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    Our Boys sur Canal+ : la série qui a fait polémique en Israël vue par son créateur
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Nouvelle création d'Hagai Levi, à qui l'on doit "En analyse" et "The Affair", "Our Boys" arrive en France après avoir fait grand bruit lors de sa diffusion sur Israël. Et pas qu'en bien, comme l'a expliqué le showrunner.

    HBO

    Quelques mois après sa diffusion sur HBO, Our Boys débarque en France, précédée d'une réputation sulfureuse. Lancé en 2015, un an après les faits dont il s'inspire (les conséquences du kidnapping et du meurtre de trois adolescents juifs par le Hamas), le projet s'est attiré la foudre des pouvoirs publics pendant sa diffusion en Israël : "J'ai vécu dix semaines de folie", nous dit son co-créateur Hagai Levi (The Affair, En analyse) lorsque nous le rencontrons à Paris, en référence à cette période mouvementée de sa carrière.

    AlloCiné : Vous avez dit, en arrivant, que vous aviez vécu dix semaines de folie pendant la diffusion de "Our Boys". Pourquoi ?

    Hagai Levi : Alors (il prend une longue inspiration) La plupart des Israéliens s'attendaient, pour diverses raisons, à une série sur les trois jeunes israéliens kidnappés. À cause de mauvais articles sur le projet, parus trois ans auparavant et qui étaient trop vagues sur le sujet de la série. Mais leurs propos ont été pris pour argent comptant, et quand ces téléspectateurs ont découvert, dans le premier épisode, qu'il ne s'agirait pas de cela, ils ont été furieux. Nous avons tenté de leur faire comprendre qu'il fallait voir l'intégralité du récit car ils se méprenaient, mais nous avons commencé à subir beaucoup d'attaques, venues de la droite, de l'extrême-droite, du Premier Ministre et de proches de trois familles dont nous racontons l'histoire.

    Ça c'était au début, et les choses ont soudainement changé et la série s'est retrouvée au centre de l'attention avec quelque chose comme deux cents articles par jour. Et il y en a encore, des positifs, car c'est toujours quelque chose d'important. J'ai vécu comme un petit tsunami pendant la diffusion.

    Vous attendiez-vous à de telles réactions ?

    Nous nous attendions à ce que la droite nous attaque, oui. Pas que le Premier Ministre appelle au boycott de notre série, ce qui est finalement la meilleure chose que nous pouvions espérer (rires) Nous ne nous attendions pas non plus à ce que nos noms soient exposés en nous présentant comme les responsables, pour que les gens puissent décider quoi faire de nous. Nous pensions aussi recevoir des critiques de la part de la gauche en Israël, mais il lui a fallu du temps pour se réveiller et pointer du doigt, par exemple, le fait que le Shabak [service de sécurité intérieure du pays, ndlr] ait l'air d'une si gentille organisation alors que nous savions tous qu'il avait collaboré avec des Palestiniens. Ou que l'occupation ne soit pas au coeur de la série, et se retrouve hors du conflit que nous racontons. Ou que nous montrions ces meurtriers de façon humaine. Il leur a aussi fallu du temps avant de dire quelque chose de positif. Mais nous y étions préparés. Nous ne savions juste pas quelle ampleur cela prendrait.

    Nous ne nous attendions pas à ce que le Premier Ministre israélien appelle au boycott de notre série

    A-t-il été compliqué de développer un telle série ?

    Ça a été la chose la plus difficile que j'aie faite. Et la plus longue car cela m'a pris quatre ans : trois, cela peut avoir du sens, quatre c'est trop. Au cours de la première année, nous sommes partis dans une autre direction en développant une série avec beaucoup plus de fiction, tout en nous basant sur les événements qui étaient survenus. Nous commençions toujours avec le meurtre avant de nous pencher sur les groupuscules d'extrême-droite d'Israël. Le pilote était très différent, puis mon partenaire Joseph Cedar est arrivé et ils nous a poussés à rester sur le côté "histoire vraie" et nous concentrer sur ce seul cas. Une fois que nous avons compris cela, nous nous sommes tournés vers le réalisateur et scénariste palestinien Tawfik Abu-Wael, car l'histoire se passe en grande partie de ce côté avec les familles.

    La série a donc évolué pendant longtemps. Et lorsque nous avons décidé de nous focaliser sur ce cas précis, il nous a ensuite fallu déterminer ce que nous pouvions et ne pouvions pas inventer, et la façon dont nous pouvions rester fidèles envers l'histoire : nous savions que ce que nous faisions était très sensible et que les gens allaient devenir dingues quoi que nous fassions. Nous devions donc être prudents et responsables. D'où les quatre ans (rires)

    En quoi cette histoire vous a-t-elle intéréssé en vue d'en tirer une série ?

    C'est une bonne question car l'une des difficultés auxquelles nous avons fait face pendant ces quatres ans était de bien comprendre les raisons pour lesquelles nous faisions cette série. Et ça n'était pas facile car c'est un cas aussi rare que précis : si nous ne parlions que de terroristes palestiniens, le sujet nous est familier et les motifs semblent clairs ; mais nous avons choisi de parler de terroristes israéliens, ce qui n'est pas si courant à cette échelle. Il a donc fallu que nous comprenions bien pour quelles raisons nous faisions cela. Me concernant, j'ai longtemps fait des séries qui étaient très universelles, sur les relations, la trahison, la loi... Quand HBO et Keshet International m'ont approché pour faire cette série, j'ai senti que c'était peut-être le bon moment pour dire quelque chose sur la réalité que je vis en Israël.

    Capture d'écran

    J'étais très politisé quand j'étais plus jeune, je faisais partie de groupes de gauche. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai voulu faire cela. Mais au fur et à mesure que le développement avançait, nous nous sommes rendus compte que les thèmes étaient universels, et ce qui me semblait être le plus intéressant, c'est toutes ces recherches psychologiques autour des crimes haineux. Comme le racisme, ils se produisent partout. Une partie de l'origine de cette série remonte à cet article que j'ai lu sur le terroriste de Nice, qui a tué près de quatre-vingt-dix personnes en 2016 : ses liens avec l'État Islamique étaient très vagues, car il n'était pas musulman. C'était un caïd qui a quitté la Tunisie pour la France, qui battait sa femme, buvait de l'alcool... Et c'est deux semaines avant les événements qu'il a été exposé à leurs idées. Il y a comme un schéma, avec des couches sociologique, psychologique ou religieuse qui se rejoignent sur une incitation capable de transformer une personne en arme capable de causer un crime haineux. Il m'est alors apparu important de comprendre ceci. Car cela se produit partout en ce moment, c'est un sujet brûlant.

    Il était priomordial pour vous de faire appel à un scénariste palestinien ?

    Absolument. À partir du moment où il a été déterminé qu'une bonne partie de l'intrigue se déroulerait du côté de la famille en deuil de Mohammed Abu Khdeir, nous savions que nous ne pouvions écrire cette partie avec notre point de vue extérieur. Nous ne connaissons pas ce monde et ne prétendons pas en faire le portrait, donc il nous fallait l'aide de quelqu'un. Et Tawfik a accepté de participer au projet, heureusement pour nous. Car ça n'était pas facile pour lui, qui a également reçu des menaces et des critiques de la part de Palestiniens qui sont opposés à toute collaboration avec Israël. Quelques semaines avant le début du tournage, il a subi des pressions pour quitter le projet, et celles-ci ont continué pendant. C'était courageux de sa part, et nécessaire pour nous. Sans parler du fait que c'est un réalisateur incroyable, dont on remarque facilement la patte.

    Nous avons découvert que nous n'en savions finalement pas tant sur ce qu'il se passe en Israël

    Avez-vous attendu que le procès des meurtriers s'achève pour écrire ?

    Non, nous avons commencé pendant, et l'appel a eu lieu alors que nous étions dessus depuis un an. Nous sommes donc allés voir les tueurs et les familles, avec les acteurs qui les incarnent, et nous avons assisté à quatre ou cinq heures de discussions intenses, sans pouvoir leur parler. Mais nous avons été autorisés à nous rendre à la prison pour les observer, sans préciser qui nous étions et ce que nous faisions. Ils étaient dans une aile réservée aux prisonniers religieux, chose que nous avons en Israël, et nous les avons vus alors qu'ils allaient prier, dans une petite synagogue construite sur place. Nous les avons donc accompagnés et c'était très étrange, car ils étaient gentils, surtout le plus jeune - car ils étaient mineurs.

    La série est-elle, pour vous, une manière de parler de votre pays, en tant que scénariste et producteur israélien ?

    Oui bien sûr. Mais nous avons découvert que nous n'en savions finalement pas tant sur ce qu'il se passe là-bas. Les trois tueurs, par exemple, viennent d'un groupe bien particulier du pays, ultra-orthodoxes et lié aux immigrés marocains, arrivés par millions pendant les années 50 et 60 - et au coeur de problèmes entre les gens venus d'Europe et ceux qui arrivent d'Afrique du Nord, avec des questions de ségrégation dans les années 70. Ils sont des centaines de milliers, ce que nous ignorions car ils passent sous le radar et vivent pauvrement dans ces villes urbanisées qui ressemblent à des blocs en-dehors de Jérusalem. Parler d'eux grâce aux tueurs nous a permis d'explorer le pays, ce qui était notre but lorsque nous cherchions à déterminer qui étaient les coupables et ce pourquoi ils avaient fait ça. Car l'aspect sociologique est entré en jeu dans ce cas, car il s'agit de laissés pour compte, de gens auxquels personne ne fait attention ni ne débloque de budgets. Comme partout dans le monde.

    Dans sa manière de chercher un équilibre entre les deux camps, la série rappelle des films comme "Munich" ou "Lettres d'Iwo Jima". S'agissait-il de références pour vous ici ? 

    Non, et surtout pas Munich qui n'est pas très bien vu en Israël, avec son style trop hollywoodien. Nos références étaient davantage des séries documentaires comme celle sur O.J. Simpson, qui nous a plus inspirés que la version fictionnelle. Nous recherchions ce type de complexité, qui montre que chaque cas a une portée énorme avec des résonnances politiques. Remonter à Rodney King peut par exemple permettre de comprendre l'affaire O.J. Simpson. JFK [d'Oliver Stone] a également été l'une de nos sources d'inspiration, dans sa manière de mêler documentaire et fiction, mais aussi la puissance avec laquelle il aborde l'Histoire à travers un drame fictionnel.

    "JFK", l'une des inspirations de "Our Boys" :

    Quelle est la part de ce que vous avez inventé par rapport aux événements que vous racontez ici ?

    Une règle nous est apparue au fur et à mesure de l'écriture : si les faits se rapportent à l'histoire policière principale, nous ne pouvons pas les changer. La plupart de ce que vous voyez dans Our Boys et qui est lié à l'enquête ou aux tueurs, c'est vrai. Nous avons pris quelques libertés dans notre portrait des familles des assassins et de Mohammed Abu Khdeir, car nous avions le sentiment que nous pourrions créer du drame familial avec eux. Et deux des personnages que nous avons inventés, dont Simon [joué par Shlomi Elkabetz], sont en réalité une combinaison de personnes que nous avons rencontrées. Mais nous l'avons fait en restant fidèle à l'essence de l'histoire.

    Et il était dès le départ clair que vous mêleriez des images d'archives à ce que vous tourneriez ?

    Ça a toujours été notre approche, oui. Et c'est quelque chose que j'aime faire et que j'avais pu mettre en pratique il y a cinq ans grâce à The Accursed, une fausse-série documentaire que j'ai faite en Israël : il y était question de vraies personnes, mais les images documentaires étaient fausses. Je pourrais parler de ce procédé et son importance pour moi pendant des heures, mais je dois aussi reconnaître que c'est amusant. Et cela se fait depuis des années. Regardez L'Insoutenable légéreté de l'être, avec Juliette Binoche et Daniel Day-Lewis : le film se déroule pendant l'invasion de Prague [par l'armée russe en 1968] et combine des images d'elle qui prend des photos avec celles de vieux chars. C'est un trucage ancien et la technique pour le faire aujourd'hui s'est améliorée.

    Et nous l'avons fait très simplement ici, grâce au montage, sans avoir recours aux effets spéciaux pour incruster nos personnages dans ces images. Et nous devions bien faire attention que ce que nous faisions soit éthique : si vous incrustez quelqu'un dans une image documentaire, il faut vous assurer que sa présence ait du sens. Avishay [Adam Gabay] se retrouve par exemple au coeur d'une manifestion contre les Arabes, et nous avons montré de vraies images de cela pour prouver que cela s'était bien produit, que nous ne l'avions pas inventé. Dans le scénario original, le personnage n'était pas là mais aux alentours, dans Jérusalem. Nous avons cependant pensé qu'il aurait pu y être car il gravitait autour de ce type d'événements.

    HBO

    Quel type de conversations espérez-vous que "Our Boys" génère ?

    J'aimerais que, comme aux États-Unis, les téléspectateurs ne voient pas seulement ce cas comme un regard anthropologique sur Israël, mais comme quelque chose de pertinent pour eux. Car cela se produit aussi en France, dans le monde : les membres de l'État Islamique, ceux qui attaquent les réfugiés ou les Juifs... J'espère que cela va donner naissance à des discussions autour des crimes haineux.

    Travailler sur cette série vous a-t-il permis de comprendre les motivations des tueurs ?

    J'ai compris qu'il y a plusieurs couches dans une affaire comme celle-ci, et que l'un d'elles repose sur l'éducation et le fait d'inclure ces gens dans la société en faisant attention à eux. Il y a aura toujours des fous qui feront cela, mais d'autres crimes pourront être évités. J'espère aussi que la série permettra aux téléspectateurs d'avoir une autre image d'Israël : oui, d'un côté il y a des actes racistes, comme partout ; mais de l'autre, tout le monde se bat pour que la justice triomphe. Et ce qui est amusant, c'est que ceux qui ont attaqué la série, dont le Premier Ministre, ne l'ont pas regardée jusqu'au bout et n'ont donc pas réalisé à quel point elle rend finalement service à Israël à travers cela.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 6 novembre 2019

    "Our Boys" est diffusée sur Canal+ à partir du jeudi 30 janvier et pendant cinq semaines :

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