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    INTERVIEW "18 jours": Le cinéma égyptien frappe fort!

    A l'occasion de la sortie de "18 jours" ce mercredi, nous avons posé quelques questions à Yousry Nasrallah, réalisateur du très remarqué "Femmes du Caire". Il nous revient avec un film inspiré des révolutions arabes et nous parle de ce projet collectif.

    1. Comment est né le projet « 18 jours » ? Pouvez-vous nous expliquer le choix d’un film collectif ?

    L'idée m'a été proposée par Marwan Hamed (réalisateur de "L' Immeuble Yacoubian" et de "1919") le 29 janvier, sur la Place Tahrir. Faire dix fils de fictions autour de la révolution, en donnant à chaque réalisateur la liberté de choisir l'angle et la forme qu'il veut. Le choix du film collectif nous semblait le plus apte à rendre compte de la diversité des situations humaines déclenchées par la révolution. De toutes les manières, le propre d'une révolution est de vous pousser vers le collectif. C'est presque une évidence. L'idée était aussi de permettre au plus grand  nombre possible d'auteurs, réalisateurs, techniciens et comédiens de participer à un projet qui marquerait leur soutien et leur adhérence à la révolution.

    2. Que représente le court-métrage dans votre carrière ?

      Dans les vingt et quelques années de ma carrière, j'ai fait quatre court-métrages. Deux pour célébrer le centenaire du cinéma égyptien ("Une Journée avec Youssef Chahine" et "Le Figurant"). J'ai aussi tourné "Objet trouvé sur un tournage" qui a été montré à la Cinémathèque Française dans le cadre de l'exposition "Brunes/ Blondes".  Puis il y a eu "Intérieur/ Extérieur". Chacun de ces films, et chaque fois de manière différente, m' ont appris qu'il y avait plein d'effets dont je peux me passer.

      3. Malgré le fait que les films soient tous fictionnels, l’aspect documentaire n’est pas exempt de ces films (utilisation des images d’archive, éléments véridiques, discours de Moubarak, témoignage face caméra)… comment définiriez vous cette esthétique que l’on retrouve notamment dans Création de Dieu ? Avez-vous inclus dans votre film des images que vous avez filmées lors de la révolution ?

      Depuis le début de la révolution, et jusqu'à présent, je porte avec moi une toute petite caméra qui me permet de tourner en HD des moments qui me semblent importants sur la place Tahrir et ailleurs. Une manière de tenir un journal personnel. Quelques unes de ses images ont été intégrées dans "Intérieur/ Exterieur".

      D'autres images, comme celles utilisées par Kamla Abou Zikri, ont été choisies parmi des milliers d'images tournées par des amis ou trouvées sur YouTube, et sur lesquelles elle a reconstruit le drame très personnel d'une jeune femme qui s'est teint les cheveux en blond et qui ne sait pas si Dieu lui pardonnera ce "pêché" d'avoir "changé Sa création". C'est l'une des oeuvres que je préfère dans cette série. Pour la simple raison qu'elle a trouvé, avec beaucoup d'intelligence, une forme qui met en parallèle  le "pêché" de vouloir être belle, et celui de se révolter.  Ce mélange entre le collectif (documentaire) et le personnel (fiction), me semble inhérent à une révolution.

      4. Tout comme dans votre film "Femmes du Caire" vous avez choisi de conter les événements de la révolution à travers un regard féminin. Pourquoi ce choix ?

      Ce qui m'intéressait dans cette histoire était surtout comment une relation amoureuse ou conjugale pouvait se reconstruire dans un moment de révolution. La révolte de Mona n'est pas dirigée contre "l'autorité" de Mustafa, mais contre la peur de celui-ci, et son déni de ce qui se passe hors de son petit foyer confortable. Bien sûr que la liberté de l'Egypte, ne peut être envisagée qu'avec la reconquête des libertés personnelles et notamment celles des femmes... Mais à ces niveaux il reste encore beaucoup à faire, et la chute de Moubarak ne suffit pas pour accomplir ni l'une ni l'autre.

      5. Qualifieriez-vous ce projet de « militant » ? Étant donné les événements qui ont eu lieu à Cannes, peut-on réellement dissocier, dans ce cas précis, esthétique et politique ?

      Ce projet est militant dans la mesure que tous ceux qui y ont participé ont voulu déclarer leur soutien à la révolution à un moment où rien n'indiquait que cette révolution serait victorieuse, ou que Moubarak et ses sbires partiraient. Le projet est parti d'un élan où il n'y avait aucune "dissociation entre esthétique et politique". Tous les participants souhaitaient le départ de Moubarak, ou du moins étaient opposés au plan de le faire succéder par son fils Gamal. La plupart des films étaient déjà finis bien avant que Cannes n'exprime son intérêt pour l'ensemble. Je crois que la controverse de Cannes ne peut être comprise, ni aboutir à une synthèse politiquement utile, que dans le contexte d'une discussion large autour des rapports très pervers qu'ont entretenus les dictatures arabes avec les intellectuels.

      6. Comment avez-vous pallié à l’urgence ? En combien de temps avez-vous réalisé « Intérieur/extérieur » ?

      L'urgence n'est pas nécessairement une contrainte. Le fait d'être dans une situation où une équipe peut tourner sans passer par la censure, de ne pas être obligé de trouver un producteur, ni d'obtenir des permis de tournage auprès du Ministère de l'Intérieur, ni de se soucier d'une quelconque rentabilité économique d'un projet, mais être persuadé de son utilité et de se retrouver entouré de gens de talent qui partagent tous cet élan... n'est-ce pas une situation de rêve pour tout créateur?

      "Intérieur/ Extérieur", ainsi que la plupart des autres films ont été tournés en deux jours et finalisés  en une semaine seulement après le tournage. Quand Cannes a exprimé son intérêt pour le film, et que des distributeurs ont vu dans le projet un potentiel commercial, tous ceux qui ont participé au film ont décidé de créer une association qui aura pour but de diriger tout revenu du film vers des organisations non gouvernementales qui s'occupent de projets concernant les écoles et la santé.

      7. Beaucoup d’échos sont visibles entre les 10 films : le thème de l'enfermement est très exploité  Comment expliquez-vous cela ? Par ailleurs, on peut noter une forme d’humour qui parcourt beaucoup de ces films. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

      Je crois que tous les films partent du même sentiment que tous le Egyptiens ont ressenti: celui d'être finalement sortis d'un état de torpeur, d'humiliation, de mépris de soi, de peur et d'enfermement. Ce sentiment de soulagement, on l'a ressenti sur la place Tahrir et surtout dans la manière que nous avions en manifestant notre soulagement en réinventant collectivement le sens de l'humour -si égyptien - qu'on semblait avoir perdu.

      8. Pensez-vous que le cinéma égyptien se libère depuis les événements de janvier et que va éclore un nouveau cinéma militant ?

        La libération de l'Egypte ne fait que commencer, et il reste énormément à faire. Mais ce dont je suis certain, est que le personnage du rebelle - si rare dans notre cinéma, et si marginalisé - commencera à s'imposer dans nos films. Et avec lui, sûrement d'autres formes de récits, déjà annoncées par des oeuvres aussi magnifiques que "1/0" de Kamla Abou Zikri (réalisatrice de "Création de Dieu") et "Microphone" de Ahmed Abdallah (réalisateur de "Fenêtre") ainsi que "L' Immeuble Yacoubian de Marwan Hamed (réalisateur de "1919").

        9. Avez-vous eu l’occasion de voir des films tunisiens qui ont été faits au même moment tels que « Laicité inch’allah » de Nadia El Fani qui sort le 21 septembre et « Plus jamais peur » de Mourad Ben Cheikh ?

          Hélas, non.

          En savoir plus: 18 jours

          Par Dounia Georgeon

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