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    J'accuse de Roman Polanski : des projections annulées à Rennes et Saint-Nazaire
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Après les incidents qui ont émaillé une avant-première parisienne du film "J'accuse" de Roman Polanski le 12 novembre dernier, au point qu'elle fut annulée, des militantes féministes ont empêché des projections du film à Rennes samedi soir dernier...

    COADIC GUIREC / BESTIMAGE

    Dans le sillage de l'avant-première du film J'accuse du 12 novembre dernier qui s'était tenue à Paris dans le quartier Latin, chahutée au point d'être annulée suite à une manifestation de militantes féministes, des projections du film ont été annulées samedi soir à Rennes, au Théâtre National de Bretagne (TNB). Les salles ont également été évacuées. Après une longue discussion avec les militantes, la direction a décidé de déprogrammer les trois séances prévues dimanche, mais a maintenu les suivantes.

    Les militantes ont partagé sur un compte Twitter les images de leur action, appellant à "déprogrammer le film, pour de bon". Le choix de venir perturber les séances en ce lieu est évidemment tout à fait symbolique. Historiquement, le TNB fut notamment une ancienne prison militaire, où fut emprisonné Alfred Dreyfus lors de son second procès en 1899...

    Anne Cuisset, la directrice générale du TNB, a indiqué à l'AFP avoir constaté que "les militants [avaient] envahi le TNB assez brutalement et déclenché l’alarme qui a interrompu toute l’activité du théâtre, dont deux spectacles, en plein festival. Plus de 1 200 spectateurs ont dû être évacués. Les spectacles ont repris après 30 minutes d’interruption".

    Quelques jours plus tôt, Arthur Nauzyciel, directeur du TNB, s'était fendu d'une longue lettre publiée sur le site du TNB, intitulée "Pourquoi nous maintenons la programmation de "J'accuse" et ouvrons le débat". "J’accuse [...] traite d’un sujet brûlant et d’une page d’histoire honteuse de notre pays, et dont le scandale se perpétue encore aujourd’hui, suffisamment en tout cas pour que cette histoire soit encore racontée, documentée, éclairée. Son sujet justifie de son intérêt" précisait-il en guise d'introduction. Avant de poursuivre un peu plus loin : "Doit-on ramener le sujet historique du film aux soupçons, enquêtes, plaintes qui pèsent sur son auteur ? Peut-on dissocier l’œuvre de l’homme ?"

    "Ne désirant pas penser seul cette expérience inédite, je prends le risque de maintenir les séances du film pour que cela ouvre une brèche dans la compréhension de ce que nous traversons. [...] Déprogrammer le film serait évacuer le débat, sa complexité, et nous ferait rater une chance de conscientiser ce que nous traversons en apprenant de nos erreurs, si ce choix, car c’en est un, s’avère en être une".

    A 130 Km au sud de Rennes, à Saint Nazaire cette fois-ci, d'autres séances du film J'accuse ont été annulée, ce dimanche, comme en témoigne ce post sur le compte Twitter d'une militante :

    Un extrait de l'interview d'Adèle Haenel à Médiapart en avant-programme de "J'accuse" au cinéma "Les Lobis" à Blois

    Invitée dans le cadre du Festival International du film de La Roche-sur-Yon en octobre dernier, Adèle Haenel avait fait part de sa surprise de la programmation du film de Polanski. "Je pense que dans le contexte actuel, ce ne serait pas mal d’encadrer ce film d'un débat sur 'qu’est-ce que la différence entre l'homme et l'artiste' ainsi que sur la violence faite aux femmes" avait lâché la comédienne, en faisant évidemment référence au réalisateur qui a été accusé à plusieurs reprises d'agressions sexuelles sur mineures. C'était peu de temps avant les révélations fracassantes de la comédienne à Médiapart, accusant de harcèlement et d'agression sexuelle le réalisateur de son premier film, Christophe Ruggia.

    Dans un billet publié sur sa page Facebook, le cinéma "Les Lobis", situé à Blois, s'exprime sur le film J'accuse, précisant diffuser en avant-programme un extrait de l'interview de la comédienne à Médiapart. Voici un extrait du billet, lisible en intégralité ici.

    "Depuis le mercredi 13 novembre 2019, Le Cinema les Lobis diffuse le film « J'Accuse » de Roman Polanski. Et à la vue du succès des premiers jours d'exploitation du film, il sera sur nos écrans pendant encore de nombreuses semaines. Il s'agit d'un film aux qualités cinématographiques indéniables, interprété notamment par des acteurs qui livrent une performance de premier ordre [...]".

    Cependant, l'actualité récente ainsi que les révélations d'agressions sexuelles et de viols qui mitent le milieu du cinéma depuis quelques mois, quelques années (voir depuis toujours, souvent dans une indifférence médiatique générale) ne nous laissent pas insensibles aux Lobis [...] Nous ouvrons plusieurs fois par semaine nos salles à des associations, des intervenants, des réalisateurs, qui viennent prolonger la vision d'un film, l'éclairer, ouvrir une fenêtre d’interprétation à destination des spectateurs, pour faire le lien avec le monde réel, le monde tangible, le monde dans lequel nous faisons cité, tous ensemble. Le féminisme est régulièrement le sujet et le centre de soirées spéciales.

    Il était pour nous inconcevable de vous priver de « J'Accuse », qui comme on l'a dit en préambule, est un GRAND film de cinéma. Il nous semblait également compliqué de ne pas accompagner la sortie de « J'Accuse » par un moment de réflexion collectif, un moment partagé, sur ce que l'Affaire Polanski [...] raconte sur nous et notamment sur les rapports femmes/hommes. Ne pouvant / voulant pas accompagner chaque début de séance d'une discussion, ni chaque après-séance, le programmateur des Lobis a opté pour la diffusion d'un extrait de 3 minutes tiré d'une interview donnée par l'actrice Adèle Haenel à Mediapart le 4/11/19, dans lequel elle explique très clairement ce que l'affaire Polanski dit de notre société et comment s'améliorer tous ensemble pour que des cas monstrueux, comme celui là, n'existent plus [...]. Cette vidéo évite l’écueil du débat, selon nous stérile, visant à se demander si il faut distinguer l'artiste de l'humain ou pas, si l'oeuvre excuse l'homme etc..."

    L'initiative a semble-t-il suscité des réactions plutôt vives, positives comme négatives. "Il n'y a évidemment aucune volonté de notre part d'imposer une seule vision, mais bien d'ouvrir le dialogue sur une réalité vécue par bien trop de femmes" se défend le cinéma, rappelant qu' "un film est une fenêtre sur le monde, mais il en fait également partie".

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