Le scénario est librement inspiré d’un livre qui lui-même était inspiré de l’histoire de Toni Musulin, c’est donc une version parmi d’autres de ce qui a pu se passer dans la vie et dans la tête du convoyeur que propose Philippe Godeau. Puisque personne à part le principal intéressé ne sait vraiment ce qui s’est passé, le scénario tente une version, plutôt crédible, celui d’un convoyeur de fonds qui subitement en a eu assez d’être une victime : victime de son patron qui le traite comme de la merde, de sa fiche de paye ridicule, de sa petite vie de petit mec sans avenir. Le Toni Musulin de Philipe Godeau aime le luxe et les belles voitures mais est d’une radinerie et d’un égoïsme à la limite de la muflerie. Le Toni Musulin de « 11.6 » prépare son coup depuis longtemps et méticuleusement, sans qu’on puisse déterminer à quel moment le déclic se produit dans sa tête. Le Toni Musulin de ce film se rend à la police après plusieurs mois de cavale sans qu’on comprenne bien pourquoi. Au service de ce rôle d’homme fermé et énigmatique, François Cluzet donne une fois de plus la preuve qu’il n’est pas n’importe qui dans le cinéma français. J’ai déjà maintes fois dit tout le bien que je pensais de cet acteur intelligent, de son jeu toujours juste, de sa propension à rarement se tromper quand il choisi un film. Alors cette fois, je vais souligner combien il est bien entouré par Bouli Lanners (ses larmes pendant la scène de la souris, petites larmes de rien du tout pour une petite scène de rien du tout, mais vraie émotion) et Corinne Masiero, deux gueules du cinéma pour deux second rôles parfaitement tenus. Alors oui, même si son personnage n’est pas un héros, et il s’en faut de beaucoup, on ne peut pas s’empêcher de sourire en coin quand le convoyeur passe à l’acte, quand il met d’un seul coup ses patrons dans une merde noire (mettant au jour quelques unes de leur magouilles), quand il tient tête à la Police et quand il leur « offre » 50 centimes de manière détournée. Malgré toutes les réserves possibles, et bien on finit bel et bien par ressentir de l’empathie pour ce type, et François Cluzet y est pour beaucoup. J’étais tellement dans le film que j’ai vu arriver le générique de fin comme une incongruité ! C’est certes un peu frustrant mais çà signifie que le pari est tenu. Il y a dans « 11.6 » une vraie tension nerveuse, une musique intelligemment utilisée et aussi une ébauche de réflexion sociétale. Même si le film ne va pas au bout de sa logique, il dénonce à sa manière une société qui exploite les travailleurs tout en leur faisant défiler sous le nez des richesses auxquelles ils n’accèderont jamais. Audacieusement, c’est peut-être çà le message du film : « Attention, un jour on va se servir ! ». Tout le buzz fait autour du vrai Toni Musulin après son coup en est la preuve, au travers de son forfait, il aura « vengé » toute une classe sociale, bien malgré lui peut-être ! En résumé, même si sa réalisation est académique, « 11.6 » est un film intéressant au scénario prenant et limpide, avec du fond et un casting impeccable.