Monument du cinéma français, mis en scène par un autre monument de ce même cinéma français, "Le jour se lève" de Marcel Carné mérite toutes les louanges qu'il lui sont faites.
Car avec ce récit complexe de carré amoureux (schéma rare au cinéma), Carné développe une oeuvre dense à la beauté envoûtante.
La narration s'articule autour de deux temporalités, celle de François (magnifique Jean Gabin) barricadé dans sa chambre après avoir abattu un homme, et l'autre nous expliquant ce qui l'a mené à devenir un meurtrier, entre amour et trahison.
Si les transitions de l'une à l'autre sont souvent hasardeuses et peu compréhensibles, le tout reste habilement construit.
Les souvenirs de François sont parfois tout autant magnifiques que déchirants.
En ce qui concerne le "déchirant", je retiendrais cette scène entre François et Clara durant laquelle cette dernière dit "Heureusement que l'on ne s'aime pas", car ils savent autant que nous que c'est faux.
L'aspect trop binaire des personnages peut toutefois dérouter, surtout que leur relation n'évolue finalement que très peu, bien que l'intention soit compréhensible, celle d'une opposition marquée, jusque dans le comportement des uns et des autres, elle reste problématique.
Cependant, si les souvenirs sont intéressants, la partie au présent elle, est passionnante.
Car durant ces instants courts, et à la fois tragiques, Carné fait de François un homme désespéré dont l'unique envie est d'être seul alors que tout le monde s'amasse sous sa fenêtre, avec le désir morbide de voir ce qui va se passer.
Et là, le cinéaste, en plus de créer nombre d'images stupéfiantes par sa mise en scène élégante, dit quelque chose sur la culpabilité, notre culpabilité, car au final ces gens sous sa fenêtre c'est nous.
Nous voulons savoir, tout savoir, sur ce qui a poussé cet homme, d'apparence tranquille, à en tuer un autre, et si possible, voir l'issue sordide qui l'attend.
C'est terrifiant car l'identification est immédiate.
"Vous lirez ça dans le journal [...] et puis vous le lirez, et puis vous le croirez", les dialogues de Prévert. Immense.