Jerichow : les secrets du tournage

Jerichow a été présenté en 2008 à la Mostra de Venise, en compétition.

L'argent joue un rôle central dans les relations entre les trois personnages de Jerichow. Maintenant que le film est terminé et que nous avons suffisamment de recul pour en parler, nous avouons avoir été surpris", confie Christian Petzold. "En effet, qu'il ait une valeur symbolique, marchande ou trompeuse, l'argent est omniprésent dans Jerichow. J'ai comme l'impression qu'il s'est glissé dans le film, les images et même les personnages. Il est comme une sorte d'huile entre les différents rouages de l'histoire. J'ai également remarqué que ce sont les hommes qui se construisent un " chez-soi " et qu'ils ont, pour ce faire, besoin d'argent et des femmes. Comme le dit Laura, " sans argent, l'amour est impossible ! ". Elle ne cherche pas à acheter quelqu'un mais a besoin d'argent pour s'émanciper. Cependant, les hommes en ont décidé tout autrement. Dès lors, le crime est inévitable."

Jerichow est le cinquième long métrage de Christian Petzold, un des grands noms du cinéma allemand depuis Contrôle d'identité, son premier long métrage cinéma en 2000. Né en 1960 à Hilden, le cinéaste, il est considéré comme un des chefs de file de l'Ecole de Berlin. Il avait déjà dirigé Nina Hoss dans ses trois précédents films, Toter mann (2002), Wolfsburg (2003) et Yella, pour lequel l'actrice avait obtenu le Prix d'interprétation à Berlin en 2007. Yella et Jerichow connaissent en France une sortie en salles simultanée.

Christian Petzold évoque le point de départ du film : "Alors que nous tournions encore Yella, nous avons lu dans un quotidien régional que la police avait arrêté un étranger. L'homme se tenait près de son véhicule, privé de l'essieu arrière. Si le coffre rempli d'argent suffisait à justifier l'arrestation, il s'est avéré que l'homme était propriétaire de 45 snacks. Ainsi, l'argent contenu dans son coffre représentait les recettes de la journée. Cet homme avait monté son propre commerce dans la région de Prignitz (Brandebourg) qui offre pourtant peu d'opportunités économiques et avait même acheté une maison au coeur de la forêt, où il vivait avec sa famille. L'idée de se construire un " chez-soi " m'a toujours intéressé et j'admire beaucoup les gens qui arrivent à s'en sortir contre toute attente. Il n'est pas rare que ces personnes prennent du recul et se retrouvent, à l'image de Robinson Crusoé, seuls sur une " île ", pour tenter de comprendre le capitalisme moderne, les aspirations de l'homme et pour tout recommencer du début. Le monde qu'ils reconstruisent s'effondre lorsqu'arrivent les hommes, l'amitié et l'amour."

Christian Petzold parle de la place du travail dans cette histoire d'amour : "Dès le départ, j'ai créé une histoire d'amour " post-fordienne ". Cette histoire se déroule à une époque où le travail agricole a quasiment disparu. Certaines scènes rappellent les exploitations que l'on voit dans les films Le Facteur sonne toujours deux fois ou Les Amants diaboliques (...) ou encore dans le livre Les Ramasseurs de coton de B. Travens. Cependant, dans l'Allemagne contemporaine, le secteur primaire a laissé sa place au secteur tertiaire. Certaines activités ont tout de même survécu au temps : c'est le cas de la récolte de concombres, activité qu'exerce Thomas au début du film. Mais même ce type d'activité éreintante est en voie de disparition (...) J'ai particulièrement pris plaisir à analyser l'impact de la passion, l'amour et l'intrigue sur nos vies, à une ère où les tâches agricoles ne rythment plus notre quotidien. C'est d'ailleurs quelque chose dont nous avons beaucoup parlé pendant les répétitions."