Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes, De bas étage est le premier film de Yassine Qnia qui réunit Soufiane Guerrab (Lupin, La Vie scolaire) et Souheila Yacoub (Les Sauvages, Climax). Ce drame social raconte comment Mehdi, la trentaine, tente de s’en sortir grâce à quelques petits cambriolages.
Mais ces petits casses en zone industrielle ne rapportent plus autant qu’avant et les alternatives proposées ne l’intéressent pas. Mehdi se remet alors en question tout en essayant de reconquérir son ex compagne Sarah, mère de son petit garçon d’un an qu’il adore. Alors que De bas étage est désormais projeté dans les salles françaises, Yassine Qnia avait répondu à quelques unes de nos questions à Cannes.
AlloCiné : Vous étiez lauréat du Prix de la création de la fondation GAN en 2019 pour le scénario de De Bas étage et vous présentez en 2021 ce premier long métrage à la Quinzaine des réalisateurs. Racontez nous le parcours de ce film jusqu’à Cannes.
Yassine Qnia : J'ai commencé l'écriture en 2016/2017. Et après moult réécritures, je propose le film à la fondation GAN en 2019 pour pouvoir avoir une aide qui est très intéressante pour un premier film. Au delà de l'aspect financier, il y a aussi cette reconnaissance qui fait du bien. Et j'ai obtenu cette aide-là, ainsi que celle du CNC, et j'ai pu tourner mon film avec une petite mais bonne économie pour un premier long, c'est-à-dire un peu moins d'un million d'euros.
On a ensuite tourné le film en novembre 2019 et on l'a terminé tant bien que mal en octobre 2020. C'était une longue attente à cause de la crise sanitaire qui a tout chamboulé mais la sélection à la Quinzaine des réalisateurs a été une très belle surprise et un beau cadeau. C'est aussi très lourd à porter parce que quand on voit les annales de la Quinzaine et les personnes passées par là, on se demande si on y a bien notre place.
Avec la fermeture des salles et la crise sanitaire, j'ai eu le temps de remettre en question mon film et de voir les choses qui vont et qui ne vont pas. Le film n'a pas eu un parcours classique, comme beaucoup d'autres ces derniers temps.
Shanna Besson
D'où vient l'idée de l'histoire de De bas étage ?
L'idée de De bas étage part d'une frustration que j'ai moi-même éprouvé, qui est la difficulté financière de s'émanciper, d'être autonome et de s'assumer. J'avais envie de parler d'une souffrance financière et émotionnelle. J'ai souvent filmé l'échec dans mes courts métrages, c'est une situation que j'aime mettre en scène et je voulais une nouvelle fois filmer l'échec dans mon premier long. J'ai beaucoup appris des films où les personnages échouaient.
Comment avez-vous travaillé le personnage de Mehdi et son parcours assez tragique ?
C'était assez simple parce que j'ai eu la chance de travailler avec Soufiane Guerrab qui est un comédien avec pas mal d'expériences. Il a très vite compris son personnage qui était un peu différent de ses précédents rôles. C'était plutôt un travail de présence et de contrôle d'espace et du temps. Il ne fallait pas forcément se précipiter pour sortir ses répliques mais surtout s'affirmer parfois dans les moments de silence.
Pour choisir mes acteurs, je ne fais pas attention aux films qu’ils font avant. Je fais plus attention à qui ils sont dans la vraie vie. Lorsque ces deux acteurs m’ont été proposés, je suis allé regarder certaines de leurs interviews, en vidéos ou à l’écrit. C’est là que j’arrive à déceler une personnalité, une manière de s’exprimer. À ce moment là, je peux faire un choix.
Effectivement, Soufiane Guerrab s'affirme aussi dans les séquences en voiture lorsqu'il surveille son ex compagne mais aussi quand il fait du repérage pour ses cambriolages. Ces scènes basculent le film dans le polar noir.
C'est un genre que j'affectionne particulièrement. Alors c'est vrai qu'il y a un côté déceptif dans le film puisqu'on démarre un peu dans ce genre là avec un casse et puis on bascule très vite dans la chronique sentimentale et sociale. J'ai travaillé là dessus. Mais c'est un genre qui me plait vraiment, je ne lis que ça, j'aime beaucoup les histoires de gangsters, de policiers.
J'aimerais bien à l'avenir faire peut-être le contraire de ce film, c'est-à-dire partir de quelque chose de plutôt simple pour resserrer avec quelque chose plus noir et tendu. Il y a un acteur que j'ai en tête à chaque fois et je disais à Soufiane que ce serait bien qu'il se comporte un peu comme ça dans le film, c'est Humphrey Boghart. Ce genre permet d'offrir un certain spectacle au cinéma et de voir des choses que les gens ne feraient pas dans la vraie vie, forcément.
Comment Soufiane Guerrab et Souheila Yacoub ont été choisis pour ce film ?
C’est arrivé très simplement par l’intermédiaire d’une directrice de casting qui m’a proposé leurs profils. Pour choisir mes acteurs, je ne fais pas attention aux films qu’ils font avant. Je fais plus attention à qui ils sont dans la vraie vie. Lorsque ces deux acteurs m’ont été proposés, je suis allé regarder certaines de leurs interviews, en vidéos ou à l’écrit. C’est là que j’arrive à déceler une personnalité, une manière de s’exprimer. À ce moment là, je peux faire un choix.
Ça s’est passé comme ça, je n’ai pas fait de casting, on m’a proposé des profils et j’ai regardé leurs interviews. Et j’ai pris des acteurs qui m’intéressaient le plus. Je trouve que regarder les films précédents des acteurs est très trompeur, c’est une réalité d’un réalisateur qui a filmé un personnage à un moment donné.
Shanna Besson
C’est votre premier long-métrage avec des acteurs professionnels, vous n’avez pas trop appréhendé le tournage ?
Ça s’est plutôt bien passé. On a tourné avant le confinement pendant cinq semaines. C’était compliqué parfois parce que même si un budget d’un million d’euros est très correct, ça reste serré. La difficulté principale était qu’il y avait énormément de décors pour très peu de jours. C’était difficile de faire une vraie mise en scène. Quand on arrivait sur un décor, j’avais à peine 1h30 pour filmer donc c’était difficile de faire plus qu’un champ, contre-champ et un plan un peu plus large.
Mais je suis heureux d’avoir appris avec ce tournage qu’il faut mieux gérer son scénario avec un budget serré, c’est très bénéfique et ça me servira pour mes prochains projets. L’échec est prometteur. Par ailleurs, la collaboration avec Soufiane et Souheila s’est très bien passée, on a formé une véritable équipe. Ils avaient des idées, veillaient l'un sur l'autre et échangeaient beaucoup.
Avec ces contraintes que vous évoquez, est-ce que vous avez modifié le scénario pendant le tournage ?
Bien sûr ! J’ai dû couper 20 pages à trois semaines du tournage. En fait, en coupant, j’ai malheureusement enlevé des scènes qui m’auraient fait du bien au montage et gardé des séquences que je n’ai finalement pas laissées dans le montage final. Il y avait des scènes un peu plus douces et comiques qui auraient pu apporter un peu plus de légèreté. Mais je le répète, ça m’a permis d’apprendre. Ce premier film est une expérience folle qui m’a énormément apporté.
Vous semblez très lucide sur votre travail et en quête d’apprentissage permanent. Est-ce que vous êtes déjà en train de plancher sur de nouveaux projets ?
Absolument, même si je ne sais pas s’ils vont aboutir. J’ai eu de la chance de faire un premier film et d’être validé par une sélection cannoise et un producteur qui me suit. C’est une chance incroyable. Maintenant, vis à vis du public, il faut que je réfléchisse à ce que je peux faire de mieux. Donc j’écris, je développe des choses et je suis à la recherche d’un film qui pourrait être à la hauteur des responsabilités qui sont aujourd’hui les miennes. Je me mets la pression mais une bonne pression.
Propos recueillis par Mégane Choquet le 16 juillet 2021 à Cannes.
