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    Enquête : La projection-test est-elle taboue ?

    "Made in Hollywood", la projection-test s'impose en France. Focus sur une pratique marketing controversée.

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    Liaison fatale, Pour l'amour du jeu, Rollerball, Le 13e Guerrier ou encore A la dérive (attendu en France le 5 mars 2003)... Qu'ont en commun ces films américains pourtant si différents ? Tous ont été "modulés" par les résultats de projections-tests. Cette pratique, consistant à confronter un film à un public précis en vue de le "corriger", est devenue un véritable rituel dans l'industrie hollywoodienne : les réactions de l'assistance peuvent ainsi être utilisées pour opérer un nouveau montage du film, réorienter son propos, supprimer certaines séquences, changer sa fin ou influer sur sa stratégie de promotion.

    En France, nombreux sont les professionnels qui s'insurgent contre l'utilisation de la projection-test dans le processus de création d'une oeuvre. Pourtant, dans les faits, cette procédure est en passe de se généraliser dans l'Hexagone, certains producteurs et distributeurs assumant le fait d'y avoir recours, d'autres préfèrant garder le secret... Ainsi, certaines sociétés privées, comme Cinétude, IMCA, Médiamétrie ou encore l'Observatoire de la Satisfaction, sont de plus en plus sollicitées par les distributeurs et dans une moindre mesure par les producteurs. Au cours de l'année 2001, près de cinquante films ont été testés.

    Cyril Evrard-Noize, responsable de l'outil "Cinétest" mis en place par Médiamétrie, explique cette tendance : "Les professionnels ont pris conscience que l'oeuvre cinématographique confrontée à son marché devient un produit". Bertrand Lott, journaliste à Ecran Total et directeur de l'Observatoire de la Satisfaction, constate pour sa part l'apparition d'une nouvelle génération de "dirigeants", ayant davantage une vision marketing du cinéma et ne se limitant plus à travailler avec leur seul instinct.

    Radioscopie des scènes

    Pour participer à une projection-test, rien ne sert de courir. Le recrutement des spectateurs se fait souvent de manière aléatoire, par téléphone. Ces derniers ne sont généralement pas avertis sur la nature du film qui sera visionné. Les cabinets spécialisés peuvent avoir recours à un échantillon représentatif de la population cinéma ou à un panel plus restreint lorsque le client a déjà une idée précise du public auquel son film s'adresse.

    Deux types de méthode sont ensuite envisagés pour mettre en valeur les forces et les faiblesses d'un long métrage : celle du questionnaire distribué en fin de séance aux spectateurs, ou celle, plus qualitative, des réunions de groupe qui permettent à ces derniers de s'exprimer librement sur le film et de rentrer dans les détails (personnages, durée, esthétique générale...). Caroline Decriem, responsable des relations publiques à l'agence Lumière, invite néanmoins à la prudence du fait de l'environnement artificiel et confiné de l'étude. Les résultats d'une projection-test peuvent être faussés par le fait que les personnes interrogées, n'ayant pas payé leur place, ont du mal à formuler des critiques constructives.

    Cinétude met également à disposition des professionnels du cinéma une procédure appelée "radioscopie des scènes". Cette méthode, facile d'utilisation, permet de travailler le film séquence par séquence en analysant la capacité de mémorisation et d'appréciation de chaque scène par le public. La Vérite si je mens ! 2 a notamment fait l'objet de cette radioscopie au stade du montage afin de valider ou d'invalider les quinze premières minutes du film.

    Projection d'affinage

    La projection-test peut également servir à affiner le positionnement d'un film et ainsi mettre en place sa campagne de lancement. C'est généralement l'usage qui en est fait en France. Il s'agit alors de déterminer le profil du public intéressé. La société de distribution EuroZoom a notamment organisé des projections-tests pour le lancement de Scarfies et Féroce, et a pu constater que ces films s'adressaient prioritairement à un public étudiant. Laurence Petit, responsable de la communication pour Haut & Court, préfère parler de "projection d'affinage".

    Ainsi, les tests dont a fait l'objet La Sirène rouge d'Olivier Megaton avaient pour but de conforter le distributeur dans ses choix de stratégie de promotion. Pour Christophe Courtois, directeur marketing de SND, il n'est pas question de voir dans la projection-test un outil de montage, mais un moyen de confirmer le potentiel d'un film et de connaître le bouche-à-oreille. Concernant la sortie de Riders, la décision d'axer la campagne de lancement sur le côté rollers du film, notamment dans le montage de la bande-annonce, découlait ainsi directement des appréciations du public. Pour autant, aux vues des scores obtenus au box-office français par ces deux longs métrages (188 399 entrées pour La Sirène rouge et 757 027 entrées pour Riders), la projection-test ne garantit pas automatiquement le succès public.

    Tous s'accordent à dire que les résultats engendrés par une projection-test, quand bien même désastreux, n'ont jamais empêché un film de sortir sur le territoire français. Toutefois, il est arrivé au service de presse de Warner Bros. France de faire appel aux jugements d'une poignée de journalistes pour décider ou non de la sortie dans les salles françaises de Les Supers Nanas - Powerpuff girls, le film, un dessin animé américain peu connu dans notre pays et produit par la chaîne câblée Cartoon Networks. Le distributeur souhaitait savoir si le public français était à même d'apprécier le ton décalé et le côté "kitsch" de ce film d'animation. Finalement, The Powerpuff girls bénéficia d'une exploitation en salles, mais la solution consistant à privilégier le circuit de la vidéo pour les fêtes de Noël avait un temps été envisagée.

    Un sujet tabou ?

    Aujourd'hui, rares sont encore les professionnels à avouer l'utilisation de la projection-test. L'idée qu'un film est testé parce qu'il est mauvais reste encore largement répandue dans le microcosme cinématographique. Florient Genetet-Morel, de Pathé Distribution, admet qu'un tel aveu peut en effet donner une image négative au film et porter préjudice à son exploitation en salles ou en vidéo : retoucher un film après une projection-test devrait donc rester l'un des secrets de fabrication d'un long métrage. Valérie Champetier, directrice du département cinéma chez IMCA, explique ce préjugé par le fait que le recours à la projection-test est souvent perçu comme un manque de création de la part des concepteurs du film. Selon elle, son utilisation ne devrait pas seulement se justifier par le fait que ces derniers puissent émettre des doutes sur la carrière commerciale ou la qualité artistique de l'oeuvre en question. Bien au contraire, cette pratique devrait être considérée comme une chance supplémentaire qui leur est donnée pour esquiver une erreur de stratégie et minimiser les risques.

    Au final, les projections-tests, comme le souligne Cyril Evrard-Noize, doivent suggérer une idée, aider à la prise de décision et non remettre en cause les convictions du réalisateur. Ce dernier doit rester maître du final cut, c'est-à-dire du droit au montage final au nom de la sauvegarde de l'indépendance artistique. Comme aime à le rappeler Christophe Courtois, "on ne devrait pas toucher au cadeau, tout est question d'emballage".

    Guillaume Martin

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