Réalisateur intellectuel par excellence, Joseph Mankiewicz fut ravi qu'Elizabeth Taylor le choisisse dans la short liste présentée par le producteur Sam Spiegel à la star qui avait exigé en sus d'un énorme cachet, un droit de véto sur le nom du metteur en scène pour accepter de tourner dans "Soudain l'été dernier". Elizabeth Taylor connaissait bien l'univers de Tennessee Williams, venant juste de triompher aux côtés de Paul Newman dans "La chatte sur un toit brûlant" de Richard Brooks (1958). De son côté, Tennessee Williams dont "Un tramway nommé désir" adapté par Elia Kazan en 1951 avait fait un triomphe aux Oscars de 1952 était alors l'auteur à la mode à Hollywood malgré les thèmes complexes et sulfureux que ses pièces et ses romans abordaient. Il ne participa pas à l'écriture du scénario de "Soudain l'été dernier", ayant recommandé Gore Vidal, jeune romancier à Sam Spiegel. Mankiewicz qui entendait servir au mieux l'œuvre d'un auteur qu'il admirait, respecta en tout point le scénario de Vidal, ayant conscience que c'était essentiellement par le texte que toutes les thématiques abordées seraient délivrées. Très bavard, le film aborde en effet nombre de sujets tabous parsemant l'œuvre de Williams comme la folie, l'homosexualité, la prostitution infantile, l'inceste, les rapports de domination et même le cannibalisme. La pièce de Williams reflète une partie des drames de sa vie personnelle comme la lobotomie subie par sa sœur aînée Rose et la difficulté qui fut la sienne à vivre sans culpabilité son homosexualité.
A partir d'une cellule familiale névrotique dont il scrute l'éclatement après la mort du fils homosexuel, Mankiewicz via l'intervention d'un psychiatre joué par Montgomery Clift, relate en deux temps la difficulté des sociétés à accepter en leur sein les différences de toute nature et les extrémités auxquels ce déni peut conduire. Une mère (Katherine Hepburn) abusive en totale fusion avec son fils dont elle couvrait les relations tarifées avec de jeunes garçons préfère exiger une lobotomie pour sa nièce (Elizabeth Taylor) sous prétexte de démence précoce plutôt que d'admettre la vraie nature de celui-ci exécuté sauvagement après la vengeance collective de jeunes démunis dont il avait abusé. Richissime, elle se sert d'une possible donation à un hôpital public désargenté pour obtenir la mise au silence définitive de sa nièce qui après l'avoir supplantée auprès de son fils pour le rabattage de jeunes hommes, ne l'a pas suffisamment protégée contre ses démons pour finir par ne pas accepter de valider la version officielle édulcorée de son décès
. Le docteur Curkowicz (Montgomery Clift), pionnier dans le domaine de la lobotomie, technique très controversée pratiquée assez largement aux Etats-Unis au moment de l'action (1937) mais en réel déclin à la fin des années 1950, se voit confronté à un véritable dilemme permettant à Williams de poser sérieusement la question de la soumission des hommes de science au pouvoir de l'argent. Confrontant les points de vue de manière assez basique par le biais de l'analyse du discours des deux femmes,
il ne faut pas longtemps au psychiatre et au spectateur pour constater que c'est la déviance du rapport entre la mère et son fils qui est responsable de cette demande monstrueuse
, métaphore à peine voilée sur les efforts déployés par Hollywood pour masquer l'homosexualité de nombre des séducteurs virils qu'elle promeut auprès des masses. La structure du scénario reprise par un Siodmak ou un Preminger pouvait donner tous les ingrédients d'un film noir de haute tenue. C'est le style du film psychologique que choisira Mankiewicz afin de ne pas détourner l'attention du spectateur des réels enjeux inclus dans la pièce. La démonstration est de ce fait un peu appuyée dans certaines de ses composantes notamment le personnage de la mère aux contours trop bien dessinés, conduisant le jeu de la grande Katherine Hepburn au bord de la caricature (elle refusera de voir le film et reniera sa prestation). Mankiewicz était bien conscient de ce travers qui dira du scénario : " Il faut le jouer comme Tennessee l'a écrit: un peu plus que dans la vie, avec un œil et une oreille pour les effets, plus que pour la véracité." . Malgré cette relative faiblesse qui date un peu le film, la force du propos est toujours bien présente notamment dans la scène finale dont Mankiewicz était très fier du traitement visuel qu'il lui avait appliquée. On ne peut faire plus lucide sur son propre travail que ce grand réalisateur un peu oublié aujourd'hui. On saluera aussi la performance de Montgomery Clift, imposé par Liz Taylor qui parait autant déstabilisé par le cas qui se présente à lui que par la charge qui pèse sur ses épaules. Le film qui a été très difficile à tourner en raison des épreuves traversées par Clift (alcoolique et héroïnomane), Taylor (son mari Mike Todd est mort en 1958 dans un crash aérien) et Katherine Hepburn (elle vient de se séparer de Spencer Tracy) sera un succès malgré les craintes de Mankiewicz, sorti éprouvé du tournage en raison des contestations permanentes de Madame Hepburn. Si nombre d'adaptations cinématographiques des œuvres de Tennessee Williams et d'autres auteurs sudistes au cours des années 50 et 60 paraissent aujourd'hui terriblement emphatiques et sans prise directe avec le réel, celle de Mankiewicz reste sans aucun doute une des plus digestes