"I like the way you die, boy".
Deux ans avant la guerre de Sécession, un dentiste allemand reconverti en chasseur de primes libère un esclave pour qu'il le conduise à son prochain contrat. Se liant d'amitié avec lui, il décide de l'aider à récupérer sa femme, entre les mains d'un riche et impitoyable propriétaire terrien du Mississippi.
"Je suis à mon apogée". C'est ce que Quentin Tarantino a déclaré lors d'une interview accordée à Première sur le tournage de "Django Unchained". Reflet d'un égo surdimensionné ? Ma foi peut-être, mais lorsqu'on se retrouve enfin face à ce film tant attendu, on comprend que cette remarque n'est que pertinente et justifiée. Car Tarantino livre ici son oeuvre la plus jouissive, mais aussi la plus émouvante et la plus mature. Le cinéaste, une fois de plus sous une influence (le western spaghetti) qu'il parvient à transcender en lui apportant sa touche personnelle, réussit avec "Django..." ce qu'il a en grande partie raté dans son précédent opus : établir une vengeance fun et jubilatoire contre une période immonde de l'Histoire. Porté par un casting grandiose, le film est un formidable défilé de personnages minutieusement écrits et tous plus "déjà cultes" les uns que les autres. La rage et le charisme de Django, la classe et la douce folie de Schultz, la cruauté et l'hystérie de Candie sont tout simplement passionnants à observer, sans compter les multiples seconds rôles bien croustillants. Si Jamie Foxx, "cool" et charismatique, est en fin de compte la vraie star du film, difficile tout de même de décrire à quel point il est B.O.N. de voir Christoph Waltz, comédien génialissime, dans un quasi premier rôle, faisant au minimum sourire, au maximum éclater de rire à chacune de ses répliques ; Leo DiCaprio tient le statut de THE révélation dans son premier rôle de pourriture intégrale, qu'il interprète comme personne d'autre n'aurait su le faire ; à noter également la qualité de la prestation de Samuel L. Jackson, encore une fois dans un registre inhabituel, aussi détestable qu'amusant. Mais à quoi une telle distribution aurait-elle servi sans une réalisation et un scénario à la hauteur ? On se retrouve face à des images soigneusement composées dans les moments calmes et stylisées dans les scènes d'action (ou devrais-je dire de boucherie), avec force ralentis et mouvements de caméra. Et quelle bande-son, mes amis... En grande partie anachronique, elle apporte au film une modernité géniale et lui insuffle une atmosphère jamais vue ; quant aux giclées de sang et de chair surréalistes, elles renvoient, et c'est tant mieux, à l'esprit "défouloir" de "Kill Bill Volume 1" (un aspect fun qui manquait cruellement à "Inglourious Basterds"). Pour ce qui est du scénar, QT nous montre une fois de plus qu'il est un fucking boss en matière d'écriture : l'intrigue est suffisamment riche et inventive pour tenir sur 2h40 sans se répéter et sans faute de rythme. S'ils sont souvent comiques, les dialogues, riches en images et digressions, font également office de redoutables générateurs de tension dans les moments clés du récit. Ainsi la séquence du "crâne", immortalisée par la prestation de DiCaprio, parvient même à se hisser au-delà des confrontations verbales qu'on croyait être les plus mémorables du cinéaste, à savoir la scène d'introduction de "Inglourious Basterds" et surtout le discours de Dennis Hopper sur le "sang nègre" des siciliens - Cf "True Romance". Pas de doute, ce western anti-esclavagisme est le meilleur lieu de réunion des ingrédients du réalisateur de "Pulp Fiction" : la tchatche, la violence et la folie musicale. Il y a même une caractéristique supplémentaire, qu'on ne retrouve habituellement qu'à petite dose dans ses films : l'émotion. Dire de "Django Unchained" qu'il s'agit d'un film historique (au sens noble du terme), c'est bien entendu un raisonnement à côté de la plaque ; on remarque néanmoins que Tarantino, plus sérieux qu'à son habitude, se sent réellement concerné par le sujet, glissant des images dérangeantes et dramatiques pour mieux illustrer son rejet de l'esclavage (coups de fouet, combats d'esclaves...). Ajoutez à ça une romance touchante et juste, et vous avez la confirmation que celui qui apparaissait auparavant comme une sorte d'adolescent désinvolte a atteint un nouveau degré de maturité... tout en restant un adolescent désinvolte, heureusement !
"Django Unchained", c'est le genre de films qu'on regarde avec un émerveillement permanent, le genre de films qui donne au septième art une bonne raison d'exister. Espérons que ce génie nous enchante encore longtemps, en dépit de son obstination à ne pas vouloir faire "le film de trop". Laisse tomber cette idée à la con, Quentin : plus longtemps tu resteras, mieux le cinéma se portera.