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    Classe-moi X

    Le retrait du visa d'exploitation de Baise-Moi provoque la polémique et relance le débat sur la classification des films X.

    Comme une odeur de soufre et de censure !

    Film scandale, Baise-moi l'est incontestablement. Sur fond de sex, drug and rock'n'roll, le premier film, très discuté et discutable, de la romancière post-punk Virginie Despentes, assistée de Coralie Trinh Thi, ne laisse pas indifférent.

    Multipliant "...les scènes de sexe d'une crudité appuyée et des images d'une particulière violence...", ce road-movie, trash et sanglant, savait qu'il allait provoquer de vives émotions et des réactions véhémentes auprès des spectateurs, et toute autre association bien-pensante. Est-ce un film d'auteur avec une (grosse) poignée de sexe et une imposante dose de violence, ou un simple et vulgaire film porno ? Nuance difficile, lourde de conséquences.

    Saisi par Promouvoir, "association de défense des valeurs judéo-chrétiennes et de la famille" (mouvement proche du MNR, le parti d'extrême-droite de Bruno Mégret), le Conseil d'Etat estime que Catherine Tasca, ministre de la Culture, avait "entaché sa décision d'un abus de pouvoir" en ne classant pas le film X, car celui-ci "constituait un message pornographique et d'incitation à la violence susceptible d'être vu ou perçu par des mineurs, et qui pourrait relever de l'article 227-24 du Nouveau Code Pénal" (dit article Jolibois prévoyant que "constitue un délit, soit le fait de fabriquer, de transporter ou de diffuser un message à caractère violent ou pornographique, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message lorsqu'il est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur"). Baise-Moi ne peut ainsi qu'être inscrit sur la liste de films pornographiques ou d'incitation à la violence, interdits aux mineurs.

    En décidant trois jours après sa sortie, le vendredi 30 juin, de retirer le visa d'exploitation du film, la Haute Juridiction Administrative s'est quelque peu érigée en censeur et défenseur de l'ordre moral. Contredisant la recommandation de la Commission de classification des oeuvres et l'aval de la Ministre de la Culture, qui avait interdit le film aux mineurs de moins de seize ans et assorti d'un message de prévention sur la nature de Baise-Moi. Et provoquant du coup un électrochoc dans le milieu du Septième Art. En effet, l'annulation du visa condamne purement et simplement le film : un retrait immédiat du circuit traditionnel des copies, sous peine d'astreinte financière. Et sa diffusion uniquement dans des salles spécialisées. Autant dire une mise à mort certaine et sans appel puisqu'il n'existe plus en France de tels cinémas inscrits au CNC, hormis le Beverley à Paris.

    Privé de visa, Baise-Moi a été retiré de l'affiche dans les salles Gaumont (UGC ayant renoncé à distribuer le film).

    Seuls le réseau Mk2 de Marin Karmitz, les cinémas de Galeshka Moriavoff (propriétaire du Bastille et St-Lazare-Pasquier) et quelques indépendants provinciaux ont fait de la résistance, en continuant de le projeter durant une semaine, avant de finalement le déprogrammer "provisoirement" ce jeudi 6 juillet, dans l'attente du décret que doit prendre la ministre de la Culture sur l'interdiction aux moins de 18 ans. Un décret qui permettrait la demande d'un nouveau visa d'exploitation.

    En tout cas, la polémique avait permis de gonfler les queues d'attente devant ces cinémas hors-la-loi. Sur l'ensemble du territoire, quelques 26 500 spectateurs (des curieux généralement) se sont déplacés du mercredi au dimanche pour suivre la virée de ces Tueuses-Nées.

    Une législation jugée obsolète

    Au-delà de la polémique autour de Baise-Moi, c'est un pan de la législation sur les films pornographiques qui est mise à mal. Législation jugée dépassée par le milieu professionnel du cinéma et les défenseurs de la liberté d'expression, notamment le Réseau Voltaire, qui dénonce la "censure" du Conseil d'Etat. Ou encore la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) qui proteste "contre cette décision qui condamne la politique cohérente et régulatrice de la commission de classification des films qui a toujours mené une politique démocratique, attentive à la fois à l'évolution des moeurs, à la sensibilité du public et à la liberté de création". Tout comme l'ARP (Société des Auteurs, Réalisateurs, Producteurs) qui dénonce "l'inadaptation de la réglementation actuelle", suggérant que "le gouvernement, en concertation avec l'ensemble des parties intéressées, rénove la réglementation en vigueur en vue de disposer des moyens juridiques permettant de concilier le respect de la liberté d'expression et la protection de l'enfance et de l'adolescence". Même son de cloche pour Jack Lang, ministre de l'Education nationale et ancien Ministre de la Culture, qui "propose de réviser, voire d'abroger la loi du 30 décembre 1975". Bref, une décision du Conseil d'Etat surprenante et critiquée.

    Le classement X enterre un film, compte-tenu du régime particulier appliqué à ce genre cinématographique.

    Une classification datant de 1975, sous l'ère giscardienne, et à un moment de grand déferlement de films pornos en 35 mm dans les salles classiques. Une législation intervenant pourtant à une époque de libéralisation des moeurs (l'après-68), mais aussi l'année du triomphe commercial d'un film soft (on n'y voit pas de pénétrations), Emmanuelle (de Just Jaeckin avec l'inoubliable Sylvia Kristel et son légendaire fauteuil en osier). S'inquiétant de voir les salles de cinéma transformées en temples de l'amour, les pouvoirs publics ont décidé de réagir en les "ghettoïsant", et en surtaxant toutes ces productions : restrictions à l'exportation, TVA majorée à 33%, Taxe Spéciale Additionnelle au prix des places relevée, prélèvement spécial de 20% sur les bénéfices, et exclusion de soutien des mécanismes financiers.

    Comment un film est-il classé ?

    C'est une commission de classification, organisme collégial et indépendant qui siège au CNC, qui décide ou non de classer un film sous X. Elle est composée de représentants du ministère de l'Education Nationale, de professionnels du cinéma, d'experts et de jeunes. Aucun film ne peut sortir sans un visa d'exploitation, précieux sésame pour la (sur)vie d'un long métrage. Un visa délivré par le Ministre de la Culture, après l'aval de cette commission de classification des oeuvres cinématographiques.

    Le décret du 23 février 1990 prévoit quatre classifications possibles. Un film peut obtenir un visa "tous publics", ou se voir apposer une interdiction de représentation aux mineurs de douze ans, aux moins de seize ans, ou encore une interdiction totale. En outre, une classification des films "pornographiques et d'incitations à la violence" vaut une interdiction aux mineurs, et la marque indélébile du X.

    L'étiquetage X s'opère sur des critères subjectifs. Ainsi, un film montrant un coït ou un sexe en l'air peuvent parfaitement échapper aux coups de ciseaux de la commission.

    Les scènes hot avec l'étalon italien aux 26 cm, Rocco Siffredi dans le sulfureux Romance de Catherine Breillat (1999), la copulation tout aussi explicite dans La Vie de Jésus de Bruno Dumont (1996), la fellation de la sexy Maruschka Detmers dans Le Diable au Corps de Marco Bellochio (1985), les explorations incessantes entre les doublures de Guillaume Depardieu et Katerina Golubeva dans Pola X de Léos Carax (1999), ou encore la farandole finale à la queue-leu-leu des Idiots de Lars von Trier (1997) n'ont pas subi les foudres de la censure, malgré la teneur hard de certaines scènes. Un cinéma d'auteur qui marche vers le sexe, vendeur et porteur. Depuis plusieurs années, aucun film n'a ainsi été classé X, ne tombant pas sous le coup de la loi. Ni même Hustler White de Bruce Labruce (1996) qui montrait sans complaisance une orgie gay.

    Aux tenants d'un ordre ultra-moral et du politiquement correct, le milieu du cinéma contre-attaque et se mobilise contre "l'instance de censure suprême qui s'est arrogé le droit d'interdire". Sous l'impulsion de la réalisatrice Catherine Breillat (Une vraie jeune fille, Parfait Amour, Sale comme un age), une pétition de soutien a été lancée pour demander "la restitution immédiate du visa d'exploitation, et en autorisant la vision à toute personne majeure" de ce brûlot. Parmi les premiers signataires, on trouve des personnalités comme Romain Goupil, Tonie Marshall, Jean-Luc Godard, Sonia Rykiel, Miou-Miou, François Ozon, Claire Denis, Jean-Marc Barr ou encore Benoît Jacquot et Pascale Ferran.

    Bref, qu'on aime ou pas, Baise-Moi risque d'être le (chaud) feuilleton de l'été.

    L.B avec A F P

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