" Composer une ode à la poésie, à travers le portrait d'une femme excentrique et élégante, arborant chapeaux et robes aux couleurs vives, redécouvrant le goût d'un abricot et s'extasiant devant le chant des oiseaux : un tel projet s'offre aux ricanements, risque des dérapages, de la sensiblerie au ridicule " - écrivait à juste titre Jean-Luc Douin dans le journal Le Monde, après que ce film ait été projeté au Festival de Cannes.
Or, il n'en est rien, le cinéaste coréen ayant su éviter les écueils qui risquaient de faire sombrer Poetry dans la mièvrerie. Celui-ci avait déjà prouvé sa maîtrise dans le passé avec Oasis ( 2002 ) qui brossait un tableau réaliste de la Corée d'alors, et surtout avec le très réussi Secret Sunshine ( 2007 ), auquel j'avais consacré, lors de sa présentation à Deauville, une critique enthousiaste.
Lee Chang-dong est un homme qui s'intéresse à tout puisqu'il n'est pas seulement metteur en scène mais écrivain et fut ministre de la culture dans son pays, et, principalement, aux réalités dérangeantes, aux gens sortant du lot commun, cherchant continûment à traquer la beauté là où l'on est peu habitué à la chercher, un oeil posé sur l'ordinaire et la trivialités des choses, l'autre occupé à découvrir les merveilles enfouies sous une chape d'indifférence, d'où un cinéma aussi peu conventionnel et académique que possible et un ton qui n'appartient qu'à lui et où l'on décèle un authentique talent.
Dans Poetry, Lee Chang-dong attarde son regard sur une grand-mère originale et son petit-fils, adolescent maussade, qui ne pense qu'à surfer sur internet, et vient de participer à l'irréparable avec cinq autres de ses camarades d'école. Aussi, tout au long de son opus, le réalisateur nous propose-t-il des indices pour mieux comprendre le mystère de cette femme aux prises avec un cas de conscience terrible qui déchire sa conscience et la partage entre deux pôles : celui de la justice et celui de la charité. Et cette vieille femme, qui n'est pas sans rappeler celles si touchantes du Lola de Brillante Mendoza, trouvera l'apaisement du coeur et de l'esprit grâce à sa quête anxieuse de la pureté. Interprétée de façon magnifique par l'actrice Yoon Jung-hee, ce personnage émouvant, tout de complexité et peint en camaïeux par une caméra attentive, se tisse d'une intensité humaine d'une rare ferveur. BEAU.
Prix du scénario au Festival de Cannes