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    La Seconde Guerre mondiale vue par Guy Ritchie : il aurait pu engager Christopher Lee !
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Le prochain film de Guy Ritchie, "Ministry Of Ungentlemanly Warfare", services secrets créés par Churchill pour opérer derrière les lignes ennemies durant la Seconde Guerre mondiale, nous rappelle que Christopher Lee en aurait fait partie...

    Agence / Bestimage

    Pour les plus cinéphiles, il fut l'incarnation même du Comte Dracula dans les classiques de l'épouvante de la Hammer. Inoubliable Scaramanga dans L'homme au pistolet d'or face à l'agent 007, Christopher Lee est aussi passé à la postérité — du moins auprès des jeunes générations — pour son incarnation du sorcier Saroumane dans la saga fleuve du Seigneur des Anneaux, chez Peter Jackson. Acteur prolifique à la voix si grave et distinguée affichant au compteur plus de 230 rôles rien que pour le cinéma, ce géant d'1m98, grand fan de musique metal devant l'éternel au point même d'enregistrer un album de metal symphonique en 2010 à l'âge de 87 ans, était un authentique touche-à-tout. Acteur bien sûr, mais aussi producteur, orateur, musicien, chanteur d'opéra, et même photographe.

    Anobli en 2009, lui conférant le droit de se faire appeler "Sir" Christopher Lee, il fut aussi durant sa jeunesse un vrai héros de guerre, jusqu'à se mettre au service secret de Sa Majesté, comme son cousin Ian Fleming, le papa de James Bond. Et fut même, dit-on, chasseur de nazis à la fin de la guerre. Si certains de ses faits d'armes sont incontestables, l'intéressé n'a aussi pas hésité à quelque peu enjoliver ses états de service, face à un auditoire lui portant rarement — pour ne pas dire jamais — la contradiction.

    L'annonce du prochain projet de Guy Ritchie, un film consacré au Ministry Of Ungentlemanly Warfare mis sur pied pendant la Seconde Guerre mondiale par Winston Churchill, qui visait à monter des opérations clandestines derrière les lignes ennemies, et auquel aurait justement participé Christopher Lee, nous incite encore plus à nous repencher sur son glorieux passé.

    De brillants états de service

    Fils d'un lieutenant-colonel au 60e régiment d'infanterie royale, Christopher Lee se serait engagé dès 1939, alors qu'il n'avait que 17 ans, dans l'armée finnoise. La Finlande était alors en pleine guerre soviéto-finlandaise (également appelée "guerre d'hiver"), qui débuta le 30 novembre 1939 alors que l'URSS avait envahit le pays. Lee serait resté dans le pays jusqu'en 1940, puis rentra en Angleterre. Il rejoint alors la Royal Air Force (RAF), alors que le pays subit depuis juillet 1940 le Blitz allemand qui bombarde sans relâche le pays. Polyglotte, Lee parle couramment l'anglais bien entendu, mais aussi l'allemand, le français, l'espagnol, l'italien et le grec. De quoi faire merveille au service chargé de décoder les transmissions allemandes, même si Lee est tout de même frustré : une défaillance au nerf optique l'empêche de devenir pilote.

    Il est ensuite envoyé en Afrique du Nord où il aurait rejoint les rangs du mythique Long Range Desert Group, le précurseur de ce qui deviendra le SAS, Special Air Service, unité de forces spéciales britanniques qui naîtra en 1941 en Egypte (alors occupée par les troupes britanniques), par le lieutenant David Stirling. Il suit alors les mouvements du front entre l'Egypte et la Lybie, où les Anglais affrontent les troupes de l'Afrika Korps du général allemand Rommel, surnommé "le renard du désert". Lee aurait participé à des opérations commandos derrières les lignes ennemies, visant notamment à saboter des avions de la Luftwaffe et des installations dans les aérodromes. Après la reddition des troupes de l'Afrika Korps en 1943, il est semble-t-il versé dans l'armée au sein de la 8ème division d'infanterie britannique, qui participe à la terrible bataille pour la prise de Monte Cassino, monastère transformé en forteresse par les Allemands sur la ligne de front Gustave en 1944, en Italie.

    Après son expérience au sein du LRDG, Lee aurait été affecté au Special Operations Executive (SOE) ou Ministry of Ungentlemanly Warfare, un service secret mis en place par Winston Churchill en juillet 1940 et dédié aux opérations spéciales en Europe jusqu'à l'Extrême-Orient. Il intervient particulièrement en Europe de l'Est, où le SOE apporte son aide et son soutien à divers mouvements de résistance des pays occupés par les nazis. C'est dans ce cadre que Lee fera un séjour en Yougoslavie et rencontrera Josip Broz, dit "Tito", le futur chef de l'état du pays, mais pour l'heure à la tête de la résistance communiste. Il deviendra même ami avec lui. Interrogé sur ses états de service au sein du SAS en 2012 par le Telegraph, Lee répond : "J'ai été rattaché au SAS quelque temps, mais nous avons interdiction de révéler quoi que ce soit sur les opérations menées, qu'elles soient passées, présentes ou futures. Disons juste que j'étais dans les Forces Spéciales. Les gens peuvent interpréter cela comme ils veulent". Pas un mot sur le sujet de la part de l'intéressé donc. Reste que l'on sait tout de même que Lee prit sa retraite d'officier de l'aviation en 1946 avec le grade de Flight Lieutenant (l'équivalent de capitaine), et qu'il a été décoré pour actes de bravoure par les gouvernements tchèque, yougoslave, anglais et polonais.

    Dans les derniers mois de la guerre, il aurait été affecté à la traque de criminels de guerre nazis recherchés, notamment des officiers cadres de la SS, dans le cadre du Central Registry of War Criminals and Security Suspects, autrement connu sous l'acronyme CROWCASS. Cette organisation, reliée peu après à l'ONU, participait activement à la chasse aux nazis. "On nous a confié des dossiers racontant les crimes qu'ils avaient commis. Puis on nous a donné l'ordre de les trouver, de les interroger autant que l'on pouvait et de les remettre aux autorités concernées. Nous avons vu les camps de concentration. Certains avaient été nettoyés, d'autres non" déclarait l'acteur en 2009 au Times. Et d'ajouter : "j'ai vu des choses vraiment, vraiment horribles, sans dire un mot. J'ai vu tellement d'hommes mourir sous mes yeux que cela m'a endurcit. Voir ce que l'homme était capable de faire à un autre homme, le résultat de tortures, de mutilations, voir quelqu'un partir en morceaux à cause d'une bombe... Vous développez à force une sorte de coquille de protection. Mais il le fallait. Il le fallait, autrement nous n'aurions jamais gagné la guerre !" Ce rapport à la véritable violence, agissant comme une catharsis, lui a d'ailleurs permis d'être, selon ses propres dires, totalement à l'aise avec les fictions sanguinolantes de ses futures années de comédien.

    Soixante ans après ses années de guerre, le souvenir restait semble-t-il vivace chez Christopher Lee. Lorsqu'il tournait sous la direction de Peter Jackson Le Seigneur des Anneaux, dans lequel il incarne le sorcier Saroumane, l'acteur expliqua au réalisateur au cours du tournage d'une scène que quelqu'un poignardé ne pousse pas de hurlement, mais gémit de douleur, comme un râle d'agonie. "As-tu une idée de la nature du bruit que fait quelqu'un lorsqu'il est poignardé dans le dos ?" demanda-t-il à Peter Jackson; "parce que moi, je sais".

    Le mieux, c'est encore de découvrir l'anecdote de tournage en vidéo...

    Des faits d'armes enjolivés ?

    Vétéran du redoutable SAS, ex traqueur de nazis... Le tableau de chasse des années de guerre brossé par la presse et surtout par l'intéressé inspire le respect. Reste qu'aux yeux de certains, ce même tableau est sans doute un peu trop héroïque pour être totalement véridique. Pour l'historien britannique réputé Gavin Mortimer, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et ayant beaucoup travaillé justement sur l'Histoire du SAS, certaines affirmations tenues par Christopher Lee ne tiennent pas. Selon lui, il n'aurait jamais fait partie des SAS et du SOE. "Il était attaché au SAS et SOE en tant qu'officier de liaison de la Royal Air Force durant des périodes variables, entre 1943 et 1945, mais il n'a pas servi dans ces structures". L'historien balaie aussi l'idée, toujours avancée par l'acteur et largement reprise par la presse au point d'en devenir une vérité, selon laquelle il ne pouvait pas parler de ses faits d'armes sous le SAS et SOE. "C'est n'importe quoi ! Les membres de ces unités des forces spéciales qui ont servi en temps de guerre ne sont pas — et n'ont jamais été — interdites de parler des opérations. En un sens, Lee n'a pas vraiment menti, mais il a toujours encouragé les gens à croire qu'il avait joué un rôle bien plus grand que ce qu'il n'a été en réalité".

    Guy Walters, un journaliste du Daily Mail, a enquêté sur les faits d'armes de Christopher Lee, pointant parfois les différentes versions de l'intéressé, comme sa période finlandaise, dont Lee parle dans son autobiographie, Lord Of Misrule. "Dans ses mémoires, Lee disait que lui et quelques camarades se sont rendus en Finlande pour être volontaires au combat contre l'Union Soviétique. Il écrit que non seulement on leur a donné un uniforme, mais qu'il est aussi allé sur le front où ils ont passé un certain temps, avant de regagner l'Angleterre durant la période de Noël" écrit le journaliste dans un long papier publié en juillet 2015, un peu plus d'un mois après le décès de l'acteur. "Dans une interview donnée il y a quelques années, Christopher Lee disait : "nous sommes allé là-bas avec un groupe d'amis, et avions dit que nous voulions aider. Nous pouvions tirer plutôt bien, mais pas faire de ski. On nous a remerciés pour notre aide offerte, mais nous n'avons pas pour autant approché de la frontière là-bas". S'il est possible que Lee ait voyagé jusqu'en Finlande à cette époque, c'est très très peu probable. Près de 8500 britanniques furent volontaires pour s'engager dans le combat contre l'URSS avec la Finlande. Mais seuls 200 d'entre eux environ se sont effectivement rendus là-bas, et il est généralement admis qu'ils sont arrivés l'année suivante où Lee serait venu puis reparti".

    Le journaliste n'a trouvé aucune trace de l'acteur dans les Archives Nationales à Kew, à propos de ses états de service supposés au sein du SOE. "Il est possible que son dossier ait été détruit ; mais le fait est que aucun membre du SOE qui a opéré dans les Balkans durant la guerre n'a jamais confirmé la version de Lee". Guy Walters évoque aussi un autre exemple, lorsque l'acteur était en pleine promotion du film Le Seigneur des Anneaux, à la télévision belge. "Lee affirma avoir fait partie de la légendaire Popski's Private Army (PPA) durant la guerre [NDR : unité des forces spéciales britanniques fondée au Caire en 1942 par le major Vladimir Peniakoff, lui-même surnommé Popski]. Pourtant aucune preuve n'est venue étayer ses dires. Selon Roy Patterson, le secrétaire de l'association du souvenir de la PPA, il n'y a aucune trace de Lee dans les registres d'activité de la PPA. En fait, Lee a dit à Patterson avoir rendu visite à la PPA lorsqu'elle était stationnée à Cervia, en Italie, en avril 1945".

    Quid de son passé de chasseur de nazis ? "Même s'il affirme dans ses mémoires avoir fait partie du CROWCASS, cela ne peut être possible. Les membres de ce service étaient basés à Paris et Berlin. Leurs rôles étaient de rassembler des preuves, pas de sillonner le pays et parcourir les camps de concentration à la recherche d'anciens nazis. Lorsque j'ai eu le privilège d'écrire une histoire de chasse aux nazis il y a quelques années, j'ai pu rencontrer des membres survivants de la British War Crimes Unit, dont le job était justement de sortir traquer les nazis où ils se cachaient. Pas un n'a mentionné le fait que Lee fut un des leurs".

    Alors, Lee un affabulateur ? Pas vraiment. Ses médailles pour faits de bravoure durant la guerre ne furent pas obtenues pour avoir pantouflé derrière un bureau durant tout le conflit. Disons que l'intéressé a très certainement et généreusement grossi le trait sur ses faits d'armes. Pas de quoi non plus entamer fondamentalement le respect dû au maître du macabre.

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