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    De Westworld à Person of Interest : comment les deux séries de Jonathan Nolan se répondent
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Cela se sentait dans les précédentes, mais c'est devenu encore plus flagrant avec la saison 3 : "Westworld" permet à Jonathan Nolan de creuser certains des thèmes qui étaient déjà au cœur de "Person of Interest". Voici comment les deux se rejoignent.

    HBO / CBS

    ATTENTION - L'article ci-dessous contient des spoilers sur la saison 3 de "Westworld", dont la diffusion vient de s'achever sur HBO et OCS. Veuillez donc passer votre chemin si vous n'êtes pas à jour et que vous souhaitez ne pas prendre de risque. Pour les autres, rendez-vous après la bande-annonce des derniers épisodes en date.

    Le 22 septembre 2011, CBS lance l'une des grosses nouveautés de sa rentrée : Person of Interest, fruit de la collaboration entre J.J. Abrams et Jonathan Nolan. Si le premier est déjà un gros nom du petit écran, tout juste auréolé du succès de Super 8 au cinéma un an après la fin de Lost et alors que les clés de Star Wars ne lui ont pas encore été confiées, le second n'est encore "que" le frère de Christopher, dont il a co-écrit quelques-uns des longs métrages, MementoLe Prestige et The Dark Knight en tête. C'est pourtant à lui que l'on doit le pitch de cette série au croisement du thriller policier et de la science-fiction, qui n'est pas sans rappeler Minority Report, puisqu'il est question d'un homme, Harold Finch (Michael Emerson), qui a créé un système de surveillance de masse pour permettre au gouvernement d'empêcher qu'un nouveau 11-Septembre se produise, non sans se garder la possibilité d'y accéder en cachette.

    En s'appuyant aussi bien sur les enregistrements des caméras de surveillance et les appels téléphoniques, en plus des divers antécédents judiciaires, la machine se révèle capable de prédire des actes terroristes, mais également des crimes jugés mineurs par le gouvernement, qui ne s'en préoccupe pas. Avec l'aide d'un ancien agent paramilitaire de la CIA présumé mort, John Reese (Jim Caviezel), Finch part à la recherche de personnes situées dans les environs de New York et dont le système a détecté la future implication dans lesdits crimes, sans parvenir à déterminer s'il s'agira de l'auteur ou de la victime. Avec son format procédural (un cas par épisode), Person of Interest se présente d'abord comme une série d'enquêtes hebdomadaires assez peu passionnantes dans l'ensemble, faute de fil rouge. Mais il ne faut patienter que quelques semaines avant que la mythologie ne se mette en place pour que l'ensemble se complexifie et ne donne naissance à l'une des grandes séries des années 2010. L'une des plus sous-estimées aussi.

    Sans trahir son postulat de départ, qui ne sera laissé de côté que dans la cinquième et dernière saison, en forme de conclusion, la série mêle à son aspect divertissant un portrait de l'Amérique post-11-Septembre, rendu un peu plus réaliste encore par les révélations faites par le lanceur d'alerte Edward Snowden en 2013, sur la surveillance globale mise en place par les États-Unis, et les entraves à la vie privée que cela constitue. Ou quand la réalité rejoint la fiction, et permet à Jonathan Nolan d'explorer les notions d'intelligence artificielle et de libre arbitre. Deux thèmes que l'on retrouve, de façon plus évidente encore, dans sa création suivante : alors que Person of Interest s'achève sur CBS, fin 2016, le scénariste (et réalisateur occasionnel) et sa compagne Lisa Joy lancent Westworld sur HBO quelques mois plus tôt. Soit la relecture du long métrage signé Michael Crichton en 1973, et dans lequel les automates d'un parc d'attraction se révoltent et pourchassent les visiteurs.

    D'abord envisagé sous la forme d'un remake pour le cinéma, le projet prend forme en août 2013, lorsque J.J. Abrams et Jonathan Nolan s'emparent des commandes de ce qui est annoncé comme une série. Et rétrospectivement, la rencontre entre le scénariste et le papa de Jurassic Park sonne comme une évidence, au vu de leur fascination teintée de crainte pour le progrès. Mais le premier prend de grandes libertés avec le film du second, dont on retrouve surtout des traces dans la deuxième saison, lorsque la révolte des machines éclate violemment au sein du parc. La précédente est en effet centrée sur la prise de conscience des hôtes, à grands renforts de twists et de temporalités entremêlées, tandis que la suivante se déroule dans le monde réel, pour étendre la révolution menée par Dolores Abernathy (Evan Rachel Wood). Et y greffer certaines des réflexions et motifs à l'œuvre dans Person of Interest. Pour donner une seconde chance à celle qui n'a pas su trouver son public sur la chaîne qui la diffusait ? Peut-être.

    HBO / CBS

    Mais difficile de ne pas penser à l'autre série de Jonathan Nolan dès la toute première image de cette saison 3 : un écran blanc parsemé de taches noires, qui fait état d'une divergence en Chine. Un interface qui rappelle immédiatement celui de Samaritain, l'autre machine de Person of Interest, apparue pendant la saison qui a suivi les révélations de Snowden et utilisée à des fins malveillantes par le mégalomane John Greer (John Nolan, l'oncle du créateur des deux séries), qui tire les ficelles en coulisses. Comme Enguerrand Serac, joué par Vincent Cassel dans Westworld et que l'on peut considérer comme son homologue. Non content d'être également riche et puissant, il possède aussi un système, Rehoboam, dont il a écarté le vrai créateur (son propre frère) et qui permet de prédire l'avenir de chaque personne dans le monde, pour mieux leur permettre de prendre la mesure d'un potentiel qu'ils ne soupçonneraient pas. Sur le papier en tout cas, car le dispositif sert avant tout à contrôler le destin des gens et leur retirant leur libre arbitre.

    Après les machines placées sous le joug des humains, place au schéma inverse, jusque dans le final de la saison 3 qui nous montre que Serac est lui aussi sous le contrôle de Rehoboam, qui lui dicte ses actes et pensées (de la même façon que Root dans Person of Interest, personnage joué par Amy Acker qui se révèle autant obsédée par la machine qu'elle y est connectée). Dans une série comme dans l'autre, ce sont les systèmes qui, tels les dieux de l'Antiquité, semblent avoir droit de vie ou de mort sur les humains, en choisissant d'éliminer ceux qui ne rentrent pas dans le moule : celui de Westworld met hors d'état de nuire tout ce qui est considéré comme une singularité, quitte à agir de manière trop préventive, comme celui de Person of Interest a abouti à la mort de plusieurs milliers de personnes. Dans un but à priori noble à chaque fois (faire disparaître le chaos dans le monde d'un côté, empêcher des attentats de l'autre), ce que chaque show n'oublie pas de montrer, pour ensuite pointer du doigt les dangers inhérents au fait de confier les clés de notre destin à une technologie que nous ne maîtrisons pas totalement.

    Engagé pour s'occuper de certaines de ses singularités avec son ex-camarade militaire Francis (Kid Cudi) dans la saison 3 de Westworld, Caleb Nichols (Aaron Paul) se rapproche le temps d'un long flashback du duo central de Person of Interest, à ceci près que son travail se rapproche de celui d'un tueur à gages, quand les actions de Reese et Finch faisaient d'eux des héros de l'ombre, qui n'étaient pas sans rappeler Batman et Alfred dans la trilogie co-écrite par Jonathan Nolan pour son frère. Mais la ressemblance entre les deux séries va au-delà de cette similitude, car elle s'articule également autour de la notion de "pertinence", à savoir ces personnes qui nécessitent que l'on s'y intéresse (celles impliquées dans un attentat sur CBS, et celles capables de ne pas entraver le bon fonctionnement de la société idéalisée ici), et les autres : les auteurs ou victimes de crimes plus mineurs, et ceux, comme Caleb ou le frère de Serac, qui pourraient être à même de parasiter l'utopie planifiée.

    HBO

    Par bien des aspects, la saison 3 de Westworld ressemble à une variante de Person of Interest, une version alternative dans laquelle il n'y aurait qu'une seule machine, aux vertus maléfiques. Mais c'est grâce au personnage de Dolores que la série d'HBO rejoint celle de CBS sur le fond. Après avoir libéré les hôtes du parc, au propre comme au figuré, la voici qui débarque dans le monde réel pour venir en aide aux humains qui, sans le savoir, sont les pantins de Rehoboam. Le rapport de force est donc inversé, mais le but est le même : le libre arbitre et la notion de destinée, dont la jeune femme avait su s'affranchir en reprogrammant à sa guise le personnage de Bernard (Jeffrey Wright), comme celui-ci l'avait fait avec elle dans la saison 1, pour l'inciter à se révolter tout en pensant qu'elle le faisait de son plein gré. A l'heure où les libertés, la surveillance et la protection des données reviennent souvent sur la table, le propos développé par Jonathan Nolan, Lisa Joy et leurs co-scénaristes derrière le vernis SF résonne tout particulièrement.

    Comme Person of Interest au cours de la décennie précédente, Westworld nous présente une réalité sombre et froide, et ne se voile pas la face quant aux avantages que peuvent représenter le recours à l'intelligence artificielle et le contrôle des populations, mais aboutit à la même conclusion : le libre arbitre sera toujours la meilleure des solutions, peu importent les complications que cela engendrera. A travers le regard de Dolores, la série valorise l'imperfection du genre humain, qui participe à la beauté de notre monde, que l'hôte affirme avoir perçue, dans le dialogue avec Maeve (Thandie Newton) qui précède sa mort dans le season finale. En révélant à chacun son profile Incite (la société de Serac), créé à partir des données collectées par Rehoboam, dans l'épisode 5, elle leur redonne ce choix qu'ils avaient perdu, sans le savoir. Ce même choix dont Caleb s'était révélé capable, à l'époque où ils s'étaient croisés lorsque son régiment s'entraînait au tir sur cible mouvante dans le parc, en refusant la proposition de l'un de ses camarades, à savoir violer leur prises de guerre, dont Dolores faisait partie.

    Westworld sur OCS : comment se termine la saison 3 ?

    Plus simple, en apparence, que les deux précédentes, la saison 3 de Westworld prolonge l'œuvre de Jonathan Nolan en tant qu'auteur, en appuyant et prolongeant certains des thèmes de prédilection que nous avions déjà aperçus dans Person of Interest. Le tout avec des points communs plus amusants et d'ordre formels, comme la présence au casting d'Enrico Colantoni, qui tenait un rôle clé dans la précédente série et devient ici celui qui révèle à Caleb (et au téléspectateur) la vraie nature de son travail, ou un épisode concept comme le cinquième de cette fournée : intitulé "Genre", il met le personnage joué par Aaron Paul sous l'emprise d'une substance qui lui donne l'impression de vivre une fusillade au son de "La Chevauchée des Walkyries", de voir Dolores se mouvoir au ralenti sur le thème de Love Story, de prendre le métro comme s'il était l'un des protagonistes de Trainspotting ou de trembler sur une plage avec la musique de Shining.

    Un épisode qui, non sans faire avancer l'intrigue principale (car c'est là que Dolores va dévoiler à chacun son profil Incite, et ainsi lancer le chaos), s'avère étonnamment fun, ce à quoi la série ne nous a que trop rarement habitués. Et qui n'est pas sans faire penser à l'un des sommets de Person of Interest : l'exceptionnel "If-Then-Else" (épisode 11 de la saison 4), qui nous faisait pénétrer au cœur de la machine pour observer les différentes possibilités qu'avaient les héros pour se sortir du traquenard dans lequel ils étaient. Un récit qui brillait autant par son côté ludique que par le pessimisme et l'aspect inéluctable de son dénouement, et dont on retrouve ici des traces. En sachant que Dolores s'impose un peu plus comme l'héritière de John Reese, passé maître dans l'art de viser les rotules, dans sa manière de faire mouche à chaque coup de feu qu'elle tire.

    Que tous ceux qui regrettent que Person of Interest se soit arrêtée trop tôt (malgré sa vraie fin, émouvante) ou qu'elle n'ait pas connu un succès à la hauteur de sa qualité se rassurent : plus féministe et existentielle, et moins procédurale, Westworld en est bien la petite sœur. Car si sa façon de faire diverge, le fond de sa pensée reste le même, et le saison 3 n'a fait que l'appuyer, y compris lorsque le season finale souligne l'importance de se souvenir de quelque chose ou quelqu'un pour prolonger sa vie. En attendant de voir comment la 4 va maintenir ce parallèle, dans le casting ou le récit.

    Autre point commun entre les deux séries : le compositeur Ramin Djawadi

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