Attention, ce drame pour mélomanes n'est pas un mélodrame.
Si le titre français du film, Alabama Monroe, exprime l'union et la réunion, celui de la pièce de théâtre dont il s'inspire, The Broken Circle Breakdown (1), exprime la rupture. Elle en conditionne pourtant toute la structure, bipartite : à la manière de ce cher Victor Hugo dans Les Contemplations, le Flamand Felix Van Groeningen articule son œuvre autour du décès de l'enfant. Cette rupture n'est pas tant celle du couple ou du groupe que celle du cercle familial, du cycle de la vie, du nous à travers la mort du je -qui, d'ailleurs, précède le suicide d'Elise, simple manifestation littérale, renoncement devant l'insurmontable. La réunion est, elle, plus sujette à discussion, sur le plan diégétique comme extradiégétique. Le père n'a pour religion qu'une Amérique fantasmée, qu'une terrible épreuve révèle dans toutes ses contradictions ; un discours furieusement anticlérical, sensé mais désespéré, la remplace. La mère croit en tout ce qu'elle peut croire, de l'au-delà à la réincarnation ; elle croit en un revoir. Mais cet antagonisme canalise les tensions plus qu'il ne les crée, comme si les parents, incapables de faire le deuil, cherchaient à se déchirer. Surtout, il témoigne de la solitude de ces êtres brisés, terrassés par la douleur, dont la peine -qui ne s'efface pas comme un nom, même gravé sur le corps- est à la fois universelle et personnelle.
Deux parties, donc. "Un abîme les sépare, le tombeau." Mais la "pureté harmonique" du bluegrass les lie. Deux parties construites sur le même modèle, non linéaire, succession d'analepses et de prolepses : Alabama Monroe donne la vie et l'espoir pour, respectivement, la reprendre et l'anéantir quelques minutes plus tard. Ainsi, les émotions se mêlent et se renforcent mutuellement, sans jamais que le passage du rire aux larmes soit maladroit. Drame de bout en bout, le film n'est mélo qu'étymologiquement, c'est-à-dire accompagné de musique -et quelle musique, celle de l'âme ! Les morceaux, sublimes, servent souvent de transition entre deux scènes, tandis que les concerts mesurent l'état des relations entre Elise et Didier : des regards complices puis fuyants, des baisers puis des mains tendues en vain, ils témoignent de leur dégradation progressive. Et ces regards-là sont expressifs : aussi bons derrière le micro que derrière la caméra, Johan Heldenbergh et Veerle Baetens, d'un naturel extraordinaire, réalisent une performance à saluer bien bas.
1) The Broken Circle Breakdown featuring the Cover-Ups of Alabama, Johan Heldenbergh et Mieke Dobbels.
Si la critique vous a plu, n'hésitez pas à faire un tour sur mon site !