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    Un beau matin : comment filmer Léa Seydoux "sans fantasme, comme une vraie personne"
    Laetitia Ratane
    Laetitia Ratane
    -Responsable éditoriale des rubriques Télé, Infotainment et Streaming
    Si Laetitia est exigeante lorsqu’il s’agit de sentiments, c'est parce qu’elle a appris auprès des plus grands. Fanny d’à côté, Clint de Madison, Meg à Seattle, Vincent chez Mlle Chambon ou Julianne chez Mrs Dalloway : tous sont des baromètres inspirants qu’elle visite régulièrement.

    Nous l'avions interviewée au festival de Cannes où son émouvant film a été présenté et récompensé à la Quinzaine des réalisateurs. A l'occasion de la sortie en salles d'"Un beau matin", rencontre avec la réalisatrice Mia Hansen-Løve.

    Cette semaine au cinéma, ne ratez pas la mélancolique et douce chronique du quotidien de Mia Hansen-Løve, Un beau matin : l'histoire d'une jeune femme qui endure la maladie grave de son père atteint de neuro-dégénérescence, en même temps qu’elle vit une passion à la fois empêchée et salvatrice.

    Méconnaissable dans la peau de cette femme de devoir, écartelée par ses sentiments contradictoires, et très loin de l'apparent objet de désir qu'elle incarne souvent au cinéma, Léa Seydoux est remarquable . A ses côtés, Pascal Greggory est bluffant, dans la peau d'un ex-philosophe diminué, que son cerveau puis son corps ont lâché.

    Une histoire de deuil, sur fond de transmission et d'éveil renouvelé, qui s'inspire du vécu de la réalisatrice. C'est à Cannes que nous l'avons rencontrée.

    Un beau matin
    Un beau matin
    Sortie : 5 octobre 2022 | 1h 54min
    De Mia Hansen-Løve
    Avec Léa Seydoux, Pascal Greggory, Melvil Poupaud
    Presse
    3,7
    Spectateurs
    3,4
    louer ou acheter
    Cette maladie qu'a eue mon père et dont il est mort prenait trop de place...

    AlloCiné : En parlant de la genèse de vos films, vous avez souvent évoqué l'impression de ne pas avoir le choix. Comme si leurs existences s'imposaient à vous. Quelle était ici la nécessité à l'origine de ce film ? Pourquoi cette histoire-là à ce moment-là ?

    Mia Hansen-Løve : C'était plus que jamais vrai sur ce film, je dirais. Il y a des films que j'ai davantage choisis, voulus même si j'ai toujours ressenti une forme de nécessité. Mais celui-là non, il s'est imposé. J'ai dû accepter de m'en emparer. Je ne parvenais pas à échapper à ce sujet, pourtant j'ai essayé.

    Mais cette maladie qu'a eue mon père et dont il est mort prenait trop de place. Il était encore en vie lorsque j'ai écrit le film. Mais j'en étais au point où cela fermait l'inspiration à autre chose, j'avais besoin d'essayer de comprendre ce que j'avais traversé et d'y donner un sens aussi.

    Tous mes films ont à voir avec une quête de sens, de vérité. J'essaie de capter ce qu'est la vie pour moi, l'expérience que j'en fais à mesure que le temps passe, que je vieillis. La vie change et l'inspiration se renouvelle. J'essaie en tous cas de transmettre le sentiment que j'ai de la vie à une époque donnée. A ce moment-là, j'avais besoin de me confronter à cette maladie pour la transcender, aller au-delà.

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    Votre héroïne, incarnée par Léa Seydoux s'inspire-t-elle du vécu que vous décrivez ? Dans quelle mesure est-elle proche de vous ?

    Elle est à la fois très proche mais je pourrais aussi établir des différences, des oppositions. Les personnages de mes films sont toujours inspirés de ce que j'ai vécu. Je me retrouve bien sûr beaucoup en elle, il y a des points communs mais les différences permettent de composer un personnage résolument de fiction.

    C'est d'ailleurs ce qui me séduit. Je n'aurais jamais envie de faire un film qui soit la traduction littérale, point par point, de ce que je connais. La part d'inconnu dans une fiction est excitante et tient à mille petites choses. La plus grande d'entre elles étant la rencontre avec les comédiens.

    Quand vous filmez des acteurs, vous ne pouvez pas plaquer sur eux entièrement des personnages pré-écrits, vous êtes obligés d'adapter votre sensibilité à la leur. Les personnages des films sont toujours des rencontres même lorsqu'ils sont extrêmement personnels comme les miens. Rencontre entre la personnalité d'un cinéaste et la présence d'un acteur.

    Le mouvement qui m'excite et donne du sens, c'est ce que Léa, Pascal, Melvil (Poupaud) font avec des rôles que j'ai écrits mais c'est eux qui vont leur donner vie, y apporter des nuances, une mélodie, un phrasé, une personnalité qui va leur ressembler plus qu'à moi.

    Cette rencontre va former un troisième personnage qui ne sera ni moi, ni Léa, mais Sandra. C'est ce qui est merveilleux dans le cinéma et c'est en cela qu'il est consolateur. C'est la traduction exacte d'un sentiment de la vie qui passe par la transformation dans la représentation. A travers la transposition, le flou, le changement, on peut accéder à une vérité encore plus grande.

    Je n'étais pas dans le fantasme, je voulais filmer Léa comme une vraie personne, sous un jour nouveau

    Vous avez écrit pour Léa Seydoux et pourtant dès le premier plan, on ne la reconnaît pas en tant que telle, on n'a pas face à nous la Léa Seydoux glamour ou à laquelle on peut a priori s'attendre. Qu'avez-vous voulu exprimer d'elle?

    Ce qui était excitant dans le fait de travailler avec elle, c'était justement de la défaire de tous ses attributs auxquels on est habitué, alors même que je l'ai admirée dans tous ses derniers films. Je l'ai trouvée extraordinaire mais il est vrai que c'était des rôles souvent plus extravagants, éloignés du quotidien, des personnages qui avaient à voir au fond avec le fantasme d'une manière ou d'une autre. Moi je n'étais pas dans le fantasme, je voulais filmer Léa comme une vraie personne, sous un jour nouveau.

    Quand on filme un comédien, on a envie de le faire redécouvrir, d'une façon ou d'une autre. Le fait paradoxalement de la filmer dans un rôle plus banal, quotidien, proche de la réalité me donnait le sentiment que je pouvais donner accès à une part de son humanité, que le cinéma ne nous a pas forcément donnée à voir jusqu'ici.

    Notamment dans le rapport qu'elle a à l'émotion, Léa a quelque chose de très fort parce que ce n'est pas de l'ordre de la technique et en même temps, elle a une faculté à être en prise avec l'émotion qui est stupéfiante. En la filmant, j'étais impressionnée par la façon dont elle donnait à voir une tristesse jamais commandée, artificielle mais qui naissait des situations, des scènes, qui venait d'elle-même sans jamais que j'ai besoin de la demander.

    Elle est l'inverse de l'actors studio, Léa, elle n'est pas dans la conscience des choses. Elle est, elle devient le personnage, elle vit la situation. Si cette situation fait pleurer son personnage, elle la fait pleurer elle mais on n'est jamais dans un rapport technique avec le métier d'acteur. Ce qui me va très bien, parce que je fonctionne ainsi.

    Films du Losange

    L'héroïne qu'elle incarne, vit en outre des émotions très contradictoires, mêlant le deuil à faire et la passion amoureuse à naître, autrement dit le deuil et la renaissance en même temps...

    Les deux choses sont organiquement liées dans ce film pour moi et de même importance, même si la maladie semble plus spectaculaire. Il y a cette renaissance, la redécouverte de son corps, de sa sensualité, de l'amour qui est ce qui la fait tenir et est redoublé en même temps par ce besoin-là.

    Lorsqu'on est au contact de la maladie, qu'on voit la mort au travail, lorsqu'on vit un deuil sur un temps très long de quelqu'un qui est encore là et plus tout à fait là en même temps, on a besoin de se raccrocher à la vie et pour moi cette rencontre amoureuse, parce qu'elle arrive à ce moment-là, est encore plus nécessaire, de l'ordre de l'élan vital.

    Cela m'intéressait de montrer ce va-et-vient entre la vie et la mort, le renoncement et l'espoir en même temps. On traverse des moments dans la vie où ces deux choses-là sont en miroir et il y a un vertige de cela.

    Je voulais essayer de le faire ressentir, ce vertige qui nous renvoie aussi à une cruauté de la vie, qui la sauve, qui continue au-delà de la solitude irrémédiable de cet homme malade. Mais la vie continue, reprend pour elle avec un bonheur possible. C'est un constat à la fois réconfortant et douloureux et mes films mettent souvent le doigt sur ces paradoxes-là.

    C'est un moment que j'ai bien connu dans le processus de la maladie et j'ai voulu l'amplifier et regarder ce personnage en prenant le temps de le laisser autant que possible apparaître, exister dans ces moments

    Vous mettez en scène, comme en miroir, une figure maternelle forte et comique, incarnée par Nicole Garcia, face à cette figure paternelle fragile et émouvante. Le tout sur fond de transmission matérialisée par la bibliothèque, un thème très important de votre cinéma...

    Il y a toujours deux choses à l'œuvre dans mon cinéma : l'une qui va dans le sens d'une forme de mélancolie et quelque chose qui va vers l'avant, l'avenir. Cette dualité s'est naturellement répartie dans ce film entre ces deux rôles en effet : ce personnage malade, fatalement mélancolique, qui l'était déjà avant et qui est aujourd'hui dans une solitude infinie. Et le personnage féminin, plus pragmatique, en apparence détaché, mais plutôt du côté de la vie. Cette dualité reflète ce qui est au coeur de mon inspiration.

    Un mot enfin sur les dialogues que ce père a avec sa fille : sa pensée est déconstruite forcément et il y a dans cela de la poésie. Quelle est la place de l'échange, de la parole ici ?

    J'ai accordé beaucoup de place à cette parole parce que c'est celle d'un homme qui sombre, qui bientôt ne pourra plus parler. Ce sont ces derniers mots qui sont déjà à la limite de l'inintelligible et pourtant il y a quelque chose qui passe. Il s'agissait de rattraper quelque chose, à la lisière, de garder une trace de ce qu'il est encore, de ce qui passe encore de ce qu'il est à travers des mots qui sont déjà en train de s'effriter.

    Dans chaque scène, on restitue une intention de sa part, quelque chose qu'il n'arrive pas à formuler mais qui raconte ce qu'il est. C'est un moment que j'ai bien connu dans le processus de la maladie et j'ai voulu l'amplifier et regarder ce personnage en prenant le temps de le laisser autant que possible apparaître, exister dans ces moments.

    Et même si on ne peut pas comprendre tout ce qu'il dit, il y a une poésie effectivement et quelque chose qui transparaît dans les moments de lucidité. Quelque chose de fugace que je voulais essayer de capter.

    Comment avez-vous travaillé avec Pascal Greggory, qui est incroyable et méconnaissable aussi dans ce film?

    Il est exceptionnel et ce qui a rendu tout cela possible est surtout son écoute. Il a une abnégation, il s'est perdu, effacé dans le personnage. Je ne voyais plus Pascal Greggory... Je lui ai transmis mes connaissances ou plutôt mes intuitions sur l'expression de cette maladie.

    Il a été très à l'écoute, mais c'était avant tout quelque chose de très intérieur, peu technique. C'était comme un fil qu'il a pu dérouler très vite. J'ai trouvé extraordinaire la vérité qu'il a trouvée et qu'il n'a jamais quittée.

    Lorsque Léa Seydoux commentait le désir dont elle était l'objet :

     

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