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    La nuit venue avec Camelia Jordana : "Montrer les coins sombres de Paris"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    A l'occasion de la sortie de "La nuit venue", premier long métrage de Frédéric Farrucci, rencontre avec son réalisateur et la comédienne Camelia Jordana.

    Jour2fête

    L'histoire : Paris, 2018. Jin,  jeune immigré sans papiers, conduit chaque nuit un VTC pour le compte de la mafia chinoise. Ses courses sont rythmées par une électro sophistiquée, vestige de son passé de DJ à Pékin. Une nuit, Noémie,  call-girl envoûtante, monte à bord de son taxi. Intriguée par le mutisme et l’aura de Jin, transportée par sa musique, elle décide d'en faire son chauffeur attitré. Au fil des courses nocturnes, l’histoire d’amour qui se noue entre eux pousse Jin à enfreindre les règles du milieu. 

    AlloCiné : Ce qui frappe immédiatement avec La nuit venue, c’est cette ambiance très particulière. Comme le disait Richard Bohringer, « c’est beau, une ville la nuit » ! Il y a votre façon de filmer Paris, un Paris différent de celui qu’on voit souvent au cinéma et qui n’est pas cliché, ainsi que la façon dont les personnages existent en quelques secondes. Quelle était votre envie première en tant que cinéaste ? Quelle ambiance vouliez-vous installer ?

    Fréderic Farrucci, réalisateur : Ca me touche que vous disiez que la vision de Paris n’est pas clichée. C’était un vrai désir de montrer les coins sombres de la capitale, de montrer les endroits qu’on montre assez peu finalement. Qui s’éloigne vraiment de la carte postale, d’une image un petit peu touristique.

    Je suis passionné de cinéma noir, et ce qui me plait énormément dans ce genre de cinéma, c’est que sous couvert d’une intrigue policière, ce sont des films qui racontent une époque. Filmer la ville, c’est filmer un territoire et une époque. J’avais vraiment envie d’aller chercher ces coins de la ville. J’avais envie aussi de faire un film atmosphérique, et prendre mon temps pour filmer, pour montrer cette ville, d’où l’idée d’avoir des plans qui prennent leur temps.

    Camelia Jordana : Ce qu’il raconte c’est une misère sociale avec des gens en fuite, et qui donc ont des contraintes face auxquelles ils n’ont aucun choix pour pouvoir s’en sortir. C’est au détriment de leur vie, et en même temps, c’est le seul moyen qu’ils ont pour la sauver. C’est cet angle mort de notre société où les gens survivent, et ces gens-là sont tellement nombreux dans le monde.  

    Camelia, est ce que cette ambiance était cernable dès la lecture ?

    Camelia Jordana : Oui. J’ai un peu ressenti la même chose qu’à la lecture du film de Pascale Ferran, Bird People. Il y a très peu de dialogues, énormément de descriptions, et il y a quelque chose de très commun dans ce que ces deux films peuvent raconter, même si Pascale Ferran l’a fait de manière plus onirique, avec Anaïs Demoustier qui va jusqu’à se transformer en moineau. Mais c’est vrai que Frédéric Farrucci a ça aussi : Pascale Ferran montrait des choses qu’on ne voit pas.

    Pour Frédéric Farrucci, c’était déjà très lisible dans son scénario, le fait qu’il voulait filmer des choses que l’on voit à Paris seulement quand on est seuls, et tout ce que ça nous fait, et la chaine de toutes ces émotions dans nos vies plus ou moins bourgeoises. Quand on s’en sort assez, et qu’on est face à des gens qui ne s’en sortent pas dans cette ville, ça va me parler à un endroit très précis. Mais ce n’est pas uniquement triste, uniquement dur, uniquement lourd, uniquement plombant. Ca vient parler à un endroit très précis de l’humain, j’ai l’impression que de voir quelqu’un de son espèce qui n’est pas en mesure de s’assumer en fait, et de vivre de manière décente. Frédéric Farrucci est vraiment allé trouver une chose à cet endroit là qui du coup était déjà lisible au scénario. 

    Tout a été tourné de nuit ou presque. Ce qui est une difficulté supplémentaire surtout pour un premier long métrage… Pour les lecteurs qui ne se figurent pas forcément l’aspect technique d’un tournage, qu’est ce que cela représente comme difficulté de tourner de nuit ?

    Fréderic Farrucci : Il y a une difficulté majeure qui est la fatigue de l’équipe. On commençait à tourner à 20h, on finissait à 4h. Le tournage de nuit est particulièrement éprouvant pour les organismes. La 2ème difficulté, c’est qu’il faisait très froid, et on en a souffert. Et enfin, non content de tourner la nuit, on tournait dans une voiture, et ça veut dire qu’une partie de l’équipe attend pendant qu’une autre petite partie de l’équipe est sur le plateau. Sur toutes les scènes de voiture, ça créé beaucoup de fatigue pour ceux qui attendent.

    Pour rester sur le thème des difficultés, vous n’êtes pas allé dans la facilité en prenant comme un acteur masculin un non-acteur, Guang Huo. Officiellement, c’est son premier film…

    Fréderic Farrucci : Il avait fait une apparition dans un autre long métrage.

    Est-ce que votre envie était aussi de révéler un acteur ?

    Fréderic Farrucci : Je n’avais pas l’audacieuse ambition de révéler un acteur. En revanche, il me tenait à cœur d’avoir un personnage authentique. Du coup, j’avais envie d’avoir quelqu’un qui soit natif de Chine. Parce qu’il y a une gestuelle, une façon de parler, de se comporter qui pour moi est très marquée. J’avais envie de cette authenticité. Il y a très peu de comédiens natifs de Chine en France.

    Nous avons été obligés de faire un casting sauvage au sein de la communauté chinoise, avec une directrice de casting géniale, qui est elle aussi native de Chine. J’ai rencontré beaucoup de jeunes candidats qui n’étaient pas comédiens. Ca a été une super rencontre. Il a un don pour ça. Il est très charismatique et on a travaillé ensemble sur le fait d’avoir un jeu minimaliste. Comment faire passer les sentiments alors qu’on ne dit rien ?

    Comment avez-vous fait justement ? Car il en est de même pour Camelia Jordana qui lorsqu'elle apparait au début n’a presque aucun dialogue…

    Fréderic Farrucci : On a répété pas mal ensemble. Mais c’est aussi le fait que ce sont des gens qui ont beaucoup de talent et qui sont capables de transmettre une émotion avec un minimum de mots et mouvements. C’est de la mise en condition. Ils se mettent dans la condition des personnages.

    Camélia, votre personnage existe immédiatement. Il y a une présence, un glamour…

    Camelia Jordana : Pour ce qui est du glamour, il y a toute une équipe qui est là pour le créer. Quand on se lève le matin, on peut être glamour parce qu’on est nue par hasard dans une position magnifique dans le lit avec le rayon de soleil qui vient taper parfaitement au bon endroit. Mais ça, ça arrive très peu dans la vie ! A part ces moments là, il y a une équipe derrière qui vient créer ce glamour, comme on peut le voir sur un tapis rouge, le maquillage, la coiffure, les vêtements… Sur un plateau de cinéma, il y a aussi la lumière, du souffle, du son, une manière de filmer, un cadre.

    On sait que cette femme là à un pouvoir sur l’homme qui est important, c’est aussi son métier. Indépendamment de ça, c’est vrai que l’attitude de Naomi, c’est quelque chose qu’on a trouvé avec Frédéric Farrucci. C’était très ludique. Il l’appelait la mante. C’est une femme qui est très mystérieuse, avec lui. Elle pique énormément ce personnage. C’est aussi la magie du personnage de Jin et du jeu de Guang Huo qui font que ça marche. On pourrait avoir une mante sans ce personnage en face. Tous les deux sont hyper troublants en fait.

    C’est un vrai cadeau que Frédéric Farrucci m’a fait en m’offrant ce rôle car jusqu’à maintenant les réalisatrices et réalisateurs avec lesquels j’ai travaillé –et ce qui est génial- avaient tendance à me proposer des rôles de femmes pas si éloigné de ce que je suis dans la vie, à savoir plutôt quelqu’un de lumineux, qui marche à la joie, qui a un petit moteur qui fait qu’elle va plutôt vers la vie. Là où Naomi est très mystérieuse, très posée, très calme, elle parle très peu, moi je suis quelqu’un de très bavard comme vous pouvez le voir, donc je crois que c’est la femme la plus éloignée de moi que j’ai eu à jouer jusqu’à maintenant.

    Ce qui du coup est génial, parce que c’est un vrai pari, et j’espère que ça donnera des idées à d’autres réalisatrices et réalisateurs de me faire aller à cet endroit là, et peut être pourquoi pas à d’autres. Parce que ce n’est pas soit la vie, soit le mystère. Il y a tout un spectre, et j’espère que ça permettra à d’autres artistes de m’envisager à d’autres endroits que ceux dans lesquels on m’a vue jusqu’à maintenant. En tout cas, c’est vraiment une chose qu’on a travaillé à deux. 

    Fréderic Farrucci : J’avais envie d’une jeune femme magnétique, qui soit susceptible de raconter une sorte de passé qui n’est pas dans le film. Juste par sa présence. Lors des ma première rencontre avec elle, c’est ce que j’ai ressenti. Elle a lu le scénario très vite, et est revenue vers moi en parlant de politique, ça m’a séduit énormément. C’est le contenu politique du film qui l’a attirée. Et selon elle, on ne lui avait pas encore offert de rôles qui ne collait pas à sa personnalité. Je l’avais vu jouer dans d’autres films et la trouvait très juste. J’aimais la plastique, je l’imaginais bien interpréter ce rôle, rentrer dans ce taxi, imposer sa présence. Et quand je l’ai rencontrée, j’ai vu tout ce qu’il y avait comme background potentiel, l’histoire que je pouvais me raconter rien qu’en la regardant. 

    Parlons de la genèse du scénario. Qu’est ce qui a été le déclencheur de ce sujet ?

    Fréderic Farrucci : C’est une longue histoire. A l’origine, elle vient de Nicolas Journet, qui avait enquêté sur des strip-teaseuses, et qui avait constaté que beaucoup sont call-girl, et toutes ont un taxi attitré qui leur fait une forme de sécurité lorsqu’elles sortent de leur effeuillage et qui leur permet d’avoir un sas de décompression pour les amener chez elle ou faire une passe. Il était venu avec cette idée. Est-ce qu’on ne raconterait pas une histoire d’amour entre un chauffeur de taxi et une strip-teaseuse et call-girl?

    Ce qui m’attirait là-dedans finalement, c’était plus le chauffeur de taxi que la strip-teaseuse en fait. Ce qui m’attire énormément, c’est le chauffeur de taxi de nuit. La nuit parisienne, ça m’attire énormément. Le fait de déambuler dans la nuit parisienne. La nuit est un moment où la norme et la marge se distinguent moins facilement. Elles se croisent, se cotoient. C’est plus difficile de distinguer l’une de l’autre en fait.

    Quand on a commencé à enquêter auprès des chauffeurs de taxi, il y avait une légende urbaine qui revenait régulièrement : celle consistant à dire qu'il y a de plus en plus de chauffeurs de taxi chinois, que c’est la mafia, qui vole des luminaires et des compteurs, et on équipe de faux taxis. C’est certainement une légende urbaine qu’on n’a jamais vérifié, mais en tout cas j'avais mon sujet. Avoir ce chauffeur qui soit une victime d’une mafia, ça me permettait de travailler à la fois sur l’immigration, sujet qui me touche énormément, et sur le pouvoir que peut avoir une mafia d’une communauté sur un migrant qui débarque en France après un périple accablant et qui se retrouve complètement vulnérable, fragile, une fois arrivé en France.

    Ca me permettait à la fois d’aborder le cinéma de genre, et de traiter un sujet qui me tient particulièrement à cœur, qui me touche, qui m’émeut, qui est l’immigration clandestine. Ce que j’aime beaucoup dans le cinéma noir d’une manière générale, c’est que, sous couvert d’intrigue policière, il raconte une époque. C’était vraiment l’ambition du film.

    Nous n’avons pas encore parlé de musique, mais cela occupe une place importante dans le film. Rone compose la musique. Comment est-il arrivé ce projet ? Pouvez vous me parler de ce choix et de votre collaboration ?

    Fréderic Farrucci : La musique était quelque chose de très présent dès le scénario car pour moi c’est un troisième personnage. Le fait que le personnage soit DJ me permettait de l’ancrer dans une modernité. D’avoir quelqu’un qui vient d’ailleurs certes, mais qui est issu de la même modernité que nous. C’est quelque chose qui m’émeut beaucoup dans le sort des migrants. Ils sont traités comme des moins que rien, alors qu’ils ne valent pas moins que nous ! C’est délicat à dire mais c’est quelque chose qui me touche énormément. La musique était aussi vraiment un vecteur de communication entre lui et elle finalement, puisqu’ils sont dans cette même modernité.

    Très en amont, mes productrices m’ont dit : avec qui aimerais-tu travailler ? Rone est quelqu’un que j’admire depuis des années. Donc c’était mon choix idéal, mais je pensais qu’elle ne l’aurait jamais. Et 5 jours après, on était attablés, il était super enthousiaste et on a eu cette collaboration super. Il a composé un certain nombre de morceaux pour le film, et on a récupéré d’autres morceaux qu’il avait composé auparavant.

    C’est sa première bande originale de film ?

    Fréderic Farrucci : De long métrage, oui.

    La bande-annonce de La Nuit venue, à l'affiche le mercredi 15 juillet :

     

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