Nous commençons l’année 2016 en beauté, avec comme premier film sur ma liste : « The Hateful Eight » (oui parce que « Les Huit Salopard » c’est moins classe) huitième long-métrage de Quentin Tarantino, l’un de mes réalisateurs préférés.
Après « Django Unchained », Tarantino nous offre de nouveau un western, mais qui est pourtant très différent du précédent. En effet, celui-ci est un huis clos. C’est-à-dire qu’il se déroule dans une seule (voir deux/trois) et même pièce durant tout le film. Pari risqué, étant donné que ce concept peut donner une sensation de lassitude aux spectateurs, les plonger dans l’ennui (et il y a de quoi, le film dure 2h40). Pourtant, j’annonce avec un grand sourire que j’ai adoré ce film. D’ailleurs pour préciser, ce film a failli ne pas se faire car le scénario a été dévoilé sur Internet, mais Tarantino a finalement continué le projet et c’est temps mieux.
L’histoire se déroule quelques années après la fin de la guerre de sécession, un chasseur de primes fait route vers la ville de Red Rock où il doit livrer à la justice sa prisonnière. Ils rencontrent sur la route un ancien soldat de l'Union devenu lui aussi chasseur de primes et le nouveau shérif de Red Rock. Alors qu'ils sont surpris par le blizzard, ils trouvent refuge dans un relais de diligence où se trouvent déjà quatre autres personnes. Coincés par la tempête, les huit voyageurs vont s'engager dans une série de tromperies et de trahisons.
Pour commencer, l’introduction est absolument parfaite;
Ça filme, au ralenti, une représentation statufiée de Jésus-Christ crucifié sous la neige avec une musique pesante en fond.
Après ce respectueux prologue, s’ensuivent cinq chapitres et un épilogue, entrecoupés d’un entracte de quinze minutes (on retrouve le goût de Quentin Tarantino pour les expérimentations narratives - entracte et flashbacks). C’est sur un calme trompeur que s’ouvre le huitième long-métrage du réalisateur. Comme je l'ai dis plus haut, ce film est un huis clos, et évidemment le lieu central est l’auberge, qui va mettre en scène des personnages atypiques et intriguant dès les premières bobines. Dans la première partie, on se questionne sur la vraie nature de chacun d’entre eux, qui passent leur temps à montrer patte blanche et à avancer leurs références (lettres de créance, ordres de mission, avis de recherche), ils sont ce qu’ils parviennent à prouver. À partir de là, on ressent une ambiance nerveuse et une tension vite palpable. Tout le film gagne, petit à petit, en méchanceté, en provocation et en cruauté de la part du réalisateur. En effet, le scénario est très prenant, et prend le temps d’exposer ses personnages et ses décors. Le long-métrage a été jugé très long de la part des spectateurs, pourtant, je n’ai pas ressenti d’ennui. La narration, purement machiavélique de ce huis clos est aussi bien sanglante que jouissive, et offre des séquences diablement Tarantinesque. Le metteur en scène n’a pas perdu la main, et je crois même qu’il ne c’était jamais autant fait plaisir. Avec son scénario en trompe-l’oeil, Quentin Tarantino joue avec nos nerfs, prend un malin plaisir à brouiller les pistes, guide le regard et choisit minutieusement ce qu’il veut montrer ou non; avec tout ça, il nous bâtit une sorte de Cluedo où nous somme les joueurs, qui cherchent, avec difficulté, la moindre faille. Le réalisateur écrit de superbes dialogues, ne révélant ses personnages que peu à peu en diluant l’action dans un temps suspendu, sabrée par des pulsions meurtrières plus brutales que jouissives et sa violence cynique, gorgés de sang. Film viscéral, retranscrivant à merveille une sensation permanente de froid, The Hateful Eight brille également par l’excellence de sa direction artistique ; en effet, côté visuel et mise en scène, on ressent encore et clairement la patte de Tarantino, comme par exemple l’ambiance et le rythme, c’est ce qui fait la particularité de ses films; à savoir des ralentis esthétisés, un travelling rotatif lent autour d’un groupe de personnages et une caméra à ras-de terre pour suivre leurs pas. La mise en scène est très théâtrale (j’ai même pensé que le film pourrait être tourné en pièce de théâtre). Et les décors ne sont pas en reste, les plans sur les paysages enneigés sont d’une grande beauté. Du blizzard filmé avec un lyrisme éblouissant. La photographie dirigée par Robert Richardson emploie l’impressionnante définition de l’image pour sublimer ses paysages de l’ouest américain et scruter les recoins de l'auberge. Quentin Tarantino se sert judicieusement du décor de la mercerie, placé au cœur de l’intrigue, pour accentuer la défiance ambiante ; et la variété des costumes, élément indissociable de chacun des personnages. Tout dans ce lieu repose justement sur les échanges entre eux et leur caractère entièrement dénué de moralité. Chaque interaction, chaque trahison, chaque messe basse, mettent à jour la manière dont la violence et physique semblent être le seul moyen de communication de ces personnages et le terreau unique de la construction de l’Amérique et de son tissu social. Pourtant, même s’ils peuvent être odieux et détestable (ce qui fait leur charme), on se prend pourtant à s’intéresser à ce qui adviendra d’eux. À commencer par Jennifer Jason Leigh qui joue le rôle de Daisy Domergue, soit « La Prisonnière ». La caméra scrute son visage expressif. Elle explose en livrant une incroyable performance, alliant insolence, folie et furie. L’actrice tire avec habileté et patience son épingle du jeu face à un casting masculin des plus virils. Avec elle nous avons un Samuel L. Jackson charismatique, mythomane et imprévisible; un Kurt Russell excellant dans son interprétation d’un chasseur de têtes bourru aux valeurs discutables; et un Walton Goggins (« Le shérif ») immensément drôle, qui prouve que le metteur en scène se soucie de faire briller des acteurs injustement méconnus. Bien que livrant des performances honorables, Michael Madsen, Bruce Dern et Demian Bichir reçoivent un traitement un peu plus secondaire ; reste Tim Roth, appréciable, son incarnation d’un bourreau anglais demeure finalement assez en retrait pour ne pas perturber la fluidité de l’œuvre. Grâce à cette panoplie de personnage, le film fait preuve d’un humour désopilant. Concernant la musique, la bande-son créée par Ennio Morricone est excellente du début à la fin. J’aimerais avant de conclure parler d’une petite anecdote : une voix off vient prendre le contrôle de la narration pour réexpliquer les enjeux. La voix en question est toutefois reconnaissable : celle de Quentin Tarantino. En piratant vocalement, sans prévenir et pour un court instant son huitième film, le cinéaste dépasse le cadre du caméo rigolo.
Pour conclure, Tarantino trouve un nouveau souffle et une puissance plus affirmée dans le principe du huis clos et la simplicité du mécanisme théâtral. Le cinéaste, en sondant l’âme torturée de l’Amérique comme jamais il ne l’avait fait auparavant dans un western hivernal dantesque, signe son film le plus fascinant et le plus personnel. 4,5/5