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    Gérard Jugnot

    A l'occasion de la sortie de "Meilleur Espoir Féminin", le réalisateur et acteur Gérard Jugnot vous convie à un tête à tête. Une interview à retrouver sur allocinetv.com

    AlloCiné : Si vous n'aviez pas été dans le cinéma, qu'auriez-vous fait ?

    Gérard Jugnot : J'aurais fait tout ce que j'ai fait dans mes films. J'aurais été simple flic, chômeur, coiffeur en Bretagne, peut-être. Je ne sais pas. Je suis bien content d'être ce que je suis parce que j'ai pu être ce que je ne suis pas.

    Votre premier souvenir cinéma ?

    Je crois que c'était Le Ballon Rouge, un film d'Albert Lamorisse (1956, NDLR). Mes parents m'avaient emmené le voir. C'était l'histoire d'un petit garçon qui avait un ballon, et qu'on lui crevait. Je suis sorti de là en larmes. Cela m'avait bouleversé. C'était quelque chose de très fort.

    Il y avait aussi un film de Saturnin, qui m'avait épouvanté, car voir parler un petit canard était terrifiant. J'étais jeune et sensible à l'époque.

    Votre référence absolue comme comédien ?

    Il y en a plein. Michel Simon que je trouve éblouissant. Je parle des morts, car c'est plus facile. Il y a Noël-Noël que personne ne connaît plus et que je trouve raffiné et très élégant. Marcello Mastroianni naturellement, qui peut jouer à la fois des clowns et des séducteurs. Chez tous ces acteurs, il y a de la sensibilité, on sent l'être humain derrière.

    Votre référence absolue comme réalisateur ?

    Buster Keaton. Il a eu la chance de tout inventer. Rien n'existait. Il a inventé la cinématographie de la comédie, du burlesque ; alors que Charlie Chaplin n'a fait que continuer la dramaturgie classique. En tant que cinéaste, Buster Keaton sait filmer la comédie. Ses films sont des trésors.

    A ce jour, professionnellement, votre plus grand regret ?

    Oh, j'en ai sans doute eu. Mais, j'essaie de ne pas vivre avec. J'ai de petits regrets. Je regrette, en tant que comédien, de ne pas avoir tourné avec des gens comme Bourvil, Yves Montand, Lino Ventura, De Funès... Ils m'ont donné envie de faire ce métier, c'était des acteurs formidables et des êtres humains intéressants.

    La pire chose lorsque l'on fait ce métier, c'est l'aigreur. J'essaie de me prémunir contre cela. De prendre tout dans la gueule, mais d'être perméable. J'encaisse et j'essaie de ne pas garder les choses pour moi.

    Votre meilleur souvenir professionnel ?

    C'est toujours le dernier film. Meilleur Espoir Féminin est un souvenir bien présent, de bonheur. Le film s'est fait dans une espèce de sérénité, de simplicité sur des choses assez complexes, difficile à faire.

    Mon plus beau souvenir est Sans peur, sans reproches, un film historique de cape et d'épée. Avec des armures, des chevaux. Et c'est en même temps mon plus mauvais souvenir ; la sortie a été abominable. Les gens ne sont pas venus...

    Votre film de chevet

    Ce ne sont pas des comédies. Il y a Quai des Orfèvres, L'armée des Ombres... ce sont des films que j'adore.

    Dans la comédie, tous les films de Buster Keaton, et le début de La Party (Blake Edwards). J'ai aussi un penchant pour les comédies françaises anciennes, les films de Robert Dhéry, de Noël-Noël...

    Pour les films modernes, il y a La Vie est Belle de Benigni, que j'aurais adoré faire. Un film à la fois drôle et émouvant, sensible. C'est une réussite absolue.

    Votre plus grand désir ?

    Que cela dure...

    Avez-vous un don, un talent caché ?

    Non. Je n'ai rien de caché. Je suis doué pour pas grand chose. J'ai tout fait mal dans les sports (rires) ; j'adore bouger. J'essaie de ne pas cacher mes dons, comme ils sont très minimes. J'arrive à marcher sur un fil, à faire du ski nautique en mono (rires).

    La rencontre déterminante dans votre carrière professionnelle

    Plein de choses, plein d'éléments déclencheurs. Je pense à mon chef scout, qui n'était pas du tout un chef ordinaire. C'était un cinéphile, un fou de cinéma, et c'est lui qui m'a fait découvrir les premiers films en noir et blanc ; à l'époque, je ne connaissais pas tout ça. Il m'a ouvert les yeux sur un cinéma passion. Et en même temps, mes parents m'emmenaient voir des comédies populaires, des films de cape et d'épée avec Jean Marais... Je trouvais cela magnifique dans une enfance un peu terne, nonchalante. Quand j'allais au cinéma, je m'ouvrais à des univers formidables, de rêve, d'espoir, de fantaisie que je n'avais pas dans ma vie.

    Si vous deviez arrêter le métier, que regretteriez-vous le plus ?

    Le plaisir d'être sur un plateau, de fabriquer des films. Moi, ce que j'aime, ce n'est pas être dans le cinéma, c'est faire du cinéma. Le fait que les gens ne me reconnaissent plus dans la rue, ne m'applaudissent pas ou ne me demandent plus de signer des autographes, c'est une conséquence qui m'ennuierait parce que les gens m'auront oublié ; ce qui m'importe est de faire des films, d'être avec une équipe de tournage. Ce travail dure un an et demi. Ce sont des moments très exaltants ; c'est beaucoup de temps pour 1h40 de film. Pour un film, c'est deux ans de ma vie. Ce sont ces deux ans là que j'aime.

    Vous souvenez-vous de votre première réplique ?

    (silence)... C'était pour Salut l'artiste (d'Yves Robert NDLR) ; je faisais "Oh ! Il y a de la fumée dans le champs !". Je jouais le rôle d'un cadreur. J'étais un figurant, une silhouette. Un des comédiens, Georges Staquet, fumait une cigarette, planqué dans un coin et habillé en Napoléon ; et moi, cadreur, je disais "Oh ! Il y a de la fumée dans le champs" ! Voilà.

    Qu'est-ce que "Meilleur Espoir Féminin" ?

    C'est une comédie pour faire rire et émouvoir les gens. Comme le cinéma que j'aime, un cinéma simple qui parle de choses compliquées. La paternité n'est pas une chose simple ; l'humour est une manière d'être simple sur des choses complexes.

    C'est mon 7e film. C'est l'histoire d'une fille qui pourrait être meilleur espoir féminin au cinéma dans la catégorie des César, mais qui est avant tout le meilleur espoir féminin pour son papa. C'est mon dernier bébé.

    Comment est née l'idée du film ?

    L'idée me trottait dans la tête depuis un moment. Juxtaposer, confronter le monde ordinaire, d'où je viens, un milieu simple où mes parents se sont saignés, et donc très éloigné du milieu artistique et cinématographique, et un monde extraordinaire. Cela m'a toujours suffoqué de me voir sur un grand écran et d'imaginer ce que pouvait penser mes proches par rapport à cette image qui était la mienne, surdimensionnée.

    Il y a une scène dans le film où il regarde sa fille pleurer. Ce plan me touche beaucoup. J'imagine mes parents, mon fils, ma compagne voir cela. Voir un moment où je dis "Je t'aime" à quelqu'un d'autre, ou je meurs, ou je suis une ordure, ou je dis des bêtises, ou je suis beau. C'est très surprenant pour quelqu'un de proche, même pour soi de se voir comme cela. C'était de parler de ces oppositions, de promener un miroir sur ces deux univers : la province calme et le Paris frénétique, la vie ordinaire de ce type qui n'est pas du tout déplaisante et la vie des vedettes de cinéma. J'aime beaucoup faire des oppositions.

    Le choix des comédiens

    Casting pour les deux jeunes, Bérénice Bejo et Mohamed Hicham. J'ai fait des essais. Je ne voulais pas de débutants, plutôt des gens confirmés. Le cinéma de comédie est un cinéma difficile à faire. Je ne peux pas me permettre de former un acteur ; je peux le diriger. On prend des comédiens qui ont une petite expérience professionnelle. On choisit les meilleurs. Moi, je peux juger à deux titres : en tant que metteur en scène, et donc de l'extérieur ; mais aussi de l'intérieur où je peux jouer avec eux. J'ai ainsi deux points de repères utiles.

    Je voulais une actrice belle et harmonieuse, à contre-courant de ce que l'on voit d'habitude. Pour le rôle de Mohamed, je ne voulais pas le "beur" de service, en révolte perpétuelle. Je voulais quelqu'un de plus distancié, avec de l'humour, de l'intelligence dans le comportement. Quant aux autres acteurs, je les connais suffisamment. Je vais beaucoup au théâtre, au cinéma...

    Comment s'est passée la collaboration avec Isabelle Mergault, co-scénariste de "Meilleur Espoir Féminin" ?

    Isabelle Mergault est une fille que je connais depuis la période des Grosses Têtes. Elle était venue travailler sur Voyage à Rome (de Michel Lengliney – 1992 NDLR). J'avais vu certains films adaptés de ses scénarios. J'ai vite compris que c'était quelqu'un qui écrivait très bien. Comme j'aime. Elle arrive à mélanger la drôlerie, le pittoresque, le pathétique, l'émotion, des dialogues pétillants. Sur ce sujet précis, elle était la femme de la situation, me semble-t-il. Beaucoup de bonheur à tourner avec elle. Je n'ai surtout pas eu énormément de choses à changer ; elle avait souvent raison, et arrivait tout le temps à me convaincre. C'est une formidable scénariste.

    Vos prochains projets en tant que comédien

    Je vais faire un film avec Yves Lavandier. Un premier film dans un registre différent, plus sérieux. C'est une comédie dramatique, avec Emilie Dequenne (la révélation de Rosetta NDLR) ; j'interviens comme psychothérapeute car c'est une jeune fille qui a de petits problèmes pour aimer. Je suis un personnage assez brillant, assez intelligent, ce qui va me changer (rires).

    Vous abordez souvent des thèmes de société dans vos films (chômage, secte...). Quelle sera la thématique de votre prochain long métrage ?

    Je ne sais pas encore. J'y réfléchis.

    Vous vous mettez toujours en scène dans vos films. Envisagez-vous, un jour, de n'être que le réalisateur ?

    On me pose souvent cette question. Vous savez dans un film, il y a cinquante jours de tournage, et sur les cinquante jours, sauf pour Meilleur Espoir Féminin où j'étais là constamment, bien souvent je n'en fais que la moitié. Dans Fallait pas !, j'ai dirigé la moitié du film en tant que metteur en scène pur. J'arrive à faire des films sans jouer dedans. Mais, pas tout le temps. Je pourrais y arriver, mais je n'en ai pas envie pour l'instant. Ce serait me priver d'un grand plaisir et d'un grand bonheur, qui me destresse lorsque je me mets en scène.

    FILMOGRAPHIE COMMENTEE

    • Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine (1977)

      C'est le gros. C'était Coluche. Il n'a pas aimé faire ce film, on s'est pourtant bien marrés. Des trucs assez rigolos dans le film.

    • Les Bronzés (1978 et 1979)

      Le premier (Les Bronzés), on l'a fait un peu comme des aveugles. Le second (Les Bronzés font du ski) a été une déception à la sortie ; du coup, on a écrit le Père Noël. Je n'ai pas de souvenirs éblouissants de ces deux films. On commençait à être frustré.

      Dans le premier, le rôle ne me plaisait pas. Dans le deuxième, on s'est plus marré. Les gens nous demandent toujours si l'on a rigolé en faisant cela, oui un peu. Vous savez, dix heures dans la neige à –40°C, avec la lumière dans la gueule, c'est moyen. Souvent les films de clown sont difficiles à faire, pas très confortables.

    • Pour cent briques, t'as plus rien (1982)

      Un des premiers films que j'ai fait en tant que vedette, juste après mon one-man-show qui a eu beaucoup de succès. Je trouve que cela était très bien écrit. Beaucoup de plaisir à le faire, et d'avoir travaillé avec Didier Kaminka, Edouard Molinaro, Daniel Auteuil et Anémone.

    • Le Père Noël est une ordure (1982)

      On s'est beaucoup marrés. On avait énormément ri en écrivant la pièce. Très amusant à tourner. C'était Jean-Marie Poiré qui mettait en scène, et de temps en temps, il sortait du plateau car il explosait de rire. Il y avait une folie totale...

    • Papy fait de la résistance (1983)

      C'est étrange. C'est une pièce qu'on avait joué avec Martin Lamotte et Christian Clavier. J'avais un personnage (Adolfo Ramirez, NDLR) qui avait de très belles scènes ; le tournage a duré très, très longtemps. Il y avait beaucoup de "passages" ; j'étais convoqué un jour, on me maquillait, j'ouvrais une porte, et c'était tout. Puis je revenais huit jours plus tard, je ressortais d'un autre endroit, je faisais trois pas, je courais, et je rouvrais une autre porte dans un autre décor. J'ai dû passer une semaine à ouvrir des portes. Et dans le film, cela ne dure que dix secondes. Comme j'avais une scène de poursuite avec Super-Résistant, je n'ai que ce souvenir là.

    • Le quart d'heure américain (1984)

      Un film que j'ai coécrit avec Philippe Galand et que j'aime beaucoup.

    • Le Garde du corps (1984)

      Une autre expérience avec Kaminka (scénariste) qui est moins bonne. Une rencontre avec Jane Birkin, qui est devenue une amie. Et de très bons souvenirs de tournage au Maroc.

    • Pinot, simple flic (1984)

      Mon premier film en tant que metteur en scène et acteur. Un scénario que l'on m'a proposé ; un des rares que je n'ai pas écrit. Je l'ai fait un peu comme un aveugle. J'avais vraiment envie de le faire. C'était pas si mal, mais je ne possédais pas encore la main mise sur le film.

    • Scout Toujours (1985)

      Un film que je n'aurais pas du jouer. A l'origine, mon rôle était l'un des mômes ; bon, j'avais passé l'âge. On a écrit un personnage annexe. Et je m'y projetais, comme le souvenir de mes colonies de vacances. C'était assez sympathique avec un tas de gamins assez gais. J'en ai retrouvé quelques uns ; un est acteur, un autre torero...

    • Tandem (1987)

      Un souvenir fort. La rencontre avec Jean Rochefort. Et avec Patrice Leconte que je redécouvrais. Un tournant dans ma vie ; les gens se sont dit qu'il (Gérard Jugnot) était un bon acteur.

    • Sans peur et sans reproche (1988)

      Un bonheur extrême en le faisant ; un malheur extrême en le sortant. C'est tout.

    • Une époque formidable (1991)

      Film très difficile à faire. Pas de bonheur en le faisant. Beaucoup de doutes. Un tournage dans le froid, dans des lieux misérables. Personne n'y croyait. Peu de moyens, les producteurs étaient réticents, me disaient que j'étais fou de faire ça. Puis, à l'arrivée, gros succès. C'est la première fois que l'on s'est aperçu que je savais tenir une caméra. Un film important dans ma vie. Mais, je n'ai pas eu beaucoup de bonheur en le faisant.

    • Casque Bleu (1994)

      Cela a très bien commencé ; j'étais très heureux et j'adorais faire ce film. Puis, je me suis pété quelque chose dans le bras. Toute la fin du tournage fut alors très pénible. J'avais mal. Un mois de tournage avec des bandages. Je m'étais arraché un ligament en tombant sur Victoria Abril dans la scène où le camion explose. On a eu aussi du mauvais temps, de la pluie, du froid. C'est con, mais j'ai eu mal. (rires)

    • Fallait pas ! (1996)

      Un film fatiguant à faire. On courait beaucoup. Une comédie physique, assez agitée. J'ai eu énormément de plaisir à casser des voitures, à exploser des chalets. Puis, j'ai oublié les deux personnages principaux sur lesquels j'aurais pu mettre davantage l'accent, à l'inverse des seconds rôles. Gros succès de rires dans les salles lors des avant-premières. Mais, le film a moyennement marché. Une petite déception ; on attendait un peu plus.

    • Trafic d'influence (1999)

      Rigolade extrême. Le film n'est pas complètement réussi. De belles scènes, mais un problème de scénario. On le savait en le tournant, mais Dominique Farrugia est un mec formidable, donc on s'est défoulés à faire ce film. On s'est régalés ; on a ri comme des malades. Le film est un peu entre deux chaises.

      Des moments épatants, très bien filmés, mais aussi des faiblesses de scénario qui font que l'on ne croit pas trop à l'histoire. La petite Aure Attika manquait un peu d'autorité ; elle était intimidée par Thierry Lhermitte et moi. En dehors d'être une très belle femme, c'est aussi une bonne comédienne ; elle aurait dû un peu plus nous mener, alors que c'est nous qui l'avons menée. C'est dommage. Mais, cela reste un très bon souvenir.

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