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    Les Nuits de Mashhad au cinéma : son exil d'Iran, son Prix à Cannes... Rencontre avec l'actrice Zar Amir Ebrahimi
    Mégane Choquet
    Mégane Choquet
    -Journaliste
    Journaliste spécialisée dans l'offre ciné et séries sur les plateformes quel que soit le genre. Ce qui ne l'empêche pas de rester fidèle à la petite lucarne et au grand écran.

    Récompensée du Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes, Zar Amir Ebrahimi est l'héroïne du film Les Nuits de Mashhad, un thriller noir bouleversant basé sur une terrible histoire vraie. Rencontre.

    Thriller choc du 75ème Festival de Cannes, Les Nuits de Mashhad (ou Holy Spider) sort aujourd'hui au cinéma. Le nouveau film d'Ali Abbasi, réalisateur suédois d'origine iranienne qui avait remporté le prix Un Certain Regard il y a quatre ans avec Border, a été distingué lors de cette édition.

    Les Nuits de Mashhad
    Les Nuits de Mashhad
    Sortie : 13 juillet 2022 | 1h 59min
    De Ali Abbasi
    Avec Mehdi Bajestani, Zar Amir Ebrahimi, Arash Ashtiani
    Presse
    3,3
    Spectateurs
    3,9
    louer ou acheter

    Son actrice principale Zar Amir Ebrahimi a en effet reçu le prix d'interprétation féminine pour sa vibrante prestation. Elle incarne Rahimi, une journaliste tiraillée entre ses obligations et ses convictions qui enquête sur Saeed Hanaei, vétéran de guerre se sentant investi d’une mission divine en "nettoyant la ville de Mashhad du péché" par le meurtre de prostituées.

    En racontant l'histoire d'un auteur connu d’une série de féminicides, surnommé L'Araignée, qui a bousculé l’opinion publique dans la ville sainte de Mashhad, Ali Abbasi questionne la misogynie de la société iranienne dans toute sa complexité à travers l'histoire des Nuits de Mashhad, une misogynie qu'a subi d'ailleurs l'actrice Zar Amir Ebrahimi, que nous avons rencontré à Cannes, avant qu'elle ne remporte son prix avec émotion pour ce rôle qu'elle a préparé avec soin grâce à ses connaissances et ses recherches.

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    Zar Amir Ebrahimi, une battante dans un thriller militant

    "En fait, je ne gravite pas très loin du monde des journalistes. J'ai notamment travaillé avec la BBC et j'ai des amis journalistes en Iran, en France, un peu partout dans le monde. Je connais bien la difficulté et les enjeux de leur travail. J'ai contacté mes amis de l'époque en Iran, dont certains qui ont fui depuis à cause des problématiques sociales et politiques.

    Leur situation était plus difficile que je ne le pensais. Les femmes journalistes font face à des insultes, du harcèlement, que ce soit en Iran ou dans d'autres pays, d'ailleurs. J'ai regardé aussi des vidéos de journalistes qui racontent leur expérience avec leurs collègues, leurs rédacteurs en chef mais aussi sur leurs sujets, qui sont parfois des personnalités politiques ou célèbres.

    Je pensais que le monde des journalistes était un peu plus protégé de ces problématiques misogynes mais j'étais choquée de voir que ce milieu ne faisait pas exception. Et j'avais besoin d'avoir un moteur pour façonner mon personnage qui se bat pour la vérité et la justice. J'avais besoin de comprendre pourquoi elle se rendait à Mashhad, pourquoi elle se mettait en danger, pourquoi elle s'exposait au tueur."

    Pour apporter encore plus de profondeur à son personnage, Zar a aussi puisé dans son expérience personnelle, plus grave, puisque l'actrice a été obligée de quitter l'Iran à cause d'une affaire de sextape qui lui a fait non seulement courir un grand danger - sujette à l'ostracisme social et menacée de coups de fouet - mais a aussi ruiné sa carrière en Iran.

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    Les films qu'elle avait tournés à ce moment-là et qui étaient sur le point de sortir ont été retournés avec d'autres actrices pour la remplacer. Il lui a par ailleurs été défendu de tourner dans de nouveaux films ou d'apparaître à la télévision. Elle n'a eu d'autre choix que l'exil :

    "J'avais une vie un peu étrange en Iran. Ce qui m'a fait quitter l'Iran, c'était quand même une histoire grave. C'est une histoire assez spéciale. J'ai eu cette expérience d'être insultée, harcelée. J'ai un peu ajouté ces moments personnels de ma vie aussi dans mon interprétation, comme la confrontation avec un membre du gouvernement ou les réactions des collègues. Ces derniers ont eu peur du scandale, ils ne veulent plus travailler avec toi et ne veulent pas être mêlés à ce genre d'histoire qui peut créer des problèmes avec le gouvernement."

    L'affaire de l'Araignée, qui a duré un an et qui est relatée dans Les Nuits de Mashhad, Zar la connaît bien. Elle était encore en Iran à l'époque des faits et elle se souvient du climat de peur qui régnait là-bas. Non seulement en raison de cette enquête mais aussi en raison d'une autre affaire similaire.

     "Il y avait un autre serial killer, un violeur et un tueur de femmes, à Téhéran. Ces deux affaires ont créé une atmosphère de terreur pour les femmes. L'affaire de l'Araignée avait créé une psychose, il y a eu seize victimes. On se demandait comment il n'avait pas pu être arrêté avant, on se demandait s'il n'était pas lié au gouvernement. C'était horrible. Je me souviens que j'avais peur de sortir de chez moi, de sortir tard. Chaque voiture qui passait aurait pu cacher un tueur."

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    Par son vécu, Zar apporte énormément de sensibilité et d'authenticité à son personnage. L'actrice ne devait pas incarner ce rôle à l'origine puisqu'elle travaillait dans la production avec le réalisateur Ali Abbasi. Finalement, il lui a demandé de s'emparer du rôle. Et même s'ils n'ont pas pu tourner en Iran, l'authenticité et le sens du détail étaient les maîtres mots.

    "J'ai commencé à travailler avec lui en tant que directrice de casting puis productrice durant quatre ans. On a eu une période de préproduction intense en Turquie. Finalement, on a pas eu la possibilité de tourner en Turquie donc on s'est rendu en Jordanie. Les décors là-bas ressemblent un peu à l'Iran. Je suis contente parce que le film est réussi au niveau des décors et des costumes, grâce à l'exigence de toute l'équipe.

    Ali avait envie de tourner en Iran. Il a essayé mais il ne pouvait le faire que s'il acceptait une certaine censure. Parfois, je me dis que c'est mieux qu'il n'ait pas eu l'autorisation pour tourner là-bas parce qu'il aurait perdu beaucoup de choses, et cela aurait nui à son travail. Alors qu'il est tellement honnête sur ce qu'il veut raconter. Ce serait impensable de lui demander d'enlever une scène de son film. Je ne peux même pas imaginer Ali travailler dans les conditions imposées par l'Iran. Et il n'y a pas de censure."

    Au Festival de Cannes, Les Nuits de Mashhad a marqué les esprits et fait sensation auprès du jury présidé par Vincent Lindon puisqu'il a récompensé Zar Amir Ebrahimi d'un prix d'interprétation plus que mérité pour un film immanquable au cinéma, dont la projection a marqué son actrice : "Le compositeur a rajouté une touche de miracle. Quand j'ai vu le film dans cette grande et belle salle du Palais des festivals, j'ai été emportée autant par le film que par la musique.  Dès le générique, on rentre dans le film et on n'en est jamais déconnecté. C'était une expérience inoubliable."

    Propos recueillis par Mégane Choquet à Cannes le 23 mai 2022.

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