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    Les Chroniques de San Francisco sur Netflix vues par l’écrivain militant Didier Lestrade

    Grand fan des livres et des premières saisons des Chroniques de San Francisco, le journaliste Didier Lestrade nous livre son regard sur la nouvelle mini-série sortie sur Netflix le 7 juin dernier, et comment elle s'inscrit dans notre époque.

    [ATTENTION SPOILERS] L'interview qui suit dévoile quelques aspects de l'intrigue de la mini-série Les Chroniques de San Francisco. Si vous ne l'avez pas encore vue, poursuivez votre lecture à vos risques et périls.

    Didier Lestrade est le fondateur d'Act Up-Paris, il est également journaliste et écrivain. Il a notamment publié "Act Up, une histoire" .

    AlloCiné : Que vous évoquent les livres et les saisons précédentes des Chroniques de San Francisco, diffusées entre 1993 et 2001 ?

    Didier Lestrade : Ça fait longtemps que cette série n'a pas été renouvelée donc c'est bien pour les gens qui ont connu l'avant, ça rappelle l'impact que ça a eu. Ce n'est pas tant la série télé qui l'a fait connaître. Armistead Maupin a eu un tel succès international avec ses livres !

    Dans mon souvenir, c'était très heureux, encore plus solaire que la nouvelle saison. Ça se passait dans les années 70, avec une reconstitution vraiment parfaite, les fringues, les bagnoles, tout ce qui était dans la rue, c'était vraiment bien fait. Je me rappelle aussi les scènes de club, qui souvent ne sont pas très bien faites dans les séries. Moi, ça me donnait la chair de poule, quand les personnages faisaient du rollerskate, quand il y avait des scènes de danse, c'était plus qu'émouvant, c'était vraiment excitant.

    Ça aurait été vraiment génial que Netflix ait les droits sur les saisons précédentes, parce que je ne sais pas si les jeunes vont vouloir retourner en arrière avec la façon de regarder les séries maintenant. Si ça leur plait vraiment, il faut les encourager à regarder les saisons précédentes. Elles sont intouchables et encore plus feelgood.

    AC : Qu'apporte cette nouvelle saison  ?

    DL : La nouvelle saison aborde tous les questionnements qui sont arrivés depuis 20 ans sur l'identité. On voit beaucoup plus de lesbiennes, beaucoup plus de trans, même si Anna Madrigal (Olympia Dukakis) a toujours été un personnage trans. Le San Francisco d'aujourd'hui est bien décrit, avec toute cette minorité vraiment très active dans l'underground, dans le questionnement, dans la politique... Il y a beaucoup de scènes de sexe entre garçons, notamment entre Mouse et son copain, mais on peut dire que les femmes et les transgenres sont vraiment mis au premier plan. Politiquement, c'est bien, parce que ça rend la série plus moderne et plus actuelle sur les questionnements d'aujourd'hui.

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    C'est toujours un peu à la limite du "cheesy". Mais Barbary Lane a toujours été presque un décor de théâtre : tout est faux dans cet endroit, les plantes, le jardin… Il n'y a pas un endroit qui soit naturel, même la boutique du fleuriste, moi qui m'y connais, j'ai l'impression que ce sont des fausses fleurs !

    AC : Cette vision idéalisée ne vous gêne pas ?

    DL : Ce côté "cheesy", c'est ce que je reproche à Pose. Pose est encensé par les personnes transgenre, mais je trouve ça nunuche par moments. Même les discussions de Mouse avec son mec, je les trouve un peu cucul la praline. Mais ça a toujours été comme ça : il y a un côté optimiste, un peu simplet, qui est contrebalancé par le côté dark de Maupin, comme dans son livre "Maybe The Moon". Il est attiré par le passé sombre des gens, les contradictions par rapport à leur engagement ou ce qu'ils font réellement dans la vie. C'est ce qui se passe avec la trame policière autour d'Anna Madrigal, qui doit vendre Barbary Lane parce que quelqu'un la fait chanter. On se pose des questions sur son intégrité, alors qu'elle est supposée être exemplaire, une icône.

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    AC : Comment jugez-vous cette intrigue policière autour d'Anna Madrigal ?

    DL : Il y a toujours eu une intrigue policière dans tous les livres, plutôt en marge, mais c'est la signature d'Armistead Maupin. Il ne fait pas que raconter des chroniques, il y a toujours une histoire avec un meurtre ou un mystère qui donne un côté Agathe Christie au récit. C'est son style et c'est bien d'avoir repris ce principe dans la nouvelle saison, il ne fallait pas que ça soit seulement une mise au goût du jour des personnages qu'on connaissait. C'est dans la suite logique.

    AC : Que raconte la série  sur la vie des personnes LGBT aujourd'hui, par rapport aux années 90 ou même 70 ?

    DL : Ce qui est important, c'est le souvenir de l'épidémie. Il y a une scène très importante dans l'épisode 4 où ils sont dans un dîner de gays, essentiellement âgés, qui ont tous connu l'épidémie, ce sont des survivants. A un moment, ils disent "travelo", ce n'est pas politiquement correct. Le boyfriend noir de Mouse leur fait la leçon en disant "les termes que vous employez sont stigmatisants, ce n'est pas comme ça qu'on appelle les gens aujourd'hui, il faut écouter la demande des gens dans la description de leur identité". Les plus vieux lui répondent "ok, enfin, nous on a tellement donné qu'on peut tout de même se permettre de dire un peu ce qu'on pense et de continuer à parler comme on veut". Ça crée un clash entre Mouse et son boyfriend mais les mecs soulèvent un point fondamental. Les jeunes ne réalisent pas ce qui s'est passé il y a encore 30 ans parce qu'ils ne l'ont pas du tout vécu. Il faudrait se caler sur eux alors qu'eux ne se calent pas nécessairement sur notre passé. Et notre passé à nous a été beaucoup plus douloureux. Aujourd'hui, bien sûr que c'est toujours compliqué, avec la précarité, le côté toxique des news, la compétition, la drague, Internet… Mouse dit qu'il n'ose même pas parler de son passé. J'ai connu ça avec des boyfriends plus jeunes aussi.

    Au niveau intergénérationnel, c'est parfait.

    Une autre des questions centrales de cette saison, c'est l'incertitude de la transition de Jake Rodriguez. Ce personnage latino était lesbienne, vivait avec une lesbienne, et maintenant il est devenu un garçon trans attiré par les garçons, du coup il perd la relation avec sa copine. Ça, c'est tout le problème de la transition aujourd'hui. Ce n'est pas parce qu'on est devenu une personne trans que tout est réglé, c'est quelque chose qui est en construction tout le temps, avec des doutes, avec un ajustement par rapport à la famille, à l'entourage. Et ça, c'est ce que vit la jeune génération, parce que maintenant, le mouvement trans est vraiment poussé par les jeunes et ce sont eux qui sont moteurs.

    Au niveau intergénérationnel, c'est parfait. Il y a vraiment de l'affection, mais il y a des conflits aussi.

    AC : Et qu'avez-vous pensé de ces nouveaux personnages ?

    DL : Je les aime bien, j'aime beaucoup le club Body Politic. Ce n'est pas du tout ma came, la scène drag, mais là on voit vraiment le cœur de ce qui fait le succès de ce milieu dans tous les pays, en France, en Europe ou ailleurs. Ce côté burlesque, qui n'est pas exactement le même que la scène drag queen des années 90, on voit bien qu'il est nourri par des gens qui ne sont pas riches, des jeunes qui rament pour vivre… Même si dans la série on a vraiment l'impression qu'il n'y a personne qui travaille ! Il y a un côté un peu hors sol mais tous les jeunes personnages sont vraiment parfaits, même Shawna (Ellen Page). Au début, elle m'a un peu énervé parce qu'elle est tellement désagréable, mais c'est un gimmick d'écriture. C'est le personnage qu'on regarde un peu comme ça au début, mais qui finit par devenir quelqu'un qu'on aime beaucoup.

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    AC : Contrairement aux romans et aux saisons précédentes, celle-ci a été supervisée par une femme, la showrunneuse Lauren Morelli, ouvertement lesbienne. Est-ce que cela se ressent ?

    DL : Oui, je l'ai ressenti dès le début. Les premières saisons étaient vraiment une adaptation des livres de Maupin, qui est attiré les personnages masculins. Même s'il y avait déjà Anna Madrigal, bien sûr, les garçons ont toujours eu la part belle. Le fait que ça soit écrit par une lesbienne, on le voit. Il y a une sorte d'équivalence, une parité qui dépasse 50% et je suis sûr que si on analyse cette série en calculant le temps de parole, la balance penche du côté des femmes et des transgenres. C'est bien, ça répond aux demandes de #MeToo, ça répond à l'esprit du temps et ça veut dire aussi que le centre tellurique de San Francisco, ce n'est plus les hommes maintenant.

    Ca répond aux demandes de #MeToo, ça répond à l'esprit du temps

    L'épidémie du sida a eu un effet, San Francisco est davantage une Mecque pour les femmes parce qu'elles n'y rencontrent pas les mêmes problèmes qu'ailleurs aux Etats-Unis, avec Trump au pouvoir. Dans les années 70, San Francisco était assez blanc, il y avait Oakland de l'autre côté de la baie qui était très noire. Aujourd'hui, la ville est toujours un refuge et peut-être aussi qu'elle est plus mixte. C'est une manière de montrer plus de diversité.

    AC : Pour conclure, vous qui avez publié "Chroniques du dancefloor", recueil de vos articles sur la musique de club des années 90, qu'avez-vous pensé de la bande son de la série ?

    DL : Pour moi, Looking, la série était parfaite de A à Z. J'aurais voulu qu'il y ait plus de Looking dans cette série. Looking était plus en phase avec la musique, avec la photographie, avec ce côté un peu documentaire des séries de qualité aujourd'hui.

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