La Princesse de Clèves de Madame De La Fayette a fortement inspiré le cinéma de fiction. Trente huit ans après La Princesse de Clèves (1961) de Jean Delannoy, Manoel de Oliveira propose une adaptation libre du roman avec La Lettre, mettant en scène Chiara Mastroianni. Un an après, en 2000, Andrzej Zulawski dirige Sophie Marceau dans son adaptation modernisée, La Fidélité. Enfin en 2008, Christophe Honoré remet au goût du jour le célèbre roman avec La belle personne, porté par Léa Seydoux.
"Il s'agissait vraiment pour moi de montrer comment des jeunes d'un quartier populaire, d'origines très diverses, parfois en grande difficulté, peuvent s'approprier un texte du XVIIe siècle, l'apprendre, le connaitre, s'y reconnaitre. La Princesse de Clèves devient leur texte."
Le réalisateur Régis Sauder raconte : "Cela faisait un certain temps que j'avais une double envie : faire un film sur l'enseignement, les conditions de la transmission, la souffrance de et dans l'institution scolaire ; et tourner un film en partageant cela avec ma femme (...). Anne m'a suggéré que le bon objet est moins la difficulté de l'enseignement que la soif de connaissance des jeunes : comment ils s'approprient la littérature. (...) La Princesse de Clèves, premier roman moderne de la littérature, s'est imposé naturellement".
Après avoir obtenu une aide du C.N.C. pour son film, Régis Sauder a mis au point au lycée Diderot un atelier de lecture autour de La Princesse de Clèves, en classes de première et de terminale, annonçant qu'un film y serait tourné. Il se souvient : "On a eu énormément de demandes, on a été un peu débordé, avec, au début, un groupe d'une quarantaine de lycéens. C'était trop, évidemment. Mais peu à peu, ça s'est décanté, certains ont abandonné, et on s'est retrouvé à une vingtaine".
L'approche académique du livre pour le film n'a pas plu aux élèves, jusqu'à ce que le réalisateur ait l'idée de la délaisser pour aller davantage vers le jeu et le cinéma, notamment en leur faisant jouer le texte devant la caméra. Il explique : "Ce n'est pas un texte facile, mais grâce au jeu, les jeunes ont pu comprendre ses implications stylistiques, historiques, sociétales, dans la vie d'aujourd'hui".
"A partir du moment où j'ai compris que le personnage de la mère était central", explique le réalisateur, "j'ai décidé d'aller voir les parents et de les filmer. J'ai vu soit les mères seules soit des couples, en fonction de la situation des enfants, avec comme idée que les parents lisent à haute voix le monologue de Mme de Chartres dans le roman, puis qu'elles ou qu'ils m'en parlent. C'est un principe de mise en scène, de direction d'acteur et ils se sont très bien prêtés au jeu".
Pas moins de quatre registres de langage accompagnent le film et le parcours des élèves. Le réalisateur les énumère : "la langue de La princesse de Clèves, celle de l'institution scolaire, celle de l'examen du bac français que ces jeunes passeront à la fin de l'année ; la langue de la famille ; et la langue des jeunes, cette langue facebook qu'ils utilisent pour parler entre eux d'amour, de la classe, de leur vie. Tout cela se mêle."
Régis Sauder reconnait : "(...) Je reste dans le documentaire : c'est moins une confrontation entre deux langues qu'une appropriation culturelle. Les jeunes ont, par exemple, senti en jouant dans mon film comment ils étaient transformés par le texte, physiquement, littérairement, sentimentalement, ce qui les fait exister cinématographiquement."
Le documentaire a abouti à 60 heures de rush, qui ont demandé huit semaines de montage.
Le paradoxe de certains des élèves fut d'être à l'aise face caméra pour le documentaire et de ne pas supporter l'examen oral du bac. Régis Sauder se souvient : "Il y a cette scène (...) où une jeune fille qu'on a entendue auparavant très diserte sur La Princesse de Clèves, qui s'effondre devant l'examinatrice et ne sait plus rien faire, perd tous ses moyens, et va à coup sûr vers l'échec. Autant ils peuvent être à l'aise, de façon surprenante, en s'emparant du texte du roman, autant ils peuvent s'effondrer devant l'institution : ils se prennent souvent en pleine figure cette violence institutionnelle", conclut-il.
Trois d'entre eux se sont vu offrir des opportunités dans le monde du cinéma : l'un comme assistant, deux autres comme acteurs. Les autres élèves vivent de petits boulots ou poursuivent leurs études.