrit pour des acteurs en particulier et nous avons donc longtemps cherché ce couple. Nous savions qu'il nous fallait deux couleurs, deux humeurs. Que le personnage masculin serait très féminin et que le personnage féminin aurait ce quelque chose de costaud, de vaillant. Et donc Grégoire Colin a fait partie d'une short-list d'acteurs que nous avons regardés et écoutés, et tout de suite il a retenu notre attention. Et Claude Chelli n'a cessé de me surprendre tout au long de la fabrication de la série car il a choisi le comédien le moins connu de tous ceux que nous avions sous la main. Il est toujours allé dans le sens du projet. C'était un plaisir de tous les instants de travailler avec Claude.

    Et de même pour l'actrice, nous avons longtemps hésité, et finalement à un moment donné nous avons recontré Evelyne Brochu et elle s'est rapidement imposée. Parce qu'elle est bilingue et parce qu'elle avait fait beaucoup de séries. On s'est d'ailleurs rendu compte durant la fabrication qu'elle avait un vrai fan club grâce à Orphan Black et qu'elle avait une vraie notoriété dans le domaine des séries. Je trouvais ça chouette d'avoir une figure clé d'une série anglo-saxone pour jouer l'héroïne de ma première série. J'aimais l'idée d'avoir Evelyne d'un côté et de l'autre l'acteur inquiet des films de Claire Denis. La série permet ces mélanges, c'est formidable.

    Cette première expérience sérielle vous a donné envie de refaire une série bientôt ?

    Anne-Louise Trividic : Moi absolument, oui. Mais si possible avec le même producteur (rires).

    Nicolas Saada : J'allais le dire. Refaire une série, oui, mais avec le même producteur et la même scénariste (rires).

    Peut-être sur un format plus long cette fois ci, avec davantage d'épisodes ?

    Anne-Louise Trividic : Pourquoi pas, il faut voir. En tout cas ça ne me fait pas peur, j'aurais envie de m'y attaquer.

    La bande-annonce de Thanksgiving, dont les 3 épisodes sont diffusés ce jeudi 28 février à 20h55 sur Arte :

     

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