Troisième film parlant d’Alfred Hitchcock, Murdeur (Meurtre) permet au réalisateur de renouer en 1930 avec le genre policier qui lui a valu ses principaux succès, et avec son thème fétiche de l’innocent accusé à tort. A ceci près toutefois : celui qui cherchera à prouver l’innocence de l’accusé(e) n’est pas l’accusé(e) même, mais un tiers. A noter également, et c’est assez exceptionnel, qu’une fin alternative a été tournée, consistant dans les faits à deux simples scènes additionnelles.
Voici l’histoire : Un cri surgit dans la nuit, réveillant tout un quartier. Une femme prénommée Diana est retrouvée, sa robe tâchée de sang, près d’une autre femme gisant au sol. Durant son procès, l’accusée avoue avoir oublié ce qui s’est passé. S’ensuit la délibération du jury, où l’écrasante majorité, convaincue par la culpabilité de la jeune femme, parvient à faire modifier le vote de ceux qui en doutent. Un dernier homme, Sir John Menier, résiste à la pression du groupe mais à court d’argument finira par laisser au jury l’unanimité requise pour la condamner à mort. A son domicile, John Menier repense pourtant à un élément : Diana était catégorique quant au fait qu’elle n’ait pas bu de cognac, dont un verre a pourtant été retrouvé vide sur la scène du crime. Il décide alors d’enquêter, faisant appel au service d’un couple voisin de la scène de crime, rendant visite à Diana en prison… En recoupant plusieurs éléments qu’il serait peu utile d’énumérer, il se convainc de l’innocence de la jeune femme, et tente de confondre le véritable meurtrier.
Au début du film, Hitchcock multiplie les travellings, procédés techniques quasi inexistants dans ses œuvres précédentes : travelling remarquable le long des fenêtres du quartier lorsque les voisins se réveillent, travelling de Diana au corps de la victime, en passant par le tisonnier. Il s’amuse également à des travellings d’allers-retours incessants entre la cuisine et le salon, où deux femmes se meuvent. Sur la scène finale, il use d’une mise en abîme qu’il avait déjà utilisée dans Downwhill quelques années auparavant : une scène que l’on pense être du film est en fait celle d’un théâtre.
Dans Murder, le réalisateur parvient de nouveau à susciter chez le spectateur un sentiment d’inconfort dont il a le secret. Certains personnages sont inquiétants, comme les matrones revêches de la prison pour femmes, mais surtout l’homme travesti qui à l’époque de la sortie du film devait créer bien plus qu’aujourd’hui un sentiment de gêne. Dans la scène du cirque, on assiste également à une scène de suicide totalement inattendue : pour le mettre en exergue, le réalisateur reprend la formule exploitée dans Chantage au moment du meurtre, à savoir le silence glacial après des bruits assourdissants (ici la fanfare du chapiteau). Cette pendaison devant un public fait un écho remarquable à la scène où, pendant que Sir John Menier suit son enquête, l’ombre menaçante de la potence et du gibet s’élève sur le mur de la prison : la corde inquiétante attendant Diana se refermera finalement sur le véritable assassin.
Murder conforte clairement Hitchcock dans son style si particulier. Sa noirceur se développera davantage par la suite, mais il s’éloigne déjà bien clairement des comédies qu’il avait réalisées sur commande, avec des succès moindres. La réalisation est bonne, le spectateur a envie de poursuivre pour connaître l’identité du meurtrier, mais Murder pour autant ne marque pas une fois la bobine finie.