La soirée des prochains Oscars, le 21 mars, risque d'être tendue. Lorsque l'Académie des Arts et des Sciences du cinéma avait annoncé en janvier dernier que le réalisateur Elia Kazan recevrait un Oscar pour l'ensemble de sa carrière, les victimes de la "chasse aux sorcières" ont bondi et ont décidé d'organiser une manifestation ce soir là. Car Elia Kazan est certes un grand réalisateur, mais il a aussi un passé très controversé.
Durant la guerre froide entre les Etats-Unis et l'ex-URSS, le gouvernement américain a donc entrepris une "chasse aux sorcières" contre les communistes vivant aux Etats-Unis, dont ceux travaillant dans l'industrie du cinéma. Elia Kazan, adhérant au Parti Communiste entre 1934 et 1936, a ,en 1952 dénoncé, huits collègues du monde du spectacle, communistes, devant la Commission des Activités non américaines.
"Elia Kazan a coopéré avec la Commission sur les Activités anti-américaines de la Chambre des réprésentants, cautionnant leur règne de terreur et mettant sur la liste noire des milliers d'hommes et de femmes soupçonnés de sympathie communiste" a écrit le Comité contre le Silence, organisateur de la manifestation, dans un communiqué de presse.
Et Bernard Gordon, un des co-présidents du Comité, d'affirmer "Nous espérons avoir des centaines de manifestants, (...) notamment le plus grand nombre possible de gens mis sur la liste". Ce scénariste avait été mis sur la liste noire et contraint de travailler sous un pseudonyme pendant des années, comme bon nombre d'autres personnes.
Robert De Niro et Martin Scorsese ont été choisis par l'Académie des Oscars pour remettre l'Oscar au réalisateur qu'elle considère comme "l'un des plus extraordinaires metteurs en scène de ce siècle"". Kazan, aujourd'hui âgé de 90 ans, a réalisé des chefs-d'oeuvres comme en 1952 Un tramway nommé désir avec Marlon Brando, A l'est d'Eden avec James Dean, ou bien encore America America! en 1969.
Oscarisé pour son film L'arrangement, il fut aussi le fondateur de la célèbre école Actors'Studio.
Du monde est attendu lors de la manifestation dont le metteur en scène Abraham Polonsky qui a dû attendre 1969 pour tourner son second film, le premier, Force of evil ayant été réalisé en 1948. Elia Kazan avait dénoncé, entre autres, une actrice Phoebe Brand qui affirme qu'elle ne pourra jamais "pardonner à Elia Kazan" : durant quarante ans, elle n'a pu jouer dans aucun film.
Rod Steiger, acteur dans Sur les quais de Kazan, est contre cette récompense. Selon lui, "l'âge et le talent dans les arts ou ailleurs n'excusent pas un crime". Ce n'est pourtant pas l'avis d'autres personnes, à commencer par le dramaturge Arthur Miller. Dans ses mémoires, "Timebends", il raconte comment Kazan a coopéré avec le Comité par peur de ne pouvoir continuer à réaliser des films. "L'Histoire ne devrait pas être réécrite ; Elia Kazan a fait un travail extraordinaire au théâtre et au cinéma pour mériter cette reconnaissance".
Hollywood est donc divisé en deux : d'un côté les pro-Kazan où l'on retrouve l'acteur Warren Beatty, le Ad Hoc Committee for Naming facts et bien d'autres ; de l'autre, les anti-Kazan qui défendent le fait qu'il a réalisé de bons films mais détruit des vies. D'autre lobbies étrangers (France, Espagne, Italie...) se sont associés à la manifestation qui mettra de l'animation dans cette soirée très "politically correct".
Dans son livre autobiographique, Elia Kazan a écrit qu'il éprouve "deux sentiments : d'abord la sensation d'avoir commis une action repoussante, mais aussi le sentiment contraire lorsque j'ai vu ce que l'Union Soviétique a fait à ses écrivains, avec ses camps de la mort, et puis la répression en Pologne et en Tchécoslovaquie. ". M.L.
