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    Nos âmes d'enfants : "On ne sait jamais vraiment ce que Joaquin Phoenix va faire sur un tournage"
    Maximilien Pierrette
    Un feel-good movie avec une BO aux petits oignons, un drame situé dans l’Amérique rurale, une pépite qui prend le pouls des États-Unis, il aime se pencher sur la dernière sensation venue de l’autre côté de l’Atlantique.

    Le choix du noir et blanc, ses influences, le côté personnel de l'histoire, sa collaboration avec Joaquin Phoenix… Le réalisateur Mike Mills revient avec nous sur "Nos âmes d'enfants".

    Le 9 février 2020, dans le monde d'avant, Joaquin Phoenix remportait un Oscar du Meilleur Acteur, le premier de sa carrière, pour sa prestation démentielle dans Joker. Le voici de retour sur nos écrans, quasiment deux ans jour pour jour après son sacre, avec un rôle totalement opposé. Sans transformation physique, pour incarner un journaliste en charge de son neveu, qui interroge des enfants sur leur vision du futur.

    Réalisateur de Nos âmes d'enfantsMike Mills (Beginners, 20th Century Women) revient avec nous sur ce long métrage en noir et blanc. De son esthétique à ses thèmes centraux, en passant par sa collaboration avec l'acteur.

    Nos âmes d'enfants
    Nos âmes d'enfants
    Sortie : 26 janvier 2022 | 1h 54min
    De Mike Mills
    Avec Joaquin Phoenix, Gaby Hoffmann, Woody Norman
    Presse
    3,4
    Spectateurs
    3,6
    louer ou acheter

    AlloCiné : "Nos âmes d'enfants" possède plusieurs couches et il y a différentes manières de l'aborder pour en parler. Quel élément a été le déclencheur ?

    Mike Mills : Tout simplement ce qui concerne le fait d'être un parent, d'avoir un enfant. Cela ressemble à un cliché, mais voir le monde à travers les yeux de votre enfant vous change complètement la vie. Le cœur aussi.

    Donc je voulais parler de cette idée d'essayer de donner à un enfant un respect total. Le traiter comme un pair. Ne pas le traiter comme une petite personne mais une personne normale. Je voulais également évoquer à quel point il est intime et intense de sentir que l'on est nécessaire à ce point. Mon film est donc petit et intime, mais il parle aussi de la manière dont cela nous connecte au reste du monde, à la société en général, à l'avenir. Je voulais donc parcourir tout ce spectre, qui va de l'intime au global, mais c'est mon enfant qui a, en quelque sorte, lancé ce film.

    Il s'inscrit ainsi dans la continuité de vos précédents : "20th Century Women" s'inspirait de l'histoire de votre mère, "Beginners" de celle de votre père, et "Nos âmes d'enfants" de la vôtre en tant que parent.

    C'est vrai, mais je ne l'avais pas du tout prévu, car je pense que je n'aurais pas compris comment parler de tout cela. Mais le coming out et la mort de mon père m'ont donné beaucoup de courage, ont changé mon monde et m'ont fait me diriger dans cette voie.

    Mais je ne savais pas que j'allais y rester avec 20th Century Women, ni cette fois-ci. Mais j'aime vraiment le fait de faire un film sur quelqu'un que j'aime et que je peux voir. Parler de quelqu'un que l'on connaît depuis de nombreuses années, et dont on connaît les différentes facettes, cela aide, non pas à être universel, mais à le rendre plus accessible pour les autres. Car j'en parle très intimement et personnellement.

    Voir le monde à travers les yeux de votre enfant vous change complètement la vie

    Dans cette idée d'être accessible, y a-t-il des éléments et situations du film qui vous sont vraiment arrivées ?

    Oh oui, tellement (rires) Mon enfant aimait par exemple se cacher pour me faire peur. Entre autres choses. Beaucoup de choses liées à l'éducation viennent aussi de là. Cette histoire entre un frère [Joaquin Phoenix] et sa soeur [Gaby Hoffmann] c'est, d'une certaine manière, moi qui me relie à toutes les mamans que je connais : celle de mon enfant comme d'autres que je connais.

    Les femmes dans ma vie m'apprennent et me montrent beaucoup de choses sur la façon d'être un parent, comme sur la façon d'être un homme. Beaucoup de ces conversations et de cette dynamique se retrouvent dans le film. J'adore le fait de partir de quelque chose qui s'est vraiment passé pour trouver un moyen d'en faire une histoire.

    Vous avez parlé de cette volonté de vous connecter au monde qui nous entoure : à quel moment du processus d'écriture est arrivée cette idée d'interviewer des enfants ?

    Dès le début, lorsque je me pitchais le film. Je me disais, par exemple, que ce serait un peu comme Alice dans les villes, avec un homme qui part en voyage avec un enfant mais qui ne veut pas être père. J'avais fait des interviews comme celles-ci par le passé, et ce film est né après 2016, donc c'était aussi ma réaction à l'élection de Donald Trump et aux changements des États-Unis.

    Je n'ai cependant pas de bonne réponse à tout cela, à tel point que cela m'empêche d'être créatif tout le temps. Mais j'ai compris que je voulais être dehors, dans le monde. Que ce ne soit pas seulement mon histoire personnelle. Je voulais la développer dans une Amérique plus large, avec beaucoup de personnes et de voix différentes. Donc ça m'est venu au début, car j'ai réalisé que si j'interviewais des enfants, je sortais du cadre personnel de l'histoire.

    Et le film reflète aussi ce que mon enfant m'a fait découvrir. Car je vais tous les jours à son école, je connais ses amis…, cela m'a rendu sensible à l'enfance en général. C'était un élément clé dès le départ, car je me suis dit que cela vaudrait le coup de faire le film, qu'il serait une réaction appropriée à 2016.

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    En voyant ces interviews, je me suis dit que le film aurait pu être un documentaire. L'avez-vous envisagé ainsi, même brièvement ?

    Nos âmes d'enfants est hybride pour moi. Car ces interviews sont des documentaires. Et j'aime comme ils permettent d'élargir le langage cinématographique de mon film. Il possède donc un élément documentaire et un élément narratif. La partie documentaire a nécessité trois jours de tournage, et les interviews avaient lieu au début et à la fin de nos journées de tournage de la partie narrative, et cela a changé la façon dont le film a été réalisé. J'ai l'impression que ça l'a aidé à ressembler à un documentaire, en nous permettant d'avoir la sensation que nous en faisions un chaque jour.

    Est-ce pour cette raison que vous avez décidé de tourner en noir et blanc ?

    Non car je n'associe pas le noir et blanc au documentaire. Au contraire, car je pense qu'il permet de donner un côté fable. Quand vous voyez un homme et un enfant marcher ensemble dans le paysage, on peut avoir le sentiment de voir une image ancienne, une image de fable. Et le noir et blanc vous donne plus d'espace. Le contrat de vraisemblance passé avec le spectateur est beaucoup plus souple.

    Vous pouvez ainsi mélanger des aspects de fable et de film classique avec une sensibilité de documentaire. Et c'est d'autant plus facile à faire en noir et blanc que c'est plus abstrait, que vous ne savez pas où vous êtes. Votre rapport à la réalité est différent et le noir et blanc permet de rendre un film plus artistique.

    Puisque vous parlez de "film artistique" : l'utilisation du noir et blanc et la manière dont les enfants parlent face à la caméra rappelle la Nouvelle Vague en France. Quelles étaient vos références esthétiques ?

    Il y avait Alice dans les villes, réalisé par Wim Wenders en 1973. J'adore ce film et il m'a beaucoup aidé, car je n'aurais pas pu faire le mien sans lui. Et la Nouvelle Vague a évidemment eu une influence sur moi. Hiroshima, mon amour, par exemple, pour la manière dont Alain Resnais utilise le montage et fait des essais sur la mise en scène. Cela m'a influencé sur tous mes films.

    Ou même les lectures avec les textes qui apparaissent à l'écran dans Nos âmes d'enfants. C'est très Jean-Luc Godard. Mais il n'y a pas que des films français qui m'ont inspiré car j'ai aussi pioché dans le cinéma européen : Les Fiancés d'Ermanno Olmi, qui possède un magnifique langage cinématographique, très lyrique. L'éclairage, l'imagerie et le monde que l'on voit à l'écran sont naturalistes. Mais le montage et la narration ne sont pas linéaires, et sont très beaux.

    J'ai beaucoup pensé à ce film mais aussi aux Amours d'une blonde, de Milos Forman, avec son noir et blanc très lumineux. Ou Tirez sur le pianiste [de François Truffaut], qui est très dynamique et où les choses se passent simplement. Je voulais que mon film ait ce type de qualité. Qu'il ne paraisse pas lourd et sur-écrit.

    Les interviews et les réponses des enfants ont-elles changé votre vision du futur ?

    Pas vraiment non. Je trouve toujours très émouvant de parler de l'avenir avec des enfants, car il s'agit de leur propriété, de leur monde. Les interviews n'ont pas changé mon point de vue, mais elles synthétisent le problème qui est le nôtre, en soulignant ce qui se passe et ce que nous faisons maintenant et les implications que cela aura dans le futur.

    Quand vous faites cela dans une histoire centrée sur des enfants, cela augmente les enjeux. Et même lorsqu'ils disent des choses très sombres, parfois très pessimistes sur l'avenir ou sur notre société, ces enfants ont beaucoup d'énergie positive. Car ce sont justement des enfants. Ils ont tellement de vie, tellement d'énergie, que c'est une expérience très étrange que d'entendre une personne aussi brillante, heureuse et pleine de vie parler d'un futur effrayant.

    J'adore le fait de partir de quelque chose qui s'est vraiment passé pour trouver un moyen d'en faire une histoire

    Qu'est-ce qui vous a dirigé vers Joaquin Phoenix pour incarner le rôle principal du film ?

    J'ai toujours trouvé qu'il était le meilleur (rires) J'adore ses performances et, même si je ne le connaissais pas avant, j'ai toujours eu le sentiment que c'était quelqu'un d'intelligent, et c'est ce que je voulais pour le personnage. Pas dans le sens universitaire du terme, mais un homme qui a vécu des choses, suivi une thérapie, qui n'est pas parfait mais examine sa vie en profondeur. Et on le ressent dans toutes ses performances.

    J'ai aussi eu l'impression qu'il était très drôle, et c'est ce que je voulais pour le personnage. J'étais donc très content de l'avoir et j'ai pu constater qu'il était aussi très surprenant : on ne sait jamais vraiment ce qu'il va faire ensuite, comment il va le faire ou communiquer quelque chose. Et c'est la manière de jouer que j'aime le plus pour mes films. Vous sentez qu'il n'y a pas de formule mais quelqu'un qui explore. L'honnêteté dont il cherche à faire preuve chaque jour, c'est vraiment quelque chose.

    Est-ce qu'il a beaucoup apporté à son personnage ? Et même au film ?

    Oui, bien plus qu'à son personnage. Car pour lui faire sentir qu'il pouvait le faire, qu'il le comprenait et que cela avait du sens, lui et moi avons beaucoup lu le scénario, pendant de longues périodes de trois ou quatre heures.

    Il avait beaucoup de bonnes questions alors que nous n'étions pas certains qu'il allait faire le film. Nous étions juste en train de parler de choses qu'il trouvait géniale ou trop évidentes. Cette riche conversation a servi tout le film. Parmi les passages les plus féministes, ceux qui sont le plus attentifs aux femmes, à leur pouvoir et à leur force, beaucoup provenaient de Joaquin.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 11 janvier 2022

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