Mon compte
    Yakari : "un message d’espoir, une réflexion sur nos modes de vie"
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Il y a eu la bande-dessinée, deux séries télé, et place maintenant au grand écran pour Yakari, avec un long métrage d'animation qu'évoque Xavier Giacometti, son co-réalisateur.

    Bac Films

    Né le 12 décembre 1969, dans les bandes-dessinées de Derib et Job, Yakari fête aujourd'hui ses 50 ans. Avec quelques mois de retard, certes, mais un long métrage animé, le premier depuis sa naissance, en guise de cadeau. Pour l'occasion, le petit Indien s'offre une seconde jeunesse grâce notamment à Xavier Giacometti, co-réalisateur qui avait fait connaissance avec le héros pour les besoins de la série d'animation de 2005, et qui revient avec nous sur ce passage sur grand écran qui nous renvoie aux origines de l'histoire.

    AlloCiné : Quand et comment avez-vous découvert Yakari ?

    Xavier Giacometti : Enfant, puis ado, je lisais toutes les BD, même celles qui s’adressaient aux plus grands. C’est sans doute dans une bibliothèque municipale que j’ai dû lire ma première BD "Yakari". Cette saga avait une place à part, avec ses pages aérées, d’une grande lisibilité. C’est un éveil au monde, une initiation à la grande aventure, à la vie. Avec sa narration réaliste, cinématographique même, elle était, pour les enfants, une ouverture vers d’autres lectures plus matures de la BD franco-belge. Dans "Yakari", il y a une spatialisation réaliste, une profondeur de champ que la plupart des œuvres pour enfants ignorent. La narration de Derib ouvre une troisième dimension, vers un monde plus vaste, aux horizons lointains. Le film rend hommage à cela aussi, j’espère. La première fois que l’on m’a proposé de réaliser Yakari, j’avais déjà réalisé de nombreuses séries. Connaissant l’œuvre merveilleuse de Derib et Job, j’ai d’abord été inquiet. Serions-nous capables d’animer correctement les chevaux ? Nous avons fait 5 saisons et plus de cent cinquante épisodes. Tout cela, c’était avant notre film.

    A quel moment l’idée d’adapter les BD en film d’animation a-t-elle commencé à germer ?

    Il y a plus de dix ans, alors que nous travaillions sur la saison 2 de la série TV, nous avons commencé à rêver d’un film Yakari. Les grands espaces, les animaux, l’humanisme, le monde immense et sauvage vu à travers les yeux d’un petit Sioux… Nous avions la conviction que l’univers créé par Derib et Job était fait pour le cinéma. Mais dix ans ont passé avant que notre rêve devienne réalité. Les progrès techniques et le développement du cinéma d’animation en Europe y sont pour quelque chose.

    Le générique de la série "Yakari" :

    Qu’est-ce qui la rend toujours aussi universelle et pertinente ? Est-ce son rapport à la nature et aux animaux ? La notion de migration ?

    Au-delà de la grande aventure, il y a dans Yakari un message d’espoir, une réflexion sur nos modes de vie. Un équilibre à trouver entre nos tentations de posséder et nos besoins réels, la gestion de nos ressources. Notre rapport au monde, aux autres, les accepter comme ils sont. Le respect de tout ce qui nous entoure, la nature, les animaux. Yakari reçoit le pouvoir de parler le langage des animaux, c’est un privilège qui s’accompagne d’un devoir, devenir le lien entre l’homme et la nature, tout faire pour la respecter. La migration est une nécessité pour les Sioux, mais aussi le symbole d’un peuple qui vit en harmonie avec les cycles parfois très durs de la nature. Lors de ses déplacements, la tribu ne laisse derrière elle aucune trace de son passage, si ce n’est de l’herbe piétinée et des empreintes de sabots. Je ne suis pas sûr que puissions en dire autant de nos activités modernes.

    Est-ce parce qu’il s’agit du premier long métrage consacré à Yakari, et qu’il pourrait alors toucher une nouvelle génération, que vous avez choisi de revenir à sa rencontre avec Petit Tonnerre ?

    Oui, bien sûr, c’est comme une renaissance. Nous souhaitions toucher une nouvelle génération, mais pas seulement : le film doit surprendre aussi les fans les plus exigeants qui connaissaient parfaitement cette saga. Il nous fallait donner à la genèse une dimension cinéma : grandiose et intime à la fois. Utiliser tous les moyens qu’offre le cinéma pour amplifier l’émotion, les grands espaces, l’aventure, l’amitié, la comédie. Une consistance que le format et la durée du film nous permettent. C’est un exercice complexe. Nous n’avons rien gardé de la série TV, pas un seul dessin. Pour le film, nous sommes partis d’une feuille blanche : tout a été repensé, re-designé. La qualité de l’image et du son n’a rien à voir avec ce que nous avions fait précédemment. Les équipes ont été formidables. Que de belles rencontres avec de grands talents. Les auteurs qui ont vu le film sont conquis et heureux. J’espère qu’il en sera de même pour le public.

    Bac Films

    Pourquoi avoir choisi de mêler animation traditionnelle et 3D ?

    L’animation du film Yakari est en 3D et les décors sont en 2D numériques. Nous voulions rendre hommage à l’œuvre de Derib et Job, et à la BD en général, à travers la magie du trait, des couleurs et de la narration. On a donc opté pour une technologie qui consiste à donner à la 3D un aspect 2D enrichi, avec un trait de contour en pleins et déliés. C’est facile à dire, mais complexe à obtenir. Le choix de l’animation 3D est évident : la spatialisation, la vélocité de la caméra, la qualité d’animation et le respect des modèles personnages. Ce choix nous a permis de garder toutes les étapes du film en Europe, entre la Belgique, l’Allemagne et la France. Contrairement à ce qui se fait souvent en animation 3D, nous voulions éviter la "gesticulation", les mouvements intempestifs. Mais ce choix de simplicité, curieusement, est difficile à atteindre. Nous voulions une extrême lisibilité, un soin des cadrages et de la lumière, de vrais fixes qui accentuent l’intensité des attitudes, des expressions. Ces choix artistiques renforcent l’aspect 2D de la 3D. Faire l’animation en 2D traditionnelle aurait donné un résultat très différent, moins réaliste, avec un contrôle de la qualité plus problématique.

    Comment avez-vous travaillé avec les créateurs de la BD ? Les avez-vous beaucoup consultés ?

    Nous avons sollicité Derib et Job à toutes les étapes vitales de la création : le scénario, les modèles personnages et décors, le storyboard, etc. Ils furent très vigilants au respect de leur univers. Ils ont eu la délicatesse de ne jamais devenir un frein à notre créativité et à nos plannings, afin que l’on s’approprie ce monde fantastique. Leurs interventions pouvaient concerner le mode de vie des Sioux, un comportement animal, un lieu, ou une partie de l’histoire. Cela a parfois donné des échanges passionnés, car une BD et un film ne se racontent pas de la même façon. Mais, sincèrement, il est difficile d’imaginer une complicité plus grande que celle que nous avons entretenu tout au long de la production du film avec ces deux auteurs. Ils sont habités par un univers d’une grande richesse, ils le nourrissent depuis cinquante ans, et ils le défendent toujours avec un enthousiasme contagieux. Avec eux, nous voulions faire un beau film. Notre collaboration fut d’autant plus facile que nous avions déjà travaillé ensemble sur plus de cent cinquante épisodes de la série Yakari. Mais leur exigence, comme la nôtre, étaient accrues par les enjeux du grand écran.

    Yakari, le film
    Yakari, le film
    Sortie : 12 août 2020 | 1h 22min
    De Toby Genkel, Xavier Giacometti
    Avec Aloïs Agaësse-Mahieu, Arielle Vaubien, Hannah Vaubien
    Presse
    3,5
    Spectateurs
    2,9
    louer ou acheter

    Les différentes rencontres de Yakari avec des animaux rappellent "Pierre et le loup", dans sa manière d’accompagner chaque nouveau personnage avec une musique et des sonorités différentes. Etait-ce l’un de vos inspirations ?

    Le son a un pouvoir d’évocation fantastique. Musicien moi-même, j’ai été profondément marqué par l’œuvre de Prokofiev, étant jeune. Quand on démarre une collaboration avec un musicien, on parle du timbre des instruments qui correspondraient le mieux aux personnages, et on finit inéluctablement par évoquer "Pierre et le loup", qui est LA référence. Pour le film Yakari, j’ai eu la chance de travailler avec le compositeur Guillaume Poyet. Il a un grand sens de la mélodie, des arrangements, et sait trouver les sonorités qui collent à chacun des personnages, aux émotions. Ici, ce sont les flûtes, les percussions, le marimba, les cordes, les cuivres… La difficulté dans un film, c’est que la musique, comme tout le reste, doit être au service de l’histoire. Pas l’inverse. Les compositions doivent suivre l’état d’esprit du ou des personnages. La musique ne doit pas paraphraser l’image, mais renforcer l’arc dramatique. Composer, c’est comme mettre la caméra dans la tête du héros. Le film doit beaucoup à la musique de Guillaume Poyet, ce compositeur est tout simplement génial !

    Comment voyez-vous l’avenir, à court ou moyen terme, du cinéma d’animation suite à la crise du Covid-19 ? Le fait de ne pas être soumis au même type de consignes sanitaires que pour des tournages en prises de vues réelles peut-il aider les productions à moins en pâtir que prévu ?

    C’est très difficile pour moi de répondre à cette question. D’abord parce que nous sommes toujours dans l’œil du cyclone de la crise. Ensuite, même s’il est plus facile, en confinement, de produire de l’animation que de la prise de vue réelle, il faut tout de même que le public puisse se rassembler dans les salles de cinéma. Ce n’est pas gagné actuellement. Quoi qu’il en soit, je suis très optimiste concernant le cinéma d’animation et notamment celui qui se produit en France et en Europe. De très beaux films sont sortis ou vont sortir. Je pense à La Tortue rouge, J’ai perdu mon corps, Calamity, ou Le Sommet des Dieux, pour ne citer qu’eux : ils sont le reflet d’une très grande variété de styles et de récits. Nous pouvons raconter de belles histoires avec des budgets moins importants que les blockbusters d’animation américains. Les deux notions sont d’ailleurs liées, à mon avis. Moins d’argent, parfois, c’est beaucoup plus de liberté dans les thèmes abordés, moins de standardisation graphique. Un plus grand respect pour l’imagination du spectateur.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 30 juillet 2020

    "Yakari" est à voir en salles depuis le 12 août :

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top