Casting impeccable, réalisation très honnête et scénario intelligent, voilà les trois grandes qualités du « Majordome » de Lee Daniels, ce qui fait déjà une belle carte de visite pour ce film ! Si on ajoute que l’affiche est plutôt pertinente (le côté « homme de l’ombre »), la BO tout à fait agréable et bande annonce bien fichue, alors on y est, dans le grand film de cette rentrée ! Commençons par le casting, pléthorique certes, mais d’où émergent deux grandes compositions. Celles de Forrest Whitacker évidemment, dans le rôle titre (en course pour l’Oscar ?) mais aussi celle, plus étonnante, d’Oprah Winfrey en épouse se débattant avec la solitude et l’alcool. Etonnante car il ne s’agit pas d’une actrice chevronnée mais d’une vedette de TV (d’une popularité qu’on a du mal à imaginer ici) et qui tient ici un rôle difficile avec une réelle justesse ! A leur côté, Lenny Kravitz (oui, oui…), Cooba Coning Jr, Davis Oyelowo et même Mariah Carrey dans un rôle minuscule sont tout à fait à leur affaire. Et puis il y a les grandes stars qui viennent étoffer encore un peu plus le casting, Robin Williams, John Cusack, Jane Fonda (que je n’ai quasiment pas reconnu !), excusez du peu… Avec une telle distribution, on peut difficilement rater un film me direz-vous ! Et bien, si… Si on avait un mauvais scénario, tout ce beau monde aurait beau faire, le film serait décevant. Sauf que de ce côté-là, c’est réussi aussi. Au travers du regard (que l’on croit passif) du père mais aussi de celui (beaucoup plus engagé) se son fils ainé, on assiste à la lutte des afro américains pour la reconnaissance de leurs droits. Et c’est raconté sans manichéisme, sans occulter les différences entre la voie « Luther King » (et ses limites) et la voie « Black Panthers » (et ses excès), sans nier aussi l’incompréhension, voire le ressentiment, qui s’installe à l’intérieur de communauté noire au fil des combats politiques perdus ou gagnés, des coups de matraques reçus et des jours de prison qui s’additionnent. La rupture entre le père, qui a connu les champs de coton et semble accepter sa condition de domestique qui lui apporte la sécurité et son fils qui ne le considère que comme un « serviteur des blancs » est d’autant plus tragique qu’on imagine qu’elle a du se produire dans des milliers de familles américaines dans les années 60-70. Grace à un montage intelligent, dans certaines scènes en particulier (la double scène très réussie du dîner officiel et du café), la dualité entre le père et le fils est parfaitement rendue. Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, le film n’est pas larmoyant, même si je concède quelques larmes pendant la séance, les scènes difficiles sont courtes, souvent silencieuses (Jackie Kennedy et son tailleur rose couvert de sang qu’elle refuse d’enlever) et c’est très bien ainsi. Et puisqu’il s’agit d’un film éminemment politique, difficile de ne pas évoquer le sort que le scénario réserve aux présidents américains. C’est peu de dire que certains sont mieux servis que d’autres, au point que deux d’entre eux ne sont même pas incarnés à l’écran. Mais c’est assez normal, tous n’ont pas eu politiquement la volonté de faire progresser la cause des populations noires, et le film de Lee Daniels en est le reflet. Si les portraits de Eisenhower, Kennedy et Johnson sont assez élogieux, celui de Nixon est dévastateur, et pour le coup sans grande nuance. Celui de Reagan, en revanche, est beaucoup plus difficile à cerner, charmant et même généreux en privé, il est politiquement sans pitié et c’est d’ailleurs en assistant à une discussion entre lui et une sénatrice républicaine que viendra au majordome, sur le tard, le courage de l’engagement politique ! Alors oui, on pourrait peut-être reprocher au « Majordome » quelques facilités, quelques raccourcis un peu rapides Par exemple, lier « inconsciemment », et par le seul jeu du montage, l’assassinat de Dallas avec la politique de Kennedy en faveur de l’émancipation des noirs, c’est faire un sacré raccourci, et par forcément un raccourci pertinent, en plus ! Mais on peut se permettre d’être indulgent avec le film de Lee Daniels, tant le sujet qu’il a entrepris de traiter est important, tant il touche au cœur de l’Amérique (soi-disant) post raciale d’aujourd’hui. Et, à bien y réfléchir, « Le Majordome » est un film bien plus d ‘actualité, et bien plus universel qu’il n’y parait.