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    Hollywood face au coronavirus : les studios multiplient les licenciements
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Pris dans la tourmente de la pandémie de coronavirus, les studios de cinéma américains se réorganisent pour perdre le moins d'argent possible. Et cela passe par des vagues de plus en plus fortes de licenciements.

    Mise à jour du 26/11/2020 : Le plan de licenciements annoncé par Disney sera encore plus sévère qu'indiqué précédemment. Ce sont désormais 32 000 postes qui seraient concernés, soit 4 000 de plus que les premiers chiffres avancés. Ces licenciements concernent en premier lieu le personnel des parcs d'attraction, à l'arrêt depuis plusieurs mois. Disneyland  Paris ne pourra pas rouvrir pour les fêtes de Noel en raison des dernières annonces du gouvernement, qui ne le permettent pas.

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    Durant l'ère "classique" du cinéma américain, les majors de Hollywood ont toujours semblé intouchables, dans leurs bureaux californiens et new-yorkais, tournant à la chaîne des films de divertissement dont la plupart du temps, les grandes réussites compensaient les cuisants échecs. Puis, sont arrivées les difficultés des années 60 et 70 et les rachats de ces studios par de puissants groupes financiers. Et aujourd'hui, la crise liée au coronavirus, sans précédent, porte atteinte depuis déjà plus de sept mois à l'industrie du cinéma américaine, limitant les tournages et stoppant les sorties en salles. Un événement tristement historique. En conséquence, ces majors, qui semblaient redevenues intouchables, tremblent à nouveau.

    Des prémices fin avril - début mai

    Le coronavirus a placé l'industrie américaine en confinement au mois de mars. Le studio Lionsgate s'est séparé de 20 personnes travaillant à la distribution et au marketing (le studio se défend toutefois que ces départs soient liés au coronavirus et déclare qu'ils étaient prévus de longue date). Fin avril, c'est la M.G.M. qui devait mettre au chômage 50 employés sur 750 afin de pouvoir maintenir la compagnie dans une "position forte" (selon le communiqué de la firme relayé par le Hollywood Reporter).

    En parallèle, le studio Paramount avait déjà licencié ou placé en congés sans solde 638 personnes, Sony 292 et Universal 174. Même la Screen Actor's Guild (syndicat professionnel des acteurs) a laissé temporairement partir 27 personnes, selon les chiffres de l'Economic Development Department de Californie. Entre 120 000 et 150 000 membres de l'Alliance Internationale des employés des plateaux de cinéma ont perdu leurs emplois, comme en témoignent les informations de dot.la.

    ARP Sélection

    Les agences d'acteurs n'ont pas été épargnées, puisque Endeavor et Paradigm ont réduit leurs effectifs de respectivement 2 500 personnes pour Endeavor et 250 pour Paradigm, avec des réductions de salaire allant jusqu'à 50% pour certains employés de Paradigm. Tout cela a été annoncé et mis en place avant le mois de juin.

    Dix ans que Disney n'avait pas perdu d'argent

    Cela a sonné comme un coup de tonnerre : en août dernier, Disney a perdu de l'argent pour la première fois en dix ans. Au deuxième trimestre 2020, elle a perdu 4,72 milliards de dollars, dont 2 sont causés par le manque à gagner des parcs d'attraction. Ces derniers affichent une baisse de revenus de 85% selon Le Monde, et chaque jour de fermeture des parcs coûte à la firme aux grandes oreilles plusieurs millions de dollars. Durant ces fermetures, les employés étaient au chômage technique, mais c'est désormais officiel : 28 000 personnes vont être définitivement licenciées.

    Du côté de son industrie, malgré les sorties de plusieurs longs métrages sur sa plateforme dont le très attendu Mulan, il semble que l'absence de sorties en salles ou ailleurs des blockbusters jadis programmés (Black Widow, Eternals, Jungle Cruise...) soit la cause d'un manque à gagner important pour Disney. Seuls Soul (25 novembre) et Free Guy (9 décembre) sont -pour l'instant- encore annoncés dans les salles françaises, en plus de quelques films moins grands publics comme Nomadland. Quant à Disney Plus, le confinement a marqué une recrudescence d'abonnements à la plateforme (60,5 millions d’abonnés au total à travers le monde début août), qui ne suffisent apparemment pas à compenser les baisses de recettes des autres branches (notamment celles de la distribution et la production).

    Mais Disney n'est pas la seule touchée : NBCUniversal a perdu 6,1 milliards de dollars au deuxième quart de 2020. Plus de 35 000 employés (soit près de 10% du personnel) sont licenciés dans la branche divertissement de la firme. Comme Disney, les parcs Universal affichent une perte très significative sur ces derniers mois.

    Warner : pertes et fracas

    En août dernier, la firme WarnerMedia annonçait se séparer d'environ 650 salariés de Warner Bros et entre 150 et 175 employés d'HBO. Ce n'est pas la première fois que cette entreprise est frappée par des départs puisque déjà en 2018, le rachat de Time Warner par AT&T avait conduit à de nombreuses restructurations pour notamment réorganiser Warner autour de la plateforme HBO Max. En parallèle, l'équipe dirigeante du studio subit un véritable bouleversement, avec un nombre de départs importants chez ses cadres.

    Ces derniers mois, Warner a eu le courage de sortir au cinéma le premier blockbuster de l'été 2020 : Tenet de Christopher Nolan, qui s'est avéré une déception au box-office. Les cinémas de certains pays indispensables pour rentabiliser un film de cette ampleur n'étaient pas rouverts et ont contribué aux scores du film (2 millions d'entrées en France, seulement 41 millions de dollars rapportés sur le sol américain pour un total de 284,9 millions dans le monde). Environ 70% des cinémas américains étaient ouverts, donc le verdict est sans appel : les Américains ne sont pas prêts à retourner en salles, et l'ont prouvé au détriment de Warner.

    2020 Warner Bros. Entertainment, Inc. All Rights Reserved. / Melinda Sue Gordon

    Comme nous le supposions dans notre précédent article sur le sujet, les studios ont bien laissé Tenet "essuyer les plâtres" d'une sortie en salles dans des conditions difficiles, ont constaté son échec, et décidé de repousser leurs blockbusters jusqu'en avril 2021, en considérant 2020 comme une "année blanche". Une année blanche qui coûte toutefois une fortune aux studios.

    Les dépenses imprévues

    En plus de devoir fermer certains de leurs services car ils ne sont plus utiles dans le contexte pandémique, les studios doivent débourser beaucoup d'argent suite à la reprise des tournages. La mise en pause soudaine de tous les tournages a coûté une fortune aux studios, obligés de renvoyer les équipes techniques et le casting chez eux en attendant de pouvoir reprendre le travail.

    Puis, lorsque les tournages ont pu reprendre dans certains pays, les studios ont renvoyé les équipes sur les plateaux, en craignant ce qui est finalement arrivé à The Batman : une mise en pause forcée du tournage à cause d'un cas positif de COVID-19. Cela coûte aussi de l'argent, même si les équipes de décorateurs et d'accessoiristes peuvent souvent continuer à travailler pendant ces interruptions.

    Le studio Lionsgate, à qui l'on doit notamment les films John Wick et qui vient de sortir en France le thriller Antebellum, affichait en mai une perte de 50,5 millions de dollars à cause de la pandémie, du coût du report de sortie de ses films et de l'arrêt de leurs productions. La firme a ainsi déclaré (via The Wrap) :

    "Nous avons (...) été capables de nous adapter aux nouvelles circonstances en sortant l'un de nos films de cinéma plus tôt sur les plateformes de streaming, en terminant la post-production d'une de nos séries et en poursuivant l'écriture d'autres séries grâce à des "writer's room" virtuelles. Ces changements (...) pourraient nous aider à partiellement compenser certains des aspects négatifs de la pandémie. Cela dit, l'impact de ces changements et la pandémie mondiale de COVID-19 sont incertaines et ne peuvent être prédites."

    Universal Pictures International France

    Le report de Mourir peut attendre, initialement calé au mois d'avril, aurait coûté 30 millions de dollars à la M.G.M., preuve que ces reports, pris en grippe par une partie du public impatient, sont aussi accompagnés d'une perte financière pour les studios.

    Les studios de cinéma américains font donc face à un problème finalement assez commun dans la vie d'une entreprise : celui de perdre de l'argent et de vouloir à tout prix contrecarrer cette tendance ou au moins, en limiter les répercussions. Les licenciements font partie d'une des solutions à leur disposition. Dans ce contexte de plus en plus incertain, le monde du cinéma tel que nous le connaissions subit une crise de modèle en plus d'une situation inédite et au futur imprévisible.

    Comme certains cinémas risquent de disparaître faute de rencontrer leur public à cause de la pandémie, les studios se relèveront sans doute difficilement de cette période que l'on espère bientôt terminée. Et ce afin que l'une des industries majeures du XXème siècle surmonte ces circonstances exceptionnelles, qui inspirent déjà de nombreux projets de films. Comme une façon pour Hollywood d'exorciser ce qui constitue déjà l'un des coups durs les plus importants de son histoire.

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