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    Le Sel de la Terre : "raconter l'histoire du monde" à travers l'oeuvre de Sebastiao Salgado
    Clément Cuyer
    Clément Cuyer
    -Journaliste
    Clément Cuyer apprécie tous les genres, du bon film d’horreur qui tâche à la comédie potache. Il est un "vieux de la vieille" d’AlloCiné, journaliste au sein de la Rédaction depuis maintenant plus de deux décennies passionnées. "Trop vieux pour ces conneries" ? Ô grand jamais !

    Rencontre avec Juliano Ribeiro Salgado, coréalisateur avec Wim Wenders du Sel de la terre, fascinant documentaire centré sur le travail du photographe Sebastiao Salgado aux quatre coins du globe.

    Sebastião SALGADO / Amazonas images

    Lors du dernier Festival de Cannes, le documentaire Le Sel de la Terre a marqué les regards et les esprits, obtenant le Prix Spécial Un Certain Regard et une Mention Spéciale du Prix du Jury Oecuménique. Portrait du photographe Sebastiao Salgado co-signé par son fils Juliano et le cinéaste allemand Wim Wenders, illustré en grande partie par les fascinants clichés de l'artiste pris aux quatre coins du globe, ce documentaire est un troublant et puissant miroir de notre monde et de ceux qui l'habitent. Un témoignage qui alerte mais se veut également optimiste pour les temps futurs. Indispensable.

    AlloCiné : Qu'est-ce qui vous a décidé à réaliser, en compagnie de Wim Wenders, un documentaire sur votre père, le grand photographe Sebastiao Salgado ?

    Juliano Ribeiro Salgado : Ce qui nous a réuni autour du film avec Wim Wenders, ce sont les histoires. Sebastiao, on le sait, est un grand photographe, il fait des expositions vues par beaucoup de gens, il est consacré... Mais depuis toujours, cet homme part en voyage et revient avec une quantité d'histoires à raconter, des choses encore très vivantes en lui, issues de ses rencontres, de ses expériences... Il partait très longtemps et revenait avec plein de conseils pour moi, pour survivre au monde qu'il connaissait. Moi, j'étais à Paris, il y avait un décalage. Quand on a eu l'occasion de faire ce film, j'ai donc eu l'intuition très forte qu'il fallait qu'on mette en avant les histoires que Sebastiao avait à raconter, en se servant notamment de ses photos. Il fallait que ce soit un film sur un type qui pouvait témoigner, qui a eu des expériences uniques du monde pendant 40 ans. On voulait raconter ça.

    AlloCiné : De quand date précisément cette envie d'évoquer son parcours ?

    En 2009, il s'est passé deux choses fondamentales. Quelques jours avant qu'on parte en voyage pour la première fois ensemble, j'appréhendais un peu. On devait aller passer trois semaines avec les Zo'é, une tribu qui parlait à peine portugais. On allait se retrouver dans une situation de huis-clos avec mon père... J'ai amené ma caméra, car je fais des documentaires depuis très longtemps. Je me disais que c'était l'occasion de garder une trace de Sébastiao travaillant. Sur place, l'expérience a déteinte sur nous, on a vécu un super moment ensemble. Surtout, quand je lui ai montré le montage des images, il s'est ému en voyant la manière dont je le voyais. Il y a eu une espèce de dialogue, d'ouverture à travers nos regards interposés. Ca m'a beaucoup touché et donné confiance qu'on pouvait faire un film sur lui, qu'il allait accepter mon regard, l'intrusion de la caméra, ma présence à ses côtés. J'avais l'intuition qu'il y avait un truc à transmettre : toute ces histoires et expériences du monde, uniques, qu'il avait connues.

    AlloCiné : Comment décririez-vous le travail de votre père ?

    Son point de vue est très spécial, car quand il part faire des photos, il passe très longtemps avec les gens qu'il va photographier, il fait des rencontres. Je pense que son talent, c'est de savoir où mettre la caméra pour qu'on puisse sentir l'émotion qu'il a ressentie au moment où il est avec les gens. Il a un sentiment, une émotion, un attachement, une relation... et il photographie ça. C'est rare et super fort. Il a changé, il a longtemps été un photographe social dont la grande qualité était de passer beaucoup de temps avec les gens, de s'émeuvoir, de s'ouvrir. Puis, après avoir été détruit par son expérience au Rwanda, il y a eu une deuxième partie dans sa carrière ou il a voulu partager sa vision du monde et son optimisme sur le monde. Au sortir de ça, il est devenu un artiste pour de vrai.

    Donata Wenders / NFP*

    AlloCiné : Ses photos sont d'une puissance incroyable, plus fortes que toutes les images qu'on peut voir tous les jours à la télévision...

    En fait, c'est l'histoire des gens qui sont sur la photo. On met beaucoup de distance avec les gens qui vivent loin de nous, qui vivent des drames. Souvent, on se protège ainsi de ces choses-là. Mais Sebastiao ne met pas de distance, ses histoires sont vraiment des rencontres et nous aussi, du coup, on rencontre ces gens. Tout d'un coup, on voit leur image et on est très près d'eux à travers Sébastiao. Je pense que ça a un pouvoir très fort. Je trouve que le film est assez emblématique des horreurs qui se passent dans le monde aujourd'hui, mais en le regardant, on peut se dire qu'il y a de l'espoir. Il y a quelque chose de très fort, un vrai message...

    AlloCiné : Racontez-nous votre travail avec Wim Wenders...

    Avec Wim, qui est fan du travail de Sebastiao, on a réalisé qu'à travers certains des reportages de mon père, à travers l'information de son regard, il y avait une histoire dramatique et dramaturgique. Qu'on pouvait raconter l'histoire du monde et qu'à travers la transformation de Sébastiao, on pouvait transmettre quelque chose de très positif sur ce monde. Avec Wim, on a eu deux types de relations. Au début du montage, on était plutôt dans une relation d'opposition, on essayait d'imposer chacun sa vision des choses. Ensuite, on a partagé l'expérience, on a fait ce film ensemble. Et dans les deux cas, j'ai énormément appris de lui. C'est un type qui a une qualité rare : passer de l'idée à la traduction cinématographique de l'idée.

    AlloCiné : Allez-vous continuer à voyager avec votre père ?

    Des voyages, oui, mais pas pour travailler. Juste pour être ensemble. Se rencontrer et vivre notre vie familiale, enfin, pleinement.

    La bande-annonce du "Sel de la Terre" :

     

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