Le nouvel OVNI cinématographique de Quentin Dupieux, musicien bien connu sous le pseudo Mr. Oizo, est un petit bijou où la perfection de forme n’est là que pour mieux révéler la jouissive absurdité du fond.
Une bande sonore extrêmement travaillée nous y fait voyager au plus proche d’un héros inhabituel. Un pneu.
Doué de pouvoirs psychokinétiques, Robert assouvi ses pulsions meurtrières sans même toucher ses victimes. Juste en mobilisant une intense concentration.
Si ce résumé vous paraît improbable, c’est que vous n’avez pas encore vu le héros de caoutchouc s’énerver. Force tremblements du « personnage » et autres pulsations sonores parviennent à nous faire ressentir et comprendre ce qui pourtant défie toute logique.
Le prologue, qui introduit une mise en abîme culottée et peu flatteuse des spectateurs que nous sommes, pose les règles du jeu : l’essence du cinéma, finalement, c’est l’absence de raison. « No reason » scande en VO Stephen Spinalla dans cette scène d’ouverture magistrale.
Pourtant, on s’attache à ce pneu sanguinaire qui révèle rapidement de troublantes similitudes avec les individus de chair et de sang.
Elle s’exprime tout particulièrement dans deux situations de la vie quotidienne.
D’abord, lorsque Robert (le pneu) s’émeut pour une séduisante jeune fille en plein road trip. L’objet du désir est incarné par Roxane Mesquida, entrée dans le petit monde du cinéma indépendant grâce à un rôle de Lolita tragique dans le beau mais scandaleux « A ma sœur! » de Catherine Breillat. Et la belle est d’une telle grâce que, pour la première fois de notre vie, on s’ « identifie à un pneu » - comme le souligne l’un des protagonistes.
Ensuite, il faut voir Robert regarder la télé, affalé au fond d’un canapé… C’est là que son caractère humain est le plus frappant. On s’attend quasiment à ce qu’il se lève pour aller prendre une bière dans le frigo.
La concupiscence et la télé symboliseraient-ils mieux que toute chose l’humanité ?
Où seraient-ils coupables de pousser au crime ?
Mais ne cherchons ni questions ni réponses dans un film qui laissera chacun à sa propre réflexion. Et à son plaisir : plaisir visuel, plaisir cinéphile (on navigue entre road-movie américain et film gore). Et plaisir de rire, grâce à des gags savamment distillés, qui souvent font mouche.
A l’instar de l’apparition furtive mais hilarante de la moitié de Justice, le nonchalant Gaspard Augé, également co auteur de la BO.
Dans la salle, le public rit souvent de bon cœur, mais jamais vraiment en cœur. Quentin semble avoir réalisé le contraire d’une comédie « tout public » : une comédie qui s’adresserait à « certains publics ». Il ne choisit pas le plus petit dénominateur commun pour faire rire et s’affranchit du désir de plaire à tout le monde en même temps. Résultat, quand une vanne de « Rubber » fonctionne, on a l’impression qu’elle n’a été écrite que pour nous, dans la mesure où elle ne fait pas forcément rire nos voisins. Et réciproquement.
Monsieur Dupieux nous maltraite, nous renvoie à la figure son jugement sans appel dans un brève écho à un tube récent : « Vous êtes des animaux ». Et dans le même mouvement, nous gâte avec une vanne ciselée sur mesure.
Bourré de clins d’œil à feu l’American Dream, entre routes poussiéreuses, shérif désabusé et motels miteux, le film est tourné aux US et se termine sur une envolée majestueuse et énervée, présumant d’une suite. C’est l’usage dans les histoires de Serial Killer. Et comme c’en est une - Tout est normal !