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    La pépite du passé : Pat Garrett & Billy The Kid, le crépuscule de l'Ouest selon Sam Peckinpah
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Après "La Horde sauvage" et la violence suicidaire de ses personnages, l'immense Sam Peckinpah continue de dépeindre ce crépuscule d'un âge héroïque et ses derniers survivants dans un chef-d'oeuvre sorti en 1973, "Pat Garrett & Billy The Kid".

    TCM

    Le 14 juillet 1881, il y a tout juste 140 ans, le fameux hors-la-loi américain, Billy The Kid, tombe sous les balles du shérif du comté de Lincoln, Pat Garrett, à Fort Sumner, au Nouveau Mexique. Une exécution qui le fait instantanément entrer dans la légende de l'Ouest américain et ses mythes.

    Cette date anniversaire est finalement un bon prétexte pour revenir justement sur le chef-d'oeuvre de Sam Peckinpah sorti en 1973, Pat Garrett & Billy The Kid. Une oeuvre qui, comme tant d'autres dans sa filmographie, passa elle aussi sous les fourches caudines d'un producteur en guerre ouverte avec le cinéaste.

    La fascination des valeurs de la Frontière et ses mythes

    Le drame profond de Sam Peckinpah, c'est qu'il est né trop tard. Descendant de pionniers fameux, Peckinpah est né au moment où ses ancêtres entraient dans la légende californienne : faute de pouvoir vivre leur épopée, il dut se contenter d'en recueillir les échos. Et c'est trop tard encore, dix ans trop tard, qu'il vint au cinéma, entamant une carrière tumultueuse, émaillée de batailles perdues car vouées à un perpétuel porte-à-faux" écrivait l'historien du cinéma Michael Henry Wilson dans le superbe livre "A la porte du Paradis : 100 ans de cinéma américain", publié chez Armand Colin en 2014.

    Cette réflexion s'applique naturellement à son chef-d'oeuvre qu'est La Horde sauvage, western crépusculaire considéré à juste titre comme la réponse définitive d'Hollywood à la vague de westerns spaghetti. C'est un Ouest agonisant gangrené par la modernité (on est en 1911, on est témoin des premières automobiles...) que dépeint le cinéaste, au sein duquel le chef de cette bande, Pike Bishop (admirable William Holden) semble vouloir prendre congé d'un monde qu'il ne comprend plus. Tout comme Peckinpah.

    Fasciné par les rudes valeurs de la Frontière et le code moral fruste de ses pionniers et ses hors-la-loi, Peckinpah s'attache à dépeindre le crépuscule d'un âge héroïque, l'errance pathétique et convulsive de ses derniers survivants, dans un univers qui n'est plus à leur mesure.

    Ses personnages, guidés par un sens de l'honneur et une fidélité à eux-même, se refusent ainsi à toute compromission, fut-ce même au prix de leur survie. Pour Peckinpah, c'est la tristesse de voir disparaître à jamais cette promesse de liberté qui est l'essence même de l'Amérique.

    Si l'apothéose sanglante de la Horde sauvage marquait un premier jalon, Pat Garrett & Billy The Kid constitue une ultime et encore plus tragique méditation sur ces héros de l'Ouest. Ici, les derniers grands espaces ont été colonisés, le capitalisme et l'ordre règnent désormais en maîtres.

    Pat Garrett (magnifique James Coburn), ancien hors-la-loi passé de l'autre côté de la barrière, est chargé de mettre fin à tout prix aux agissements de son ancien compagnon d'arme, Billy The Kid (Kris Kristofferson). S'il est un homme de l'ancien temps, Garrett cherche à s'adapter aux changements, dans un souci de "vieillir avec le pays", comme il le dit lui-même au début du film. "Les temps ont changés" lance un peu plus tard Garrett à son vieux complice, dans un échange encore amical. "Les temps peut-être, mais pas moi" lui rétorque Billy. La rupture est désormais consommée.

    Revoici la bande-annonce du film...

    Un chef-d'oeuvre gravement mutilé

    Durant toute sa carrière, Peckinpah a souffert des coups de ciseaux de la censure et / ou de ceux de ses producteurs. Sa filmographie est en ce sens aussi tristement célèbre pour ça : Major Dundee, Chien de paille, La Horde sauvage... Et Pat Garrett & Billy The Kid donc.

    Comme le rapporta dans un entretien Gordon T. Dawson, l'homme à tout faire de Peckinpah entre 1965 et 1974, le réalisateur était auto-destructeur. "Le pire, c'était les repérages, car il buvait tout le temps. A l'arrière [de la voiture], il y avait plein de glaçons et des bouteilles de bière. Tu entendais les bouteilles en permanence. Tu devais t'arrêter à tous les bars. Il était complètement saoûl après huit heures du soir. Et à 6h du matin, il prenait de la cocaïne. Il n'a jamais essayé de s'arrêter".

    C'est James Aubrey, le ponte à la tête de la MGM qui produisait Pat Garrett & Billy the Kid, qui engagea les hostilités. Lorsqu'il a découvert dans le scénario des séquences comme celle où Garrett se repose au bord d'une rivière et échange des tirs avec une famille qui avance en bateau, il devint hystérique. "C'est un moment de violence existentielle" lui a-t-on répondu. "Existential Fucking violence ?! Je ne veux plus jamais entendre parler de ça !" lança le PDG de la Major...

    TCM

    Peckinpah parvint à imposer le chanteur Kris Kristofferson pour le rôle du Kid, là où le studio voulait Jon Voight ou Peter Fonda. Mais ce tournage fut sans doute le plus difficile de la carrière du réalisateur. "La faute à tous ces espèces d'attardés de la MGM" balança Peckinpah.

    Cabochard et jusqu'au-boutiste, Peckinpah multiplia alors le tournage de séquences inutiles juste pour faire perdre de l'argent aux producteurs. Il envoya même une photo à Variety où l'on voit son assistante (et amante), Katy Haber, déguisée en infirmière en train de lui inoculer de l'alcool par intraveineuse. Le genre de blague qui faisait difficilement sourire James Aubrey...

    Il finit par proposer deux montages différents, renvoyés dans les cordes par la MGM, notamment le prologue, qui voyait Pat Garrett assassiné par ceux-là même qui lui demandèrent de tuer son vieil ami. "Rudy Wurlitzer est un poète. Il écrit très bien. Son scénario aurait fait un film de cinq heures. Un affrontement épique, avec des grandes qualités lyriques. Je l'ai résumé dans mon film, en essayant d'en préserver la poésie, et j'étais content" déclara Peckinpah. Et d'ajouter, amer : "ces eunuques émotionnels de la MGM ont enlevé dans leur montage toute la personnalité en essayant de ne garder que les tirs. Ca ne marchait pas".

    Les différentes versions du film

    Le cinéaste livra une version director's cut de 124 min, qui ne fut montrée qu'une seule fois aux critiques, en 1973. James Aubrey força Peckinpah à réduire le montage de son film, passant de 124 à 106 min pour son exploitation en salle. Celle-ci fut un échec cinglant, et Peckinpah en fut logiquement meurtri. Il réclama même deux millions de dollars à la MGM pour le sabordage de son film.

    En 1988, Ted Turner ressortit en laserdisc et vidéo la version director's cut du film. En 2005, un montage spécial du film fut proposé, d'une durée de 115 min, soit plus court que la version director's cut. Réalisée d'après des notes laissées par Sam Peckinpah, celui-ci combine des éléments issus de la director's cut, de la version sortie en salle de 106 min, ainsi que de nouvelles scènes absentes des deux versions précédentes. Toutefois, nombreux sont les aficionados du film à avoir crié à l'outrage sur cette version.

    Warner Bros.

    Parmi les nouveaux éléments de cette version, on peut notamment relever un générique totalement différent de la version director's cut de 1988, ainsi qu'une version sensiblement raccourcie de la mort de Pat Garrett. Une figure appartenant certes à la légende de l'Ouest américain, mais qui, in fine, enfreint ses principes en tuant son meilleur ami, et trahit les idéaux qui furent ceux des pionniers de l'Ouest, que Peckinpah aimait tant.

    Sorte de chant d'adieu bercé par une fabuleuse BO mélancolique signée par Bob Dylan, qui incarne d'ailleurs dans le film le personnage d'Alias, un membre de la bande de Billy The Kid, Pat Garrett & Billy The kid est, tout comme La Horde sauvage, porté par un lyrisme désespéré et une puissante nostalgie élégiaque. Peckinpah a beau se tourner vers ses totems d'un passé depuis longtemps révolu, son oeuvre plus que jamais vivace hante durablement notre mémoire cinéphilique. Et pour longtemps encore. C'est la marque intemporelle des chefs-d'oeuvre.

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