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    Black Mirror par ses fans : "Après 75% des épisodes, j’ai l’impression de remettre ma vie en question"

    AlloCiné a rencontré des fans de la série Black Mirror afin de les interroger sur l’impact qu’a eu la série sur leur vie. Le show leur a fait prendre conscience de certaines dérives et les a fait agir sur leur utilisation des nouvelles technologies.

    Netflix

    Le phénomène Black Mirror

    En 2011, la chaîne britannique Channel 4 lançait une anthologie en trois épisodes de 45 minutes qui allait devenir un énorme carton mondial. Créée par Charlie Brooker, journaliste connu pour ses articles et émissions satiriques, la série Black Mirror nous raconte à travers des histoires insolites nos addictions aux écrans noirs (ordinateurs, téléphone portable, tablettes) en poussant le curseur à l’extrême. Résultat, des épisodes qui  nous projettent dans un futur dystopique où la technologie a pris une place prédominante. Après 8 ans à chroniquer cette dépendance, la série est toujours autant plébiscitée par les fans et les critiques. Il faut dire qu’en cinq saisons, Black Mirror a souvent tapé juste. En témoigne la campagne d’affichage que Netflix a réalisé pour la dernière saison, disponible depuis le 5 juin sur sa plateforme : il s’agit de véritables titres de journaux tantôt insolites tantôt alarmistes sur la manière dont nous consommons les technologies, ainsi que les menaces. Que ce soit la reconnaissance faciale sur la voie publique ou le cas des Chinois qui seront privés de transports publics s’ils ont une mauvaise note sociale, chacune de ces coupures de presse renvoie à un épisode de la série. Si Black Mirror pointe du doigt ses dérives, nous éduque-t-elle vraiment ? AlloCiné a interrogé des fans de l’anthologie qui nous ont expliqué quels rapports ils entretiennent avec elle et si elle leur a fait prendre conscience de certaines choses.

    Les points forts de la série

    La plupart des personnes que nous avons interrogées s’accordent sur une chose : le gros point fort de Black Mirror est sa narration en histoires indépendantes. Chaque épisode s’inscrit dans une nouvelle temporalité, avec des traitements différents. Certains semblent prendre place dans un univers futuriste lointain comme "15 millions de mérites" (saison 1, épisode 2) qui dépeint un monde dans lequel les humains sont obnubilés par les écrans et doivent pédaler sur des vélos d’appartement électriques pour gagner de l’argent afin de changer d’émission, passer les publicités, ou acheter des objets pour leur avatar virtuel. D’autres s’inscrivent davantage dans un futur proche, comme les nouveaux épisodes de la saison 5. Dans les deux cas, le visionnage est tout aussi intense : soit Black Mirror va loin dans le temps et montre des choses très déroutantes sur les dérives extrêmes des technologies, soit elle prend place dans un monde proche et perturbe d’autant plus par son réalisme. Pour Maxime, journaliste, la série "a un fil conducteur commun, celui de la technologie et de l’usage que nous en faisons, une certaine idée de la dystopie également, mais chaque épisode nous propose une approche différente de la question." Othman, un étudiant-chercheur qui écrit une thèse sur les nanotechnologies, apprécie le fait que "les épisodes ne se suivent pas, qu’on nous raconte différentes histoires qui ne semblent pas appartenir à la même réalité. Chaque épisode s'affranchit des règles imposées par le précédent, ce qui permet à la série d'accentuer un aspect différent de notre réalité à chaque épisode."

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    Au-delà du travail de réalisation, Black Mirror se démarque grâce à une narration puissante qui interpelle chaque spectateur. Au début des épisodes, Othman est toujours un peu perdu : "Je sens que l'univers de l'épisode est identique au mien avec une toute petite différence qui me dérange beaucoup sans forcément mettre le doigt dessus dès le début, comme si on avait juste changé la couleur d'un élément dans une pièce de ma maison !" Une fois l’épisode terminé, il a souvent besoin d’en parler avec d’autres personnes ou même d’échanger avec des fans sur les réseaux sociaux afin d’approfondir ce qu’il vient de voir. Cette intensité dans le récit, certains la ressentent de manière différente. De nombreux passages poussent les spectateurs à s’identifier aux protagonistes et à se demander ce qu’ils auraient fait à leur place. L’épisode 1 de la saison 2 "Bientôt de retour" en est le parfait exemple : il relate l’histoire d’une veuve qui fait appel à une application pour recréer la présence virtuelle de son petit ami décédé. Au départ, la jeune femme reçoit de simples messages, mais elle ne tarde pas à acheter un service qui reproduit le corps entier et les gestuelles de son mari dans un robot. Très perturbant, cet épisode interroge directement les spectateurs sur la manière dont ils auraient géré ce terrible deuil. Pour John, community manager, ce questionnement personnel est au coeur de chaque épisode : “Après 75% des épisodes de Black Mirror j’ai l’impression de remettre ma vie en question en me disant et si cela arrivait vraiment ? Si ça m’était vraiment arrivé ? [...] Il faut peut-être que j’arrête de me projeter autant parce que j’ai pas envie de finir comme certains personnages de la série (rires)”.Tous les témoins sont tenus en haleine par cette série phénomène et déclarent s’être identifiés au moins une fois à l’un des personnages de Black Mirror, preuve ultime de la puissance narrative du show.

    Les conséquences sur notre vie 

    Même si elle nous montre un futur possible, Black Mirror n’est pas vraiment là pour nous éduquer. Elle n’est qu’un outil, un moyen d'appréhender notre monde. Parfois, elle crée du malaise, comme l’a très bien fait le premier épisode de la série, "L’Hymne national" dans lequel le Premier Ministre accepte d’avoir une relation sexuelle avec une truie en direct à la télévision. Et elle devient alarmiste seulement lorsqu’elle est prophétique. En témoigne cet article au titre choc publié par Les Echos en mars 2018 : "l’intelligence artificielle commence à faire parler les morts". Un sujet que Black Mirror avait déjà abordé quelques années plus dans "Bientôt de retour" (saison 2, épisode 1). Certes, certaines histoires sont assez fortes pour nous faire prendre du recul sur notre utilisation des écrans noirs. Combien de personnes ont caché la caméra de leur ordinateur après avoir vu l’épisode "Tais-toi et danse" de la saison 3 sortie en 2015 ?  John nous révèle aussi n’avoir pas pu lancer Instagram après avoir vu l’épisode "Chute Libre" (saison 3 épisode 1). Constance, réalisatrice du documentaire "Androïdes, de la réalité à la fiction" va même plus loin : "J'arrête de mettre des notes sur Google ou autre. Pas nécessairement parce que j'ai peur de l'impact de cette technologie mais plutôt parce que l'épisode "Chute Libre" m'a fait prendre conscience de la vanité de cet acte. Qui suis-je finalement pour noter des inconnus ?"

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    Mais parmi la dizaine de personnes que nous avons interrogées, aucune d’entre elles n’attend de recevoir une leçon de morale de la série, qui mènerait ensuite à une véritable prise d’action.  Maxime nous explique pourquoi : "Bien que Black Mirror donne matière à réfléchir, je ne suis pas sûr qu’on puisse recevoir de « leçon de morale » d’un programme télévisuel qui critique une société où tout va trop vite et où des dérives liées aux usages de la technologie… tout en étant absolument ancré dans cette société et ces dérives. C’est un média intéressant pour lancer des réflexions, mais si l’on veut vraiment se remettre en question, il faut se faire soi-même un avis et pousser l’introspection un peu plus loin." Il est vrai que Black Mirror permet d’ouvrir des débats - c’est d’ailleurs pourquoi presque chaque épisode de la série est ouvert à interprétation - permettant à chacun d’agir en son âme et conscience comme le préconise Otto Bathurst, réalisateur du premier épisode qui déclare dans le livre "Black Mirror [Inside]" : "Nous nous plaignons de ne pouvoir agir sur rien, mais c’est faux ; nous n’avons jamais eu autant de pouvoir. Pour la première fois, nous avons justement la capacité et l’occasion de provoquer le changement. [...] Nous avons une immense responsabilité et nous ne l’assumons pas."

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