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    Alejandro González Iñárritu : "Nous laissons le cinéma mourir et devenir un parc à franchises"
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Le réalisateur Alejandro González Iñárritu s'est exprimé sur l'avenir du cinéma dans les salles et la lutte entre les exploitants et les plateformes de streaming.

    JACOVIDES-MOREAU / BESTIMAGE

    Actuel président du jury du 72ème Festival de Cannes, Alejandro González Iñárritu (Birdman, The Revenant) s'est exprimé davantage sur ses positions quant à l'exploitation actuelle des films en salles (notamment aux Etats-Unis), la disparition des "films du milieu" et la façon dont il envisage une cohabitation avec les plateformes de streaming.

    Interrogé par le New York Times, le cinéaste mexicain a commencé par évoquer l'évolution de l'industrie actuelle : "Peu sont les studios qui font des films de budget moyen, intéressant, multiculturels, donc les distributeurs ne s'occupent plus de ces films. Les exploitants ne les montrent plus qui leur rendent, allez, 3% de l'argent que leur rapporte les énormes franchises cinématographiques. (...) Lorsque j'ai commencé, il y avait de petites firmes qui achetaient et vendaient les films internationaux de budget moyen : Paramount Vantage par exemple. Mais ça n'existe plus". Ce n'est pas la récente absorption de Fox Searchlight (la branche "cinéma indépendant" de la 21st Century Fox) par Disney qui lui fera dire le contraire.

    Il constate ensuite les difficultés de la nouvelle génération à se faire une place dans l'industrie cinématographique : "Si j'avais été dans la situation actuelle il y a 20 ans, je n'aurais jamais fait ni 21 grammes, ni Babel, ni Biutiful. Jamais ! (...) Je suis privilégié dans le sens où j'ai la possibilité de faire The Revenant, mais combien de jeunes cinéastes n'ont pas accès à ces budgets et à ces films ? Ils doivent se tourner vers la télévision".

    Tempesta 2018

    Mais le réalisateur n'est pas passéiste. Il est ainsi conscient que la façon de consommer le cinéma a évoluée :

    Parfois, j'aime regarder un film sur mon ordinateur avec mes écouteurs, mais je sais que je regarde un film, mais que je ne le "vis" pas. (...) Nous nous isolons. Et la discussion n'est pas juste sur le cinéma ou la vision romantique que l'on s'en fait, c'est un sujet bien plus vaste.

    L'accessibilité nouvelle des films est aussi l'un des points forts de la cinéphilie moderne, comme le souligne Iñárritu, avant de noter que Netflix est autant un apport qu'un danger : "C'est formidable lorsqu'un film passe à la télé quelque part dans le monde. Je n'aurais jamais pu voir [Heureux comme Lazzaro] d'Alice Rohrwacher s'il n'avait pas été sur Netflix, donc merci Netflix ! Mais j'aurais adoré pouvoir le voir [aux cinémas de Los Angeles] et c'est ce qui m'énerve, que nous laissions mourir ça. Qu'on me comprenne bien : je soutiens Netflix à 100% mais il faut dire que les distributeurs comme les exploitants sont responsables : nous laissons ce média mourir et devenir un parc à franchises. Et si les studios, distributeurs et exploitants ne trouvent pas le moyen d'avancer, Netflix va les dévorer vivants".

    Et lorsque le journaliste lui demande s'il a des solutions à apporter, il répond sans détour : "J'ai toujours essayé de trouver un point de jonction où les exploitants pourraient apporter les films dans les cinémas sans perdre d'argent et Netflix faire des événements autour de certains de leurs films pour qu'un mois et demi après, ils passent à la télé". Et d'ajouter :

    Donnez-moi le choix. Je veux juste avoir le choix.

    Et de louer la situation en France concernant les films présentés au Festival de Cannes : "80% des films cannois seront accessibles à tous dans les cinémas très bientôt car ils ont des lois pour protéger cela. Je sais que c'est impossible aux Etats-Unis, mais n'y a-t-il personne qui puisse inventer quelque chose ? Netflix ne pourrait pas racheter [un parc de salles] pour passer simultanément leurs films au cinéma et à la télé ? Imaginez la société que Netflix pourrait créer".

    Une note d'espoir qui sera peut-être entendue dans une période où partisans de la chronologie des médias et pro-streaming se livrent à une lutte sans merci, les premiers pour garder un statut quo qui les protègent, l'autre pour faire adapter les lois actuellement en vigueur au nouveau mode de consommation initié par Netflix.

    Iñárritu sur le tapis rouge cannois avec son jury :

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