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    Maîtresse d’un homme marié : pourquoi cette série sénégalaise est devenue un phénomène dans son pays

    Feuilleton à succès diffusé deux soirs par semaine sur la seconde chaîne locale (2STV), Maîtresse d’un homme marié provoque scission au sein d’un pays partagé entre ouverture et traditions.

    Marodi TV/2STV

    Vendredi 31 mai 2019, le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (l’équivalent au Sénégal de notre CSA), saisi par l’ONG islamique Jamra, met en demeure la seconde chaîne nationale 2STV « de veiller à ce que les propos, comportements et images jugés indécents, obscènes ou injurieux ainsi que les scènes de grande violence ou susceptibles de nuire à la préservation des identités culturelles ne soient plus diffusés ». Le motif ? La série Maîtresse d’un homme marié.

    Diffusée depuis le 25 janvier deux soirs par semaine (le lundi et le vendredi) ce soap est devenu un véritable phénomène. Elle est suivie par des millions de téléspectateurs et d’internautes (elle est disponible sur Youtube) au point d’attiser quelques tensions socio-culturelles. Parce qu’elle met en scènes des femmes différentes, plurielles et qui détonnent dans un paysage général plutôt religieux et conservateur. Il n’y a pas que la Maîtresse du titre qui provoque l'ire de Jamra mais toutes les héroïnes d’une série qui affiche clairement ses intentions de placer les femmes dans une dynamique moderne.

    Entre Plus Belle La Vie et Big Little Lies

    Il y a donc Marème, maîtresse de Cheikh et Lalla, sa femme ; Racky employée dans le secteur du bâtiment qui fut victime d’abus sexuels dans son enfance ; Dialika, épanouie professionnellement mais devant subir les coups d’un mari alcoolique et pervers narcissique. Chacune incarne à des degrés différents les violences faites aux femmes. On pourrait alors résumer la série comme un mix entre Plus Belle La Vie pour le côté soap sociétal de proximité et Big Little Lies pour le côté plus programmatique des pressions brutales qui frappent les femmes dans leur quotidien.

    Marème représente cette part de nous, audacieuse, que nous préférons cacher (Kalista Sy)

    Adultère, polygamie, dépression, sexualité,... le contenu de la série a ainsi provoqué de vives réactions dès la diffusion de son premier épisode. Mame Mactar Gueye, vice président de l’ONG islamique Jamra qualifie la série d’être non-conforme aux réalités socio-éducatives du pays et qu’elle accumule : « pornographie verbale, dérives langagières, obscénité, promotion de l’adultère et apologie de la fornication ». Tout un programme ! De son côté, la scénariste Kalista Sy se défend dans Le Monde de vouloir choquer : « Marème est la seule de la série qui pose problème, parce qu’elle est entière, non conventionnelle et représente cette part de nous, audacieuse, que nous préférons cacher. Elle a été créée pour le débat et ça marche. [...] Le but n’est pas de dénoncer, mais de faire prendre conscience » elle poursuit affirmant vouloir « valoriser la femme, trop souvent construite autour de son mari ».

    Le soap comme éveilleur de consciences

    Finalement, la série montre une certaine réalité que beaucoup ne veulent pas accepter, comme une façon de se voir dans un miroir et ne pas reconnaître son reflet. Car au Sénégal comme dans beaucoup de pays, des hommes mariés ont des relations avec d’autres femmes. La série formule ainsi des faits afin de montrer aux Sénégalais·e·s une fiction qui leur ressemble et dans laquelle ils peuvent se retrouver. Car si certains voudraient que la télévision respecte une vision ancestrale et peut-être un peu dépassée, la société elle, semble bouger plus vite que la morale. Et on reconnaît les armes naturels du soap comme éveilleur/objecteur de conscience en proposant un spectacle de proximité qui parle au plus grand nombre. Dans un pays qui dévore les télénovelas (qui regorgent pourtant de sexe, de meurtres,...), le succès n’est pas si surprenant.

    Enfin si l’on peut mesurer le pouvoir de résonance d’une oeuvre aux polémiques qu’elle soulève, alors Maîtresse d’un homme marié est particulièrement puissante. Si l’ONG Jamra ne tait pas son mécontentement, d’autres organismes se sont également insurgées, notamment la Listab (Ligue Sénégalaise de Lutte contre le Tabac) qui considère que la série viole la loi antitabac et l’accuse d’annihiler « tous les efforts déployés pour lutter contre le tabac en préservant la jeunesse d’une telle calamité ». En cause l’épisode 11, diffusé le 4 mars, où une actrice... fume de la chicha !

    Maîtresse d’un homme marié montre combien la fiction peut aider à faire évoluer les mentalités, à offrir une vision de la société plus fidèle afin d’aider des personnes à s’y retrouver, à mettre des mots et des images sur des situations précises, à les accompagner dans des moments difficiles en leur offrant d’autres perspectives. Et c’est d’autant plus la force des soap que de créer ce lien où l’on s’attache à tel ou tel personnage et où des opinions s’y révèlent et se construisent. Une « simple » série divise un pays parce que ce qu’on y montre est plus juste et varié que d’autres oeuvres plus formatées et consensuelles.

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