Beaufort : les secrets du tournage

"L'histoire de Beaufort, explique le cinéaste Joseph Cedar, parle de la manière dont se terminent les guerres, et c'est ce qui m'a le plus intrigué. Dans chaque conflit, survient toujours un moment aussi brutal que définitif où la mission, ou l'objectif pour lequel des soldats ont donné leur vie jusque-là, cesse d'exister. Dans Beaufort, ce moment arrive avec la gigantesque explosion qui détruit l'une des montagnes les plus ensanglantées du Moyen-Orient. C'est un moment inoubliable, saturé d'adrénaline, mais aussi une image qui cristallise à elle seule l'inconcevable gâchis de vies humaines. En tant que cinéaste, et ancien soldat d'infanterie, je me sens extrêmement chanceux d'avoir eu l'opportunité de montrer cette image à l'écran."

A l'occasion de la présentation en compétition officielle de Beaufort au Festival de Berlin 2007, Joseph Cedar s'est vu décerner l'Ours d'argent du Meilleur réalisateur. Le long métrage a également été nommé aux Oscars 2008, dans la catégorie Meilleur film étranger.

Le film retrace les événements qui se sont réellement déroulés à Beaufort peu de temps avant le retrait israélien du Liban. Le 6 juin 1982, l'armée israélienne envahissait le Liban pour une opération baptisée “Opération Paix en Galilée” mais qui se transforma en “Guerre du Liban” après la généralisation du conflit. Le 24 mai 2000, dix-huit ans après que le premier tank avait franchi la frontière, l'armée israélienne se retirait du Liban, laissant derrière elle plus de 1000 morts et une génération d'Israéliens traumatisée par la guerre la plus controversée du pays.

Tout a commencé en 2001, lorsque Joseph Cedar a été bouleversé par la lecture d'un article que Ron Leshem avait écrit dans le Yedioth Acharonot. " Il y rapportait le récit d'un officier sur ce qui se passait au Liban, se souvient le réalisateur. Les histoires horribles et incroyables qu'il racontait parlaient de soldats morts pour une guerre ridicule, et j'ai soudain réalisé que son histoire était aussi la mienne. En quelques secondes, toutes les peurs et les tensions que j'avais contenues depuis des années sont remontées et j'ai fondu en larmes. " Une semaine après la publication de cet article, le cinéaste rencontra Ron Leshem dans un café de Tel-Aviv et décida d'adapter son histoire pour le cinéma. Durant les cinq années qui ont suivi, l'écrivain a aussi fait de son article un roman qui a remporté le Prix Sapir, le plus prestigieux prix littéraire d'Israël.

Pendant les répétitions et la préproduction, Joseph Cedar s'est beaucoup interrogé sur la façon de diriger les acteurs. Oshri Cohen, le comédien qui interprète Liraz, a passé plusieurs semaines dans un fort militaire pour préparer son rôle. Durant cette période, il a cherché à comprendre quel genre de relation pouvait s'installer entre un fort et ses soldats, et ce qui peut les pousser à risquer leur vie pour défendre une montagne. "Les réponses que nous avons trouvées Oshri et moi nous ont beaucoup aidés pendant le tournage, explique le cinéaste. Pour parler de l'état d'esprit de Liraz, nous faisions des parallèles avec l'état de la forteresse : chaque nouvelle fissure dans ses murs devenait une brèche dans son refus de voir la vérité. Plus l'ordre d'évacuation et de démolition du fort approche, plus Liraz devient un personnage vulnérable et fragile."

La plus importante difficulté de l'équipe de production a été de recréer l'avant-poste de Beaufort. " La forteresse se trouve actuellement au Liban, à quelques kilomètres de la frontière israélienne, explique le réalisateur. On peut la voir depuis Israël, mais étant donné la tension qui existe dans la région, il était hors de question d'aller tourner là-bas. Nous avons donc construit un décor près d'une ancienne forteresse croisée, Kalat Namrud, qui se trouve en Israël près de la frontière libanaise. Le paysage est similaire et les ruines du château presque identiques à celles de Beaufort. L'armée israélienne avait passé des années à transformer Beaufort en une gigantesque ville souterraine et nous devions nous aussi recréer des fortifications militaires ressemblantes. " Grâce à une douzaine d'heures d'enregistrements vidéo réalisés par les soldats qui y étaient stationnés, Joseph Cedar et son équipe ont été en mesure de reconstituer une réplique exacte. Pour les travaux, ils ont engagé un ancien ingénieur de l'armée qui a lui-même participé à la construction de l'avant-poste de Beaufort au Liban.

Outre le ton pacifiste du film, le tournage de Beaufort a suscité la polémique quand il a été révélé que trois des acteurs (Oshri Cohen, Itay Tiran et Itay Turgeman) avaient été exemptés de leur service militaire. En Israël, un service militaire de trois ans (deux pour les femmes) est exigé à partir de 18 ans, aucours duquel il est possible d'être appelé à servir sur le terrain.

La forteresse de Beaufort se trouve au Liban, au sommet d'une colline surplombant le sud de la plaine de la Bekaa. Cette place forte séculaire est connue par les Arabes sous le nom de Shqif Arnun, Shqif signifiant " haut rocher ". Bien qu'il semble qu'elle ait été construite par les Croisés au XIIème siècle, certains chercheurs pensent que la première construction pourrait dater de l'Empire Romain ou de l'époque byzantine, qui aurait été restaurée et agrandie par les Arabes. Après sa restructuration et les travaux de fortification réalisés par les Croisés, la forteresse de Beaufort est devenue l'un des points stratégiques les plus importants de la région. Au cours des siècles, Beaufort a été prise et perdue à de nombreuses reprises par différentes armées. Pendant la guerre civile libanaise, l'OLP contrôle la position mais en 1982, l'armée israélienne s'en empare au cours d'une bataille qui marque le début de la guerre du Liban. L'armée de l'État hébreu y construit un impressionnant réseau de souterrains et de casernements enterrés où séjournent ses soldats. Le 24 mai 2000, Tsahal se retire du pays et détruit ses propres fortifications avec six tonnes d'explosifs, sans endommager l'ancien château. Six ans plus tard, en juillet 2006, Israël pénètre à nouveau le territoire libanais, mais cette fois, ses troupes évitent soigneusement la citadelle de Beaufort. Autrefois trophée, emblème de suprématie, la montagne la plus stratégique du Liban est devenue le symbole de batailles inutiles et du vain sacrifice des vies humaines. Après neuf siècles de sanglantes batailles, la forteresse de Beaufort n'affronte plus que les hordes de touristes.