Le Mauritanien Sissako montre l'islam politique (c'est-à-dire "l'islamisme") à l'oeuvre (entre ridicule et terreur) dans une société où l'animisme, encore très présent, savait jusqu'à il y a peu tempérer le sunnisme, la société malienne. Situer l'action de cette fiction très éclairante à Tombouctou (ou "Timbuktu", en tamasheq, la langue locale, berbère, des Touareg) permet de présenter la situation de la manière la plus complète possible. La "perle du désert", la "ville aux 333 saints", a été en effet mise à sac iconoclaste par les barbares salafistes pendant le 2e semestre 2012, après l'installation, les armes à la main, de la charia. Le cinéaste sait montrer, par petites touches, toute l'étendue du fanatisme
(flagellations et lapidations publiques, interdiction de jouer, de faire de la musique, mariages forcés, "gommage" vestimentaire des femmes de l'espace public..),
mais aussi la tartuferie des nouveaux maîtres arabes (
on n'a pas le droit de jouer au football et le moindre ballon détenu par des enfants appelle une sanction exemplaire, mais les moudjahidines discutent Coupe du monde ; on n'a pas le droit de fumer, ou de chanter, ou à aucun art, mais Abdlekrim, un des chefs, fume en cachette et se livre à une singulière chorégraphie chez l'excentrique locale, Zabou, qui promène un coq et est non-voilée... protégée de la "police islamique" par sa démence)
, et encore le volet "communication"
(un probable "binational" franco-malien, ancien rappeur, enregistre - dans la douleur - une vidéo de propagande à l'attention de futurs embrigadés, nés comme lui en Occident ; on sait préserver la santé d'un otage européen - source de profit..)
. Cette partie qu'on pourrait qualifier de "documentariste", s'efforçant à la distance et à la nuance, est doublée d'une partie franchement fictionnelle (mais inspirée par des faits réels), en mode touchant et universel (sur le triste sort de la famille de Kidane, le Targui,
après le meurtre de "GPS", par Amadou, le pêcheur bambara
). Le tout lié par des prises de vue très esthétiques de la superbe nature africaine. C'est fait avec métier, et habileté scénaristique... Le gros bémol est l'interprétation, souvent très approximative.