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    La Réunion des Cinémas : pourquoi l'île est le meilleur plateau de tournage du monde
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Responsable éditoriale des rubriques Télé, Infotainment et Streaming
    De Resnais à Ozon, en passant par Maïwenn, Serreau, Donzelli, Klapisch et Sautet, Laetitia se passionne pour le cinéma français lorsqu’il met en scène les choses de la vie, avec fantaisie et acuité. Ce qui arrive bien plus souvent qu’on ne le croit !

    8ème édition et beau bilan pour les professionnels de l'économie et de la culture réunionnaises qui, du 3 au 10 octobre, ont révélé à leurs producteurs et auteurs invités le potentiel de l'île en matière de décors, de moyens, de talents. On y était !

    Gaël Cabouat / Full Dawa productions
    On a enfin eu le film dont on rêvait à La Réunion

    "Depuis que l’on a mis en place l’éductour La Réunion des Cinémas, on a accueilli plusieurs longs métrages et séries. Et à chaque fois, on était content. Mais il y avait toujours un petit chagrin. La musique était de l’île Maurice, l’acteur qui devait faire l’animateur de piscine était plutôt guadeloupéen. Il y a toujours eu un petit couac. Là il n’y en a eu aucun, on a eu le film dont on rêvait à La Réunion, depuis peut-être La Sirène du Mississipi."

    Plus de 50 ans après François Truffaut, c’est Gérard Jugnot qui a choisi de poser ses caméras à La Réunion pour y filmer son tout dernier opus, attendu en salles en 2022. Tourné intégralement dans l’île, avec une très forte majorité de professionnels locaux, Le Petit Piaf est un récit initiatique qui met en scène avec acuité la beauté éclectique de l’île autant que ses spécificités culturelles, sans artifice ni cliché.

    Cerise sur le gâteau, la tête d’affiche autrefois dévolue à Jean Paul Belmondo, a été confiée et c’est une première, à un jeune acteur réunionnais, Soan Arhimann, récent gagnant de The Voice Kids.

    Autant de précieux ingrédients qui expliquent la fierté non dissimulée d’Edy Payet, dont l’Agence Film Réunion (AFR) a pour mission d’accueillir les tournages locaux et (inter)nationaux, mettant en relation et accompagnant les professionnels du secteur dans la concrétisation de leurs projets.

    Cela fait huit ans maintenant que le Délégué Général incarne, aux côtés de Gaston Bigey -Directeur général de l’Agence régionale de développement, d’investissement et d’innovation Nexa- le cœur et la raison d’un projet qui a choisi de faire du développement audiovisuel et cinématographique une priorité, conscient de la capacité de la filière à valoriser les richesses de l’île à grand renfort d’images et de rêves.

    Huit ans de rencontres fructueuses avec des producteurs et auteurs du monde entier, invités à parcourir les meilleurs sites de tournage de l’île, à découvrir les talents locaux et à assister à des conférences centrées sur les aides au développement.

    Huit ans de passions partagées et d’investissements réciproques, matérialisés sur petit et grand écran, malgré la distance, la concurrence et la crise sanitaire généralisée. On fait le bilan.

    Le plus grand décor à ciel ouvert

    "La Réunion est un petit caillou situé à 10 000 km des centres de décision de la Métropole. Si l’on veut développer correctement notre territoire, il faut faire l'effort d'aller chercher à l'extérieur les talents, les savoirs et leur donner l'envie de venir découvrir in situ les atouts que nous avons."

    Cette année encore, les équipes dévouées de l'AFR et de Nexa élèvent le niveau lorsqu'elles offrent aux invités, à peine arrivés, le privilège de découvrir la variété des décors réunionnais à bord d’un hélicoptère les faisant surplomber ses savanes dorées, ses vertes forêts tropicales, ses lagons bleus à perte de vue et sa plaine des sables lunaires aux abords du volcan.

    Nuit au sein d’un gîte libéré du tumulte de la civilisation, plongée au creux du majestueux cirque de Cilaos, concert privé de deux figures mythiques de la musique locale réunies pour l’occasion (Ousanousava et Baster pour les initiés), humour et histoires locales chantées au sein du cabaret prisé des Pat’Jaunes : très vite, les imaginaires se libèrent face à la diversité physique et culturelle d'une Réunion authentique au sein de laquelle tout semble possible.

    Vous avez un plateau qui fait toute l'île !

    "Il n’y a pas de studio à La Réunion, me dit-on ! Mais vous avez un plateau qui fait toute l’île, ça ne vous suffit pas pour commencer à travailler ? Le plus grand décor à ciel ouvert !", s'enthousiasme le réalisateur Rachid Dhibou (Hallal police d’Etat, Jimmy goes to Nollywood).

    "Si Ridley Scott avait vu que près du volcan, il y avait un studio à ciel ouvert, il ne serait peut être pas allé à Budapest pour Seul sur Mars", affirme avec humour le directeur de production Cyrille Bragnier (J'accuse, Le Dindon, Place Publique).

    Avant d'ajouter : "Il faut que vous invitiez plus de gens comme moi sur l'île car je m'occupe de gérer les films dans leur fabrication sur le plan opérationnel. Je décide où on va aller effectuer les prises de vues, autrement dit je dépense l'argent que ces producteurs ici présents arrivent à lever. Et je compte bien dépenser désormais cet argent ici. Je m'en ferai aussi l'ambassadeur."

    Une diversité de cultures et d’histoires inégalable

    "En tant que réalisateur et scénariste, j’ai dit oui à l’éductour par curiosité et avec l’envie, sans attendre, de faire des images, des rencontres, de donner ce que je peux donner, de récupérer moi-même de l’information. Et là j’ai découvert cette terre d’accueil, incarnant la mentalité que j’avais en moi. Sur cette île, tu ne peux pas dire d’où vient la première personne qui te parle à l’aéroport. Quelle force...

    Lorsqu’on me demande mes origines, cela me pose problème et je réponds toujours que je suis d’origine… compétente. On a tellement de retard en France là-dessus. Un endroit où les gens ont appris à vivre ensemble ? La Réunion. L’exemple terrien."

    Pour Rachid Dhibou, le coup de cœur est tel qu’il a d'emblée décidé, après le Nigéria, la République Dominicaine et Abidjan, de tourner sur l’île la suite de sa collection de documentaires sur les infrastructures cinématographiques dans le monde, aux côtés de son ami et acteur Jimmy Jean Louis (l’Haïtien de Heroes). 

    'J'ai mis en écriture également les histoires que Philippe Techer notre guide, m'a racontées. Il est ici pour moi un facteur déclenchant de pas mal d'autres envies. J’ai également vu un court métrage sur la manière dont on enterrait les morts ici. Le fait de faire la paix avec la personne décédée, dans la joie, pour que tout le monde parte en liberté.

    J’ai demandé à rencontrer l’auteur du court métrage pour lui suggérer d’en faire une série qui suivrait l’agence qui organise ces enterrements, à travers le prisme d'un personnage mort, dont on raconterait la vie à travers ce que les gens disent de lui."

    Une île qu'on ne peut imaginer malgré les échos fous entendus sur elle

    Coup de coeur et inspiration également pour la britannique Judy Tossell (Carlos d'Olivier Assayas), productrice à Berlin : "En quête de lieux de tournage, j'ai pris contact avec des gens ici pour effectuer des repérages", confie-t-elle. "Je suis hallucinée à tout égard par cette île, qu’on ne peut s’imaginer tant qu’on ne l’a pas vue soi-même et malgré les échos fous entendus sur elle.

    Est ainsi en train de germer en moi une idée de fiction d’aventure, inspirée par le gite Boulon que nous avons visité. Je me battrai pour que cette histoire voit le jour ici", renchérit Alexandra Clert, créatrice, scénariste et productrice de la série à succès phare de Canal +, Engrenages.

    "On m’avait proposé à l’époque d’assurer la direction d’écriture de la série CUT et j’ai refusé parce que j’avais trop de travail. Quand je vois ce que j’ai raté, je comprends ma bêtise. Je vais réparer et réfléchir à des histoires à écrire en partenariat avec des auteurs réunionnais. J'en ai déjà en tête !", promet également la scénariste de fiction Séverine Jacquet (Un Village Français, Famille d'accueil).

    Science-fiction, polar, série d’aventure ou comédie estivale ? A La Réunion, il y en aurait donc pour tous les goûts comme pour tous les (micros) climats, le tout à vol d’oiseau. Un précieux car très rare atout en termes de temps et d’optimisation des coûts de tournage.

    Gaël Cabouat

    Des aides et moyens exceptionnels mis à disposition

    Filmer le monde à La Réunion : oh oui mais comment ? Parce que le financement est le nerf de la guerre et que l’on ne s’en cache pas, l’un des moments stratégiques de l’éductour consiste à exposer aux invités l’ensemble des dispositifs d’aide et de financements mis en place par la Région Réunion, lors d'une conférence centrée sur l'accompagnement humain et matériel.

    Des mesures régionales compétitives qui hissent l’île en première place du classement national en matière d'aides moyennes aux productions, sur la période 2015-2020, devant l'Ile de France et l'Auvergne.

    NEXA
    Le monde du cinéma, c'est le monde de la culture mais aussi de l'économie

    "Le monde du cinéma et de l’audiovisuel, c’est le monde de la culture mais aussi de l’économie. C’est important de le rappeler, on l’oublie trop souvent. Depuis huit ans, les chiffres sont là et montrent notre réussite", annonce Gaston Bigey avant de laisser Frédéric Lorion, responsable de l’observatoire économique au sein de Nexa, mesurer la prise de poids du secteur via l’augmentation de ses emplois, de ses entreprises et de son chiffre d’affaires ainsi que l’impact économique des aides régionales en fonction du type de production. Ou encore l'effet de levier qui fait que pour un euro investi dans un projet, quatre euros doivent être depensés sur place par la production accueillie.

    "Le but de la journée est aussi de vous montrer où nous nous situons, quels sont les progrès accomplis en 10 ans et comment se font les articulations entre aides nationales, CNC, défiscalisation mais aussi quels sont les crédits d’impôts, combinés aux aides régionales. Du sur mesure", assure Edy Payet.

    Ci-dessous une partie des aides régionales détaillées par Kevin Cerveaux, responsable du service audiovisuel de la Région Réunion

    Faisant suite à la photographie fine d'un secteur qui semble avoir prospéré sans frein ces dernières années, Valérie Lépine, la déléguée de l’Union des Producteurs de Cinéma, a dressé un bilan passionnant des mutations du paysage audiovisuel suite au séisme auquel il a été confronté en temps de Covid. Justement qu'en est-il à La Réunion? Quel impact a eu la crise sanitaire sur les tournages et sur la création ? 

     "Après la période de confinement, la Région a lancé l'appel à projet "La Réunion qui nous rassemble", qui a aidé financièrement les sociétés de productions locales en leur permettant de réaliser des courts métrages sur la même thématique. Dix-huit sociétés ont pu monter dans un laps de temps réduit des courts assemblés en un film choral, diffusé sur Antenne Réunion, Canal + et Réunion la 1ère", nous révèle Christophe Feing, chargé de mission cinéma à l'Agence Film Réunion. 

    "De même, la série O.P.J et le film Hawaii se sont tournés à la fin du déconfinement. Donc on s’est retrouvé avec un embouteillage au niveau des tournages. Il faut dire aussi que pendant la période de confinement, les auteurs et sociétés de production ont pris le temps de revenir sur leurs projets, de les affiner. Cette période de préparation obligatoire a été un mal pour un bien. On a eu également un embouteillage au niveau des dossiers déposés, si bien qu’on s’est retrouvé lors des commissions avec énormément de films à analyser." Un bilan envié car profondément positif là encore.

    De vrais talents locaux inspirés et déterminés

    Réunion des paysages et des visages, réunion des moyens à disposition, réunion des idées prolifiques même en temps de crise … Après le qui, le quoi et le comment, le avec qui s’impose forcément. C’est notamment lors des traditionnelles rencontres BtoB entre les invités (inter)nationaux et les professionnels locaux que l’on a retrouvé les talents des précédents éductours, toujours au rendez-vous, avec de plus en plus d’idées.

    A notre micro il y a deux ans, Jessica Toucoula incarnait déjà le dynamisme et l'originalité de la production locale, avec Isekaï Ran, son film d'animation devenu depuis série de 8X45 minutes, tournée en live action sur l'île : "Je participe à ces rencontres parce que je recherche principalement un coproducteur pour la partie du développement et la partie pilote de ma série. J’ai besoin de quelqu’un d’expérience. Avoir un showrunner ce serait idéal aussi, mais sinon je monterai au créneau", a précisé la touche-à-tout, qui privilégie toujours dans ses projets une approche participative.

    Artiste réunionnais parmi les plus audacieux, Dkpit J nous confiera plus tard dans la semaine, sa fierté de faire voyager son long métrage local Zamal Paradise jusqu'au FESCAPO, l'un des plus grands Festivals de Cinéma Africain. Figure locale incontournable, il est intarissable lorsqu'il s'agit de mettre en avant son île : "Mon film traite du passage de l’enfance à l’âge adulte, et est une métaphore de La Réunion dont le peuple est en train de grandir. Il y a une scène d’anthologie où je traite aussi de l’esclavage."

    Que les reunionnais se voient sur grand écran sans caricature, sans cliché

    "Il est temps à La Réunion de faire un film de rue iconoclaste qui connait les règles mais les casse. Je voulais que le peuple réunionnais puisse se voir sur grand écran et pas sous forme de caricature, de cliché. J’ai travaillé avec une équipe de passionnés qui connaissaient la production de courts métrages, la pub mais n’avaient jamais fait de long métrage. J’étais metteur en scène, producteur, et chef opérateur. On s’est amusé, on a fait cela de façon libre."

    Derniers talents que l'on suit depuis quelque temps déjà : le réalisateur Nantenaina Lova et la productrice Eva Lova, qui ont terminé le Carnet de voyage interculturel "Il était une fois" dont ils nous avaient parlé il y a deux ans, sont parvenus à le diffuser à la télévision mais aussi dans les salles de cinéma réunionnaises en décembre dernier.

    Habitués de l'éductour, ils nous ont expliqué vouloir cette fois y pitcher leur documentaire Soutes à bombes, et obtenir des contacts d’acteurs célèbres à qui ils aimeraient confier la voix des marionnettes du film. Film qu’ils ont en outre réussi à produire suite à leur rencontre avec la coproductrice allemande Nicole Gerhards, invitée à La Réunion en 2019.

    AFR / NEXA

    Des échanges et collaborations prolifiques entre locaux et nationaux

    Energiques, inspirés et créatifs, les talents locaux n'ont en effet pas attendu 2021 pour séduire les producteurs internationaux, qu'ils ont même parfois rencontré en amont des éductours. C'est le cas de la productrice Estelle Sanson (Vernon Subutex) qui travaille déjà sur une série se déroulant à Mafate signée Anne-Valérie Payet (soeur de Manu), détentrice depuis peu de l’aide à l’écriture de la Région.

    C'est le cas aussi de Lucie Portehaut de White star qui, sur les conseils éclairés de son associé Fabrice Préel Cléach, invité de 2019, a eu envie d’inciter ses auteurs à tourner à La Réunion tout en allant à la rencontre de ceux qui écrivent directement sur l’île :

    "Lors des pitchs de l'association réunionnaise Talents La Kour en Métropole, j’ai eu un coup de cœur pour Marcelino Méduse, dont je vais produire le court métrage Ou Mazine Pa, soutenu par la Région et centré sur l’histoire d’amour impossible entre deux jeunes hommes, partagés entre la Métropole et La Réunion. Un déchirement qui parle à beaucoup de gens ici. Deux comédiens assez connus ont déjà été repérés".

    "Parallèlement à cela, je développe avec l’un de mes auteurs Romuald Beugnon, un projet de séries en format court (13 minutes de 16 épisodes pour la saison 1) à destination des jeunes, centré sur le milieu du breakdance réunionnais. Battle fait se confronter à chaque épisode des danseurs, selon une arche narrative qui fonctionne comme les mangas japonais, avec des ennemis de plus en plus difficiles à affronter."

    Deux projets donc et une association avec la productrice réunionnaise Dieynaba Sy et sa société Lambéli pour la série, qui aura en outre recours à un consultant littéraire réunionnais Guillaume Bègue, afin d'assurer justesse et conformité du propos :

    "On a envie que les personnages parlent créole en partie. Le projet vient d’être soutenu en développement à l’unanimité par la Région. On est en contact avec des diffuseurs pour deux saisons. A Paris 2024, le breakdance sera une discipline officielle. Aussi on aimerait tourner une partie de la saison 2 à Paris dans le décor réel des JO 2024. Pour avoir une résonnance avec l’actualité. Le repérage ici se fera début décembre pour un tournage en 2022." Le rendez-vous est pris.

    Comment ne pas tourner à La Réunion, c’est la question que je me pose après tout cela...

    On ne mesure pas à quel point le bouche à oreille puis la rencontre réelle sont importants et rassurants lorsqu’il s’agit de tourner à 10 000 km de chez soi avec des professionnels que l’on connaît peu ou pas.

    Productrice chez UGC Fictions, Sophie Exbrayat reconnaît ainsi avoir éteint il y a 20 ans son désir de s’installer dans l’île, faute d’y avoir trouvé alors les structures professionnelles satisfaisantes. Conquise aujourd’hui par le dynamisme de la filière, elle nourrit le désir d’y tourner la série d’aventure qu’elle a en tête, notamment parce qu’elle sait que dans son parcours de production, elle trouvera les référents rencontrés lors de ce voyage. Interlocuteurs uniques, rassurants et privilégiés qui lui permettront de régler à distance puis sur place les difficultés inhérentes à un tournage.

    "On a un métier qui est ultra concentré à Paris, tous les techniciens sont là et parfois lorsqu’on est obligé de tourner à deux heures de la capitale, on les fait venir avec nous, ce qui coûte une fortune. Se dire qu’on peut aller tourner à La Réunion et trouver un vivier de techniciens, de deuxième ou troisième assistants compétents, c’est extraordinaire. Comment ne pas tourner à La Réunion, c’est la question que je me pose après tout cela", entendra-t-on de Laurent Ceccaldi, producteur de Mixte, première fiction française originale d'Amazon et coup de coeur de la rédaction d'AlloCiné, récompensée par le Prix du public à Canneséries cette année.

    Lui-même avait entendu vanté les ressources humaines de l’île par Bertrand Cohen, producteur de la série CUT. "Sur place, outre l’imprégnation de la culture, du décor, c’est la rencontre avec les acteurs locaux qui est aussi précieuse. On se rend compte de leur vivacité. Moi, je produis La Minute Vieille pour Arte, l'histoire de mamies très sophistiquées qui racontent des sales blagues face caméra. Les décors sont soignés, les comédiennes charmantes et l’humour naît du décalage entre ce qu’elles disent et ce à quoi elles ressemblent.

    C’est devenu une marque d’Arte, que je cherche à exporter. Je suis déjà allé en Belgique et ai discuté aussi avec une productrice québecoise. Or, c'est en voyant ici cette jeune femme productrice réunionnaise me parler du marché à La Réunion et du talent des comédiennes que j'ai eu un flash.

    Je veux faire ici une saison spéciale Réunion. Je pressens une diversité de casting incroyable parce que les gens ne se ressemblent pas, les physiques sont exceptionnels par leurs mélanges harmonieux et cette langue, le créole est incroyable.

    Dès la semaine prochaine, je vais lancer une recherche de comédiennes avec un directeur de casting que j'ai retrouvé ici. L’idée est de trouver quatre actrices de plus de 70 ans, de préférence professionnelles, d'origines différentes. Si le réalisateur est d’accord avec le casting, qui est essentiel, je sais que je vais pouvoir trouver ensuite les techniciens locaux, un chef décorateur etc."

    AFR / Nexa

    Des partages d'expériences décisifs et rassurants entre invités

    On l'aura compris, c'est parce que l’éductour met en relation étroite les talents et référents locaux avec les producteurs nationaux que la confiance s’installe. Mais un autre lien à entretenir et qui est plus ténu, est celui qui se crée au cours de cette semaine idyllique entre les invités eux-mêmes, ces producteurs et auteurs venus de Métropole, forcément prompts à se dire entre eux les choses. Sans filtre.

    "Quand je vais tourner sur une région, j’appelle le producteur, je lui demande un retour d’expériences, des contacts. Des gens comme Marc-Etienne Schwartz et Gaël Cabouat qui ont tourné ici et sont là aujourd'hui, arriveront à se mettre à ma place et à me parler des contraintes avec la réalité de notre métier", nous confie Mathieu Verhaeghe, producteur privilégié de Quentin Dupieux (Au poste, Le Daim).

    Ils sont deux en effet cette année à pouvoir directement témoigner de leur expérience réunionnaise récente. Le premier est le producteur du Petit Piaf cité plus haut, dont la projection technique a eu lieu au cours de la semaine, en présence de l'équipe et de... Gérard Jugnot :

    "Lorsque Gérard Jugnot est arrivé sur le projet, il a voulu déplacer le film qui devait se situer en Afrique à La Réunion, qu’il connaissait pour y avoir joué au théâtre. De mon côté j’avais entendu parler de l’île par Vincent Girerd de Canal +, notre partenaire financier, qui m’en avait dit beaucoup de bien lors de sa participation à l’éductour 2018.

    Cette île, on dit que c'est un caillou, mais c'est un diamant (Gérard Jugnot)

    Le scénario était abouti, fini mais on l’a adapté pour La Réunion avec des retours très justes des membres du comité de la Région et une analyse des équipes de l’AFR qui ont lu le scénario et nous ont donné des conseils sur les spécificités locales. Les techniciens sont bien formés, il y a de la machinerie électrique, du matériel, des caméras, même s'il faut quand même en apporter.

    Je peux confirmer que la comptabilité et les règles sont les mêmes. L’hôtellerie est bonne, les autorisations de tournage sont faciles. Pour les acteurs, on a engagé une directrice de casting d’ici qui a mêlé casting sauvage et consultation du carnet d'acteurs fournis par l'AFR. Le tout avec beaucoup de facilité, de simplicité.

    Dithyrambique lui aussi, l'inénarrable Jugnot a enthousiasmé l'assemblée : "J’ai tourné avec un plaisir fou, des compétences épatantes. Entre juillet et octobre, c’est une saison formidable pour cela. Il fait même frais le soir ce qui est agréable pour les costumières et maquilleuses. Je vous encourage à venir ici, vous avez été épatants, on peut tout tourner ici et ce mélange est bouleversant.

    Ce mot Réunion... Lorsque j’ai fait le casting, je demandais d’où les gens venaient. On me disait "je suis un peu normand, un peu malgache, indien, je suis africain, cafre". Un bordel total. Et je trouve cela assez formidable, cette bienveillance, cet exemple magnifique du vivre ensemble. Cette île, on dit que c’est un caillou, mais c’est un diamant."

    Un diamant que Gaël Cabouat ((Full Dawa production) connaît intimement maintenant lui aussi qui, après avoir animé un workshop avec de jeunes talents locaux il y a sept ans, a eu l’envie de tourner sur l’île la collection Adami, coup de projecteur sur les premières réalisations de quinze acteurs confirmés, présenté dans le cadre du Festival de Cannes :

     "Cela a été un vrai dépaysement pour le public cannois de se prendre une heure de paysages, de musiques, d'histoires réunionnaises. Nos cinq réalisateurs avaient une bible de sujets et ont chacun choisi leur thématique en lien avec l’Histoire réunionnaise.

    Je dois dire aussi qu'ici, en quelques années, vous avez su dynamiser la filière de la promotion, à la formation en passant par l’accueil des tournages. C’est devenu un endroit privilégié pour venir tourner les films, doté d’un vivier de talents locaux, qui ont notamment œuvré au niveau de la bande son remarquable. Cela m’a donné envie de continuer à penser des films ici, les tourner ici', nous livre-t-il, ému lors de la projection qui lui est dédiée.

    Parmi les courts métrages produits avec le soutien de Arnaud Borges de Dum Dum Films, on retiendra tout particulièrement l'humour de celui de Doria Tillier, Diagonale des fous, centré sur la célèbre course réunionnaise du Grand Raid ; et la force de celui de Swann Arlaud, Zorey, qui met en lumière par le prisme de l’intime la scandaleuse histoire des Enfants de la Creuse, jeunes Réunionnais déportés par les autorités dans les années 60, dans le but de repeupler les départements métropolitains victimes de l’exode rural.

    Agence Film Réunion

    Et après ? Une exigence toujours plus poussée

    Tout ceci est magnifique et prometteur, mais que manque-t-il à La Réunion pour aller encore plus loin? Où est le progrès? Loin de décontenancer les organisateurs et invités de l'éductour, la question des journalistes locaux en conférence de presse a le goût du challenge.

    "Il faut faire des masterclass, partager les expériences et échanger les compétences", conseille Rachid Dhibou. "Je reviens en novembre. J’ai l’intention de venir former ici sur les métiers du cinéma. Plutôt que d’attendre un tournage à mettre en scène dans mon documentaire, je vais en provoquer un en tournant pour la région une vidéo de présentation de La Réunion, une vidéo cinématographique, qui montre comment on tourne Mars à La Réunion par exemple.

    Je vais évidemment prendre des jeunes d’écoles de cinéma pour qu’ils fassent un stage, et je vais coréaliser avec un réalisateur réunionnais. Je préfère faire des séries ici qu’un long métrage pour permettre la coréalisation, toujours dans cette idée de partage des compétences, de partage sur le cv."

    "Séduite par la démarche de l'association Cinéastes de La Réunion, j'ai contacté Guillaume Bègue afin de pouvoir parler de mon expérience lors des résidences d'écriture. De même je discute avec Dieynaba Sy de l'idée de mener une formation à Mayotte", nous révèle Karina Si Ahmed (Le Blob, Brassens par Brassens). "Intimement touchée par la diversité culturelle de cette île où le vivre ensemble se conjugue en permanence, je suis très intéressée par ses projets documentaires et ai vraiment le désir de partager, si je le peux, mon expérience de productrice".

    Il faut continuer le combat !

    "Il faut aussi créer des studios", complète Olivier Marchetti de Provence Studio, fondateur de 26 000 m2 de locaux sur une superficie de 22 hectares dans le Sud de la France. "Je suis là, avec Arnaud Borges pour compléter l'offre de services de La Réunion. Il faut être au même prix qu'en Métropole car les producteurs ont une économie à respecter. Il faut offrir une gamme de service complète, avec des technologies classiques, mais aussi des écrans led. Vous avez des décors magnifiques mais avec des studios, vous pourrez tourner 100% du film ici."

    "Il faut, enfin et surtout, continuer le combat mais en Métropole", achève Edy Payet. "Là est encore notre maillon faible. Je l'ai vu encore récemment au Festival de Fiction de La Rochelle. Il y avait une table ronde à laquelle participaient la Martinique et la Guadeloupe, alors que tout se passe chez nous et qu'ils n'ont pas de projets. A la fin, j'ai pris la parole et la patronne de la fiction m'a demandé pourquoi je n'avais pas été invité à participer.

    On le sait notamment aujourd'hui, les Antillais rêvent d'installer OPJ chez eux. Mon intervention froide à La Rochelle a coupé court à toute tentative de délocalisation de la série, qui aurait tué notre économie. Je m'adresse à nos politiques : il faut aller attaquer Paris car on n'y est pas du tout. Il faut que l'on obtienne par exemple une deuxième série. Notre éductour est pourtant envié par la Martinique, la Guadeloupe, la Corse qui nous demandent quel est notre modèle économique. Il faut continuer et se faire connaître, et aller convaincre tous les jours."

    Valérie Lépine / UPC

    Et un résultat remarquable et remarqué

    Décors aux mille facettes, peuple aux mille visages, histoires aux mille sonorités, compétences techniques clés : en s’imposant peu à peu comme terre d’images contrastées et de tournages privilégiés aux yeux des professionnels du monde entier, La Réunion a réconcilié les enjeux culturels, les intérêts touristiques et la plus-value économique, faisant mentir ceux qui opposent en ces temps troublés la culture non essentielle et l’économie vitale à succès. Alors si le combat n'est jamais gagné, on l'a vu, il est au quotidien tout de même rondement mené. 

    "Quand on voit les films que l'on a vu cette semaine, il faut juste retourner en arrière. Il y a 10 ans, on n’avait pas de catalogues de films, on avait un film tous les 20 ans, 40 ans. Aujourd’hui lorsqu’un film arrive chez nous, les postes importants sont pourvus mais tous les techniciens sont réunionnais et c’est une fierté incroyable."

    Ils ont tous tourné à La Réunion ! Retour sur les productions déjà réalisées sur l'île ces 50 dernières années :

    Voici pourquoi vous aurez envie de tourner le monde à La Réunion :

     

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