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    Noura rêve : l'émancipation d'une femme tunisienne dans une société patriarcale
    Emilie Schneider
    Emilie Schneider
    -Journaliste
    Amatrice d’œuvres étranges, bizarres, décalées et/ou extrêmes, Emilie Schneider a une devise en matière de cinéma : "si c'est coréen, c'est bien".

    "Noura rêve", en salles ce mercredi, dresse le portrait d'une femme tunisienne qui cherche à se séparer de son mari pour vivre avec son amant. Rencontre avec la réalisatrice Hinde Boujemaa et l'actrice Hend Sabri.

    Paname Distribution

    "Noura rêve" est votre premier long métrage de fiction. Vous aviez déjà eu l’occasion d’ausculter les rapports homme-femme dans vos précédents travaux. Pourquoi l’aborder désormais par le biais de la fiction ?

    Hinde Boujemaa : La fiction me permet de broder, de recréer des personnages, d'y mettre le temps d'un film plus de nuance, plus de complexité, elle me permet en un temps plus restreint, sans attente, de fouiller les méandres des relations humaines. Chose qui demande énormément de temps dans le documentaire où l'attente est primordiale pour découvrir le personnage et ses complexités. Dans la fiction, nous créons les complexités d'un personnage ou d'une relation, dans le documentaire nous l'observons sans être créateur.

    Comment votre expérience dans le documentaire a-t-elle nourri votre travail sur Noura rêve ?

    Hinde Boujemaa : Le fait d'avoir été très proche des personnages du documentaire, d'être en relation viscérale avec eux, de proposer les êtres dans l'instant d'une réalité, a installé en moi l'exigence d'être de la même manière avec mes personnages fictifs. Cela a une conséquence directe sur la manière de travailler avec les acteurs pour les amener au plus juste des personnages qu'ils incarnent.

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    Hend Sabri, vous tenez le rôle principal de "Noura rêve". Vous vivez en Égypte mais êtes d'origine tunisienne. Comment avez-vous vécu le retour dans votre pays natal pour le tournage ?

    Hend Sabri : Je n’ai jamais vraiment quitté le cinéma tunisien, j’ai continué à faire des films en Tunisie assez régulièrement. Mais c’est vrai qu’après la révolution de 2011, la Tunisie a socialement beaucoup changé et "Noura Rêve" m’a permis d’exprimer ce changement à travers une femme d’une catégorie sociale que l’on ne voyait pas beaucoup au cinéma avant 2011.

    Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce rôle ? 

    Hend Sabri : D'abord la modernité du personnage, le côté cash, cru, prolétaire. Une Tunisie grise, sans le soleil des pubs touristiques. Les dialogues sont crus. C’est une femme tunisienne prise en otage entre des lois plutôt progressistes pour la région, et une société patriarcale qui n’avance pas aussi rapidement que les lois.

    Il s’agit à la fois d’un portrait de femme, d’une histoire d'amour contrariée et d’un constat sur la société tunisienne. Comment décririez-vous votre film et comment avez-vous mêlé ces différents récits ?

    Hinde Boujemaa : Je ne me suis jamais dis en écrivant que j'allais vers un portrait de femme. Pour moi, c'était une histoire entre trois personnages, leurs différentes manières de gérer un amour, chacun de son point de vue. Ce qui m'intéressait, c'était aussi de montrer comment une société, ses lois, peuvent intervenir dans les relations amoureuses, ce qui à prime abord ne devrait pas être le cas. Il m'est difficile de décrire "Noura rêve", sans doute parce ce que je n'ai pas assez de recul. J'ai proposé une histoire qui m'indignait sur certains aspects qui, pour moi, ne devaient pas être tus.

    C’est une femme tunisienne prise en otage entre des lois plutôt progressistes pour la région, et une société patriarcale qui n’avance pas aussi rapidement que les lois.

    Vous avez une image très glamour. Dans "Noura rêve", vous apparaissez sans maquillage. Était-ce une volonté de casser votre image ? Comment avez-vous appréhendé ce rôle ?

    Hend Sabri : Ce n’est pas la première fois que je casse volontairement cette image glamour. J’ai joué à plusieurs reprises des femmes qui n’ont pas le luxe de la vanité. En 2011, j’ai joué dans Asmaa de Amr Salama une égyptienne séropositive qui se bat pour ne pas mourir. Cela m’amuse de casser l’image de star glamour, et je pense que ça amuse mon public aussi. Je suis avant tout une actrice, pas une image.

    Quelle a été la scène la plus difficile à tourner ?

    Hend Sabri : Sans hésitation la séquence où mon mari demande à nos enfants si je ramenais mon amant à la maison. Cette séquence m’a profondément touchée dès la lecture du scénario. Cette violence qui ne passe pas forcément par les coups et les bleus, une violence sourde. C’était très dur pour moi en tant que femme d’exprimer toutes ces émotions, de mentir au mari tout en restant sincère avec le personnage.

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    Considérez-vous avoir fait un film politique ?

    Hinde Boujemaa : Mes personnages évoluent dans un contexte précis, un contexte difficile que j'expose dans le film. En soit c'est un moyen de constater et certainement de m'opposer.

    Où le film a-t-il été tourné et comment s'est déroulé le tournage ? Avez-vous rencontré des problèmes d’autorisation ?

    Hinde Boujemaa : Le film a été tourné en Tunisie. Mon producteur Imed Marzouk n'a rencontré aucun problème d'autorisation. Depuis la révolution nous pouvons nous targuer de vivre dans un pays où la liberté d'expression est respectée. C'est un acquis extrêmement précieux et unique dans cette région du monde.

    D’où vient ce titre, "Noura rêve" ?

    Hinde Boujemaa : Il vient du fait que Noura rêve de la vie dont nous ne rêvons plus parce qu'elle nous lasse. Un quotidien simple, répétitif, mais rassurant.

    Merci à Sophie Bataille

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