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    EuropaCorp : quel avenir pour la société de Luc Besson ?
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Le cinéaste, dont le groupe est placé sous procédure de sauvegarde, aurait finalement accepté le plan de reprise de l’un de ses principaux créanciers, le fonds américain Vine Alternative Investments. Retour sur les heurs et malheurs d'Europacorp.

    Jessica Forde / EuropaCorp / TF1 Films Production / Grive Productions

    Le 13 mai dernier, le Tribunal de Commerce de Bobigny décidait, par jugement, d'ouvrir une procédure de sauvegarde à l'égard de la société EuropaCorp S.A. pour une durée initiale de six mois. Cette procédure de sauvegarde ouverte "concerne l'intégralité du passif de la société, et non seulement son passif financier", expliquait-t-elle. Elle devait permettre "de négocier les termes d'un assainissement de la situation financière de la société via une restructuration de sa dette et de son capital, tout en poursuivant sereinement son activité", selon le conseil d'administration et la direction d'EuropaCorp.

    Suspendue depuis le 6 mai, la cotation boursière de l'action EuropaCorp sur Euronext Paris reprenait dès le lendemain du jugement. Ce fut un bain de sang : vers 10h00, celle-ci s'effondrait de 32,80%, à 0,67 €. Qu'il semble loin le temps où, à son introduction en bourse en 2007, l'action EuropaCorp valait 15,5 €... A peine trois ans plus tard, son cours était déjà divisé par trois. C'est dire si la confiance des investisseurs n'a cessée de se réduire comme une peau de chagrin au fil des ans...

    Fin mai dernier, le quotidien économique Les Echos révélait que les groupes EuropaCorp et Pathé étaient en discussion en vue d'une prise de participation majoritaire de ce dernier dans le groupe créé par Luc Besson"Le groupe Pathé a marqué son intérêt pour une éventuelle prise de participation au capital. Cette marque d'intérêt, non engageante, est soumise à la réalisation de plusieurs conditions préalables, [notamment] sur la restructuration des dettes existantes", déclarait alors EuropaCorp, précisant que le groupe ne pouvait donner aucune assurance quant à l'aboutissement des négociations.

    Las, le couperet vient de tomber : il n'y aura pas de reprise majoritaire par Pathé, qui proposait d'apporter 50 millions € en compte-courant et autant en capital. Dans sa dernière édition ce 14 juillet, Le Journal du dimanche assure qu’à la suite d’une réunion dans le bureau de l’administratrice judiciaire Hélène Bourbouloux, le 3 juillet, Luc Besson aurait finalement accepté le plan de reprise de l’un de ses principaux créanciers, le fonds américain Vine Alternative Investments. Ce fonds de gestion alternative, fondé en 2006 et basé à New York, a déjà investi 700 millions $ dans l'industrie du divertissement, et a annoncé en début d'année avoir collecté 600 millions $ supplémentaires auprès d'investisseurs privés et de fonds de pension.

    De son côté, Pathé avait déjà racheté les multiplexes d'EuropaCorp et avait même signé un accord de distribution en France portant notamment sur le film Nous finirons ensemble, la suite des Petits mouchoirs; ainsi que sur Anna, le dernier long-métrage du cinéaste. Jérôme Seydoux, le PDG de Pathé, ne cachait pas non plus son envie de récupérer le catalogue de films d'EuropaCorp. Vine Alternative Investments veut quant à lui convertir sa créance en capital pour devenir un actionnaire de poids au sein du groupe de Luc Besson. Dans un communiqué publié hier, EuropaCorp précise toutefois que "l’éventuelle mise en œuvre de cette opération suppose notamment la recherche d’un accord avec les prêteurs séniors et la présentation d’un plan de sauvegarde au Tribunal de Commerce de Bobigny. Le Groupe ne peut donc donner aucune assurance quant à l’aboutissement de cette opération, ni préciser le calendrier ou la structure qui résulteraient, le cas échéant, des discussions en cours".

    Cavalerie financière

    "Luc Besson fait de la cavalerie financière depuis longtemps [NDR : système qui consiste à rembourser un emprunt en contractant un nouvel emprunt]. Il a les yeux plus gros que le ventre. Le problème, c'est que, comme il n'est pas un studio hollywoodien, même s'il fait un énorme succès international avec Lucy, ça suffit peut-être pour éponger des dettes mais ça ne suffit pas pour transformer sa société en Major" lâchait (anonymement) non sans une certaine perfidie un observateur de l'économie du cinéma au journal Le Parisien, lors du dernier festival de Cannes. Peut-être. Mais c'est aussi oublier un peu vite que Luc Besson a aussi pris régulièrement beaucoup de risques, financièrement parlant, tout en permettant de générer des centaines d'emplois en France. Car jamais l'intéressé n’a lâché l’idée que c’est en France qu’il veut faire ses films, et ce depuis ses toutes premières oeuvres. Même lors de la production du Cinquième élément, film au casting très américain, il s'est démené pour que le film demeure français, aussi bien dans le montage financier qu’en donnant les postes techniques clés à des Français.

    Chris Delmas / Bestimage

    D'ambitions, le cinéaste n'en manque pas. "Si les Américains ont un slogan, "Yes, we can !" en France, le slogan, ça serait plutôt : ça va pas être possible !" lâchait Besson, non sans ironie, lorsqu'il inaugurait en grande pompe en septembre 2012 sa cité du cinéma. Un vieux rêve enfin assouvi pour le cinéaste de 53 ans à l'époque, très tôt sorti du système scolaire pour se former sur le tas. Un cadre impressionnant que cette cité du cinéma, pensée comme un "Hollywood sur Seine", hébergeant notamment neuf plateaux de tournage de 600 à 2100 m², ainsi qu'une école de cinéma, qui devait accueillir dès le mois suivant une soixantaine d'élèves, sans condition de ressources ni diplômes.

    Si cette école a pu naître grâce à la générosité de grands mécènes co-fondateurs qui sont des sociétés de productions télévisuelles et cinématographiques telles que Gaumont, Pathé, TF1 ou Canal +, ainsi que des sociétés partenaires comme les groupes BNP-Paribas ou Kering, six ans après, son avenir semble incertain. En juillet 2018, on apprenait que le concours d'entrée dans l'école était suspendu, tandis qu'elle faisait face aux retraits de plusieurs sponsors dont elle dépend en partie. La Direction de l'établissement assurait pour sa part que le retrait des financiers n'était pas lié aux difficultées financières de la société de production EuropaCorp.

    La descente aux enfers

    En fait, à regarder de plus près dans le rétroviseur concernant les multiples tourments d'EuropaCorp, le feu couve sous la glace depuis plusieurs années. Déjà, la société cumulait 9,8 millions € de pertes pour l'exercice 2009/2010, et 3,3 millions € au premier semestre 2010/2011. Pour expliquer ces résultats, la société avancait l'argument des frais de développement non-maîtrisés, et des règles de couverture de films non-respectés. "Arthur et la vengeance de Maltazard et Arthur 3 La Guerre des Deux Mondes sont les principales explications de ces contre-performances. Des projets ont également été développés sans être réalisés", avancait alors Christophe Lambert, Directeur général d'EuropaCorp, lors de la présentation des résultats en mai 2011.

    "On aurait évidemment aimé fêter ces dix ans avec une belle année, ce n'est pas le cas du tout. On a fait la pire de notre jeune carrière. Ce sont des problèmes qui arrivent à tout le monde, je crois", déclarait quant à lui Luc Besson. "Ce qui était très important, c'était d'en tirer les leçons et d'essayer de comprendre les mécanismes qui nous ont amené à faire une année aussi mauvaise. [...] J'avoue que j'ai eu pas mal de difficultés à me rendre compte des problèmes. [...] La créativité n'est absolument pas affectée, bien au contraire. Nous n'avons jamais eu autant de projets, avec 40 en développement, et 1500 projets qui arrivent sur notre bureau par an. On a une très bonne santé créative." Le management était alors pointé par le cinéaste comme le principal souci d'EuropaCorp. "C'est là où ça a pêché énormément. C'est très difficile de s'en rendre compte quand on est en plein dans les films. Je pense qu'on a fait des mauvais choix." Et de poursuivre : "Au bout d'un moment, on met des sparadraps les uns après les autres, mais le mal était beaucoup plus profond que ça. J'ai donc décidé il y a sept, huis mois de changer toute l'équipe, parce que le mal était à l'intérieur. Nous avons changé toutes les équipes, de distribution, de marketing, de directeur général, la façon d'organiser le managing de la société. C'est un gros pari. Je suis ravi de l'avoir fait, car on commence à en voir les résultats maintenant."

    Agence / Bestimage

    Le répit et la bouffée d'oxygène ne seront finalement que de courte durée : deux ans à peine, avec un petit retour à l'équilibre pour l'exercice 2011/2012. Avant que les chiffres des comptes ne plongent à nouveau. En juin 2014, le titre Europacorp dévissait de 15% à la bourse, suite à la publication de résultats nets de 2013/2014 tout juste à l'équilibre de 0,2 millions €; contre 19,6 millions € l'année précédente.

    En novembre 2017, EuropaCorp cédait pour 11 millions € ses activités télé en France et en Europe à Thomas Anargyros, qui était le directeur général d’EuropaCorp Television. En janvier 2018, le groupe annoncait la suppression de 22 postes dans le cadre d’un projet de plan de sauvegarde de l’emploi. En décembre de la même année, la société signait un accord exclusif avec Pathé concernant la distribution de ses productions et coproductions sur les trois prochaines années, après la fermeture de son département distribution. Fin mars 2019, la société a vendu le catalogue Roissy Films à Gaumont, soit plus de 300 films, parmi lesquels Les sous-doués passent le bac, Les ripoux, Le cave se rebiffe, Un singe en hiver, ou encore Mélodie en sous-sol. Là encore, un petit bol d'oxygène pour EuropaCorp, qui ne sort pas pour autant la tête de l'eau...

    La firme est aussi clairement plombée par le gros échec de Valérian et la cité des mille planètes qui a coûté 197 millions d'euros à produire (soit près de 222 millions $), et n'a rapporté que 225 millions $ au Box Office mondial. Après l'échec de son exploitation dans les salles américaines où il n'a rapporté qu'un peu plus de 40 millions $, Europacorp misait beaucoup sur un rattrapage venant du côté du Box Office chinois. Elle en sera là aussi pour ses frais. Si le film a récolté un peu plus de 62 millions $ au pays de l'empire du Milieu, obtenant en cela les meilleurs résultats au Box Office à l'étranger, le salut ne viendra pas non plus du pays de Xi Jinping. Ironiquement, c'est un groupe chinois, Fundamental Films, avec un investissement de 60 millions €, qui est le second actionnaire d'Europacorp depuis 2016. La société avait d'ailleurs co-financé la coûteuse production de Luc Besson, et contribué à la distribution de ses films en Chine.

    EUROPACORP – TF1 FILMS PRODUCTION

    Dans ce contexte très tendu, Anna, doté d'un budget sept fois inférieur à celui de Valérian, ressemble un peu au projet de la dernière chance pour le cinéaste, lorsqu'il est sorti dans les salles américaines le 21 juin dernier. Mais le public américain a été aux abonnés absents. Les chiffres sont cuisants, avec à peine 7 millions $ récoltés en 15 jours d'exploitation, tandis que les Critiques US ont assassiné le film, entre le Hollywood Reporter qui estime que "Luc Besson ne fait que ressasser Nikita", ou Variety, qui trouve que la performance de Sasha Luss, l'actrice principale, est "assombrie par la controverse #MeToo autour du réalisateur". Besson a en effet été accusé d'agression sexuelle par la comédienne Sand Van Roy, avant que la plainte ne soit classée sans suite par le parquet de Paris en février dernier. Quoi qu'il en soit, les résultats d'Anna sont sans commune mesure avec ceux de Lucy, qui avait ramassé plus de 126 millions $ sur le territoire américain, et plus de 79 millions $ si l'on s'en tient aux résultats comparatifs sur 15 jours d'exploitation, avec le nouveau long-métrage du cinéaste. La stratégie d'internationalisation des productions Europacorp, qui vise à venir courageusement concurrencer les studios américains sur leur propre terrain, en tournant un film en langue anglaise avec une vedette connue outre-Atlantique, semble presque, là aussi, un lointain souvenir...

    L'avenir d'Europacorp ? Incertain. Son nombre d'employés a été divisé par cinq en sept ans, passant d'une centaine à une vingtaine. La société, qui produisait une dizaine de films par an quelques années auparavant, ne produit en moyenne plus que trois films annuellement. En 2019, pour le quatrième exercice consécutif, la société reste dans le rouge, avec un déficit 2018-2019, clos le 31 mars, de 109,9 millions €. Au total, elle cumule 340 millions € de pertes en quatre ans. Le chiffre d’affaires 2018-2019, en très forte baisse (– 76,5 %), se situe à 150 millions €. Soit un niveau inférieur à la dette nette du groupe, qui est de 159 millions €. A suivre. De (très) près, forcément...

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