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    Les règles à l'écran : avant la pub Nana, ces films et séries ont osé eux aussi !
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    La publicité de la marque de protections hygiéniques a fait polémique en montrant les fluides menstruels sans détours. Comment le cinéma et les séries abordent ce sujet, qui en dit beaucoup sur notre rapport à la représentation du corps féminin ?

    Suite au tollé suscité par la campagne de pub de la marque de protections hygiéniques, dans laquelle des vulves sont illustrées de façon amusante par des objets, mais surtout où l'écoulement menstruel est représenté par un liquide rouge (exit le liquide vaisselle bleu qui prêtait à confusion par souci de ne pas choquer) on constate que les tabous autour des règles et des flux menstruels ont la peau dure. "Choquant", "dégoûtant", "image dégradante de l'intimité de la femme" : les commentaires hostiles ont fusé, et de nombreux signalements au CSA ont été effectués suite à cette initiative, symptômes d'un rapport toujours conflictuel dans la représentation de l'intimité féminine à l'image alors que la publicité avait justement pour objectif de briser les tabous. Et en matière d'images, les fictions ont leur rôle à jouer en matière de représentations. Pour Taous Merakchi (alias Jack Parker), autrice du livre Le Grand Mystères des règles, c'est un sujet qui touche à la fois "à la santé, à la finance, à la religion, à l'intimité, à la sexualité... C'est donc un très bon cheval de Troie pour aborder plein de sujets féministes !" déclare-t-elle dans une interview pour le site Konbini.

    Comment le cinéma et les séries abordent-ils de façon concrète cette thématique, qui en dit beaucoup sur les rapports que nous entretenons avec le corps féminin ? "La considération de la douleur des femmes est liée aussi à la façon dont on considère les règles aujourd'hui dans le monde", ajoute-t-elle. Car c'est bien de douleur dont on parle lorsqu'il est question des règles : inconfort, angoisses lorsqu'elles se font attendre, mais aussi beaucoup d'interrogations et de dégoût tant cette thématique est rarement représentée dans toute sa banalité. Passage en revue des fictions qui prennent le sujet à bras le corps, pour le meilleur... et parfois pour le pire.

    Les règles ? Beurk !

    Souvent synonyme d'humiliation suprême, l'arrivée des règles est régulièrement représentée de manière horrifique ou traumatique dans les films et séries mettant en scène des adolescents. La pauvre Carrie du film de Brian de Palma (1976) en fait les frais lorsqu'elle a ses règles pour la toute première fois dans les douches communes du lycée, et que ses camarades la harcèlent en lui jetant des tampons au visage et en scandant "mets-y un bouchon !" Pétrifiée, la jeune fille manifeste ses pouvoirs télékinétiques pour la première fois, en réaction à la violence dont elle est victime. Plus récemment, dans le premier volet du film d'horreur Ça (2017), l'arrivée des règles est présentée de manière cauchemardesque, dans une séquence où la jeune Beverly, réfugiée dans sa salle de bains, est ">submergée par un flot d'hémoglobine jaillissant de son lavabo.

    Du côté des comédies, on tombe facilement dans la blague potache et graveleuse avec des films comme Supergrave, dans une scène où le personnage de Jonah Hill panique en découvrant qu'une fille a saigné sur son pantalon en dansant avec lui, et devient la risée de la soirée. Les menstruations prennent enfin la forme d'une injure suprême dans le film indépendant The Florida Project (2017) lorsque, suite à une dispute avec son propriétaire, le personnage de Halley arrache rageusement sa serviette hygénique usagée de sa culotte pour la coller sur sa vitrine !

    Heureusement, certaines fictions font preuve d'un peu plus d'originalité en matière d'utilisation des règles comme ressort comique. Dans Orange is the New Black (saison 5), une détenue fait ainsi croire à un gardien qu'elle est blessée en s'étalant du sang menstruel sur le visage, tandis que dans le film Jupiter : le destin de l'univers(2015), le personnage interprété par Mila Kunis fait un point de compression sur la blessure de Channing Tatum avec une serviette hygiénique. Malin !

    Début de la puberté et passage à l'âge adulte

    Qui dit arrivée des règles dit entrée dans la puberté, avec tout son lot de nouvelles contrariétés. Fini l'insouciance de l'enfance, et bienvenue dans l'âge adulte ! Une séquence culte du film Diabolo Menthe de Diane Kurys, sorti en 1977 et qui a marqué les jeunes filles de cette génération, illustre à la perfection ce ressenti cataclysmique tout en soulignant le passage de relais symbolique entre une mère et sa fille à ce moment-là. Une séquence de la série Mad Men (saison 5) y fait écho, dans laquelle Sally Draper se réconcilie avec sa mère après plusieurs jours de dispute lorsque ses premières règles surviennent. La présence de Betty devient alors un facteur sécurisant pour Sally, mais aussi un premier constat amer face à son idée de l'émancipation.

    Dans la série animée Big Mouth (saison 1), le personnage de Jessi découvre avec effroi qu'elle a ses premières règles devant ses amis pendant un voyage scolaire, alors qu'elle porte une jupe blanche immaculée. Suite à cela, ses amis en viennent à se demander si elle deviendra une personne différente et cessera d'être la Jessica qu'elle connaît - une manière de tourner en dérision l'idée que l'on "devient une femme" au moment où les règles surviennent et la menace implicite qu'elles représentent. Dans Game of Thrones (saison 2), lorsque Sansa, captive des Lannister, découvre l'arrivée de ses règles, elle est terrifiée à l'idée qu'elle puisse être contrainte d'engendrer la descendance du roi Joffrey à qui elle a été mariée de force, et tente de faire disparaître ses draps tâchés avant que quelqu'un ne l'apprenne. 

    Mais l'apparition des règles peut être également vécu comme un chamboulement pour les parents : dans Stranger Things (saison 3), une séquence montre Winona Ryder discutant avec Jim Harbour (Hopper) alors qu'elle colle les étiquettes de prix sur des protections hygiéniques dans les rayons du supermarché. A travers la banalisation apparente du produit, ce détail présenté comme anodin, souligne en réalité le malaise ressenti par Jim Hopper face à l'entrée en puberté de Eleven, sa fille adoptive, alors qu'elle vit ses chastes premiers émois amoureux avec Mike...

    Le fardeau de la douleur

    Qui dit menstruations dit crampes, inconfort intestinal, douleurs diverses, maux de tête... A une époque où la sensibilisation publique autour de l'endométriose, dont souffre près d'une femme sur dix, est de plus en plus efficace, on peine souvent à constater dans la fiction la souffrance physique que cette période du mois représente pour une écrasante majorité de femmes. Il en est presque surprenant de voir une héroïne soulager la douleur de ses crampes menstruelles à l'aide d'une bouillotte, comme c'est le cas dans une séquence de Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, sorti cette année en salles. Un geste banal, mais si peu illustré à l'écran qu'il en devient quasiment révolutionnaire, qui plus est dans une fiction située aux débuts du 19ème siècle où le parti pris est de mettre le regard féminin au centre du film.

    Dans un autre registre, la série New Girl (saison 1) illustre avec humour les montagnes russes émotionnelles déclenchées par le syndrome prémenstruel, période où la chute du taux d'hormones dans l'organisme peut provoquer de brutales variations d'humeur : lors Jess fond en larmes lors d'un entretien d'embauche en voyant la photo d'un minuscule chiot dans une tasse sur le bureau de sa recruteuse. Plus tard, roulée en boule sur son canapé, elle raconte son entretien désastreux à son coloc Nick en expliquant qu'elle a été "sabotée par sa boîte à bébé."

    Inconciliable avec la sexualité ?

    Dans l'imaginaire collectif, les règles demeurent encore souvent un obstacle au coït, associant la notion d'impureté à l'acte s'il est accompli pendant que sa partenaire saigne. Dans une scène culte d'Anatomie de l'enfer de Catherine Breillat (2002), Amira Casar offre, en guise de trêve, un verre d'eau à son amant incarné par Rocco Siffredi, dans lequel elle a fait infuser un tampon imbibé de sang et l'invitant à "boire le sang de l'ennemi." Dans la série I Love Dick (2017), l'apparition des règles de l'héroïne refroidit immédiatement le personnage de Dick, et ce brutal renversement de vapeur lui fait ouvrir les yeux sur l'objet de son fantasme, bien plus décevant que dans son imagination.

    C'est dans un tout autre registre que ce rapport aux règles pendant les rapports est traité dans un film comme Les chansons que mes frères m'ont apprises (2015) : avant de faire l'amour avec sa petite amie, le jeune Johnny retire le tampon de sa petite-amie sans en faire grand cas. Une volonté bienvenue de dédramatiser cet acte, qui est poussée à l'extrême dans la série Crazy Ex-girlfriend (saison 2) où l'hilarante chanson "Period Sex" vante ainsi le mérite des rapports sexuels pendant les règles : "C'est un peu sale, mais j'ai moins de chances de tomber enceinte" nous sussure Rachel Bloom, avant de conclure par "si ça vous dégoûte trop, dites-vous que c'est du lubrifiant à la cerise !" Alors, convaincu.es ?

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