Il y a quarante ans jour pour jour sortait dans les salles françaises Kagemusha : l'ombre du guerrier, chef d’oeuvre crépusculaire d’Akira Kurosawa, récompensé notamment par la Palme d’or (ex-aequo avec Que le spectacle commence ! de Bob Fosse) et le César du Meilleur film étranger. D’une ambition folle, que ce soit dans l’esthétique époustouflante de ses images ou dans le réalisme de ses scènes de batailles, Kagemusha a marqué la quintessence artistique du légendaire cinéaste nippon et la fin définitive de l'âge d'or du chanbara au cinéma.
Bien que tourné intégralement en japonais avec des acteurs nippons, Kagemusha a néanmoins été produit avec des fonds américains, par le biais de ses deux producteurs exécutifs de prestige : Francis Ford Coppola et George Lucas. Grands admirateurs de l’oeuvre de Kurosawa, les deux cinéastes du Nouvel Hollywood ont ainsi pu renvoyer l'ascenseur à celui qui a inspiré leurs propres films, en permettant au cinéaste japonais de tourner ce long métrage de grande ampleur sans la moindre concession artistique.
Car ce n’est un secret pour personne, la saga Star Wars s’est grandement inspirée du cinéma japonais, et notamment des films d’Akira Kurosawa. George Lucas a en effet tout tenté pour convaincre (en vain) Toshiro Mifune – l'acteur muse de Kurosawa – d’accepter les rôles de Dark Vador ou d’Obi-wan Kenobi, tandis que de nombreux aspects de la première trilogie renvoient à l'intrigue de La Forteresse cachée. A cet égard, Kagemusha ne fait pas exception à la règle, en témoigne l’hommage qui lui a été rendu par La Menace fantôme, premier épisode de la prélogie également conçue par George Lucas.
Dans Star Wars, la reine Amidala incarnée par Natalie Portman a recours a des doublures afin de pouvoir mener incognito des missions de reconnaissance, notamment sur la planète Tattooine où elle fait la rencontre du jeune Anakin Skywalker. Ce subterfuge lui permet par ailleurs de renforcer son dispositif de sécurité, ses suivantes (incarnées notamment par Keira Knightley et Sofia Coppola) jouant le rôle de cibles publiques puisque l’apparence de la jeune souveraine sans son maquillage et ses apparats n'est pas connue de ses ennemis.
Ce procédé rappelle bien évidemment celui de Kagemusha ; dans le folklore japonais, le kagemusha était le nom donné à un sosie officiel chargé d’assurer le remplacement d’un monarque. Dans le film de Kurosawa, il s'agit d'un simple voleur que l’on propulse doublure du daimyo Takeda Shingen, afin de repousser la nouvelle de sa mort et éviter ainsi que son clan n’apparaisse comme affaibli dans la guerre qui l'oppose à ses rivaux.
Toujours dans la prélogie Star Wars, George Lucas a de nouveau rendu hommage au film Kagemusha par le biais d'un épisode dans la quatrième saison de sa série animée Clone Wars : intitulé Le guerre de l'ombre (la traduction littérale du terme kagemusha), il suit Jar Jar Binks chargé de négocier avec le général Grievous après que le Boss Gungan ait été la victime d'un sournois attentat.
En reliant donc Kagemusha et La Menace de fantôme, George Lucas a ainsi fait perdurer l’influence japonaise dans la saga Star Wars, bouclant au passage la boucle qui lie aussi intimement sa carrière cinématographique à l'oeuvre d’Akira Kurosawa.