Pour les amateurs de navets, ‘The room’ est le Saint-graal, la perle rare, le point de singularité ultime et indépassable. C’est un ratage d’une telle ampleur qu’il a instantanément gagné ses galons de chef d’oeuvre inversé qui, 20 ans après sa sortie, est toujours projeté à destination d’un public qui lui accorde les honneurs théâtraux dus aux oeuvres-cultes, sur le modèle du Rocky Horror picture show : reprise des tirades du film en choeur, lancer de couverts en hommage aux mystérieuses photos de ces objets qui parsèment les décors et hilarité potache et collective bien éloignée du destin que son auteur, Tommy Wiseau, homme-mystère aux origines et à l’âge indéterminé, qui disposait de fonds apparemment inépuisables pour mener à bien son fumeux projet, avait imaginé pour lui. C’est à l’histoire de ce tournage désastreux, raconté par Greg Sestero, meilleur ami de Wiseau et l’un des rôles principaux et mis en scène par James Franco, que s’intéresse ‘The disaster artist’. Dès lors, tout ce qu’il y a de drôle au sein de ce film méta est à mettre au crédit de l’oeuvre originale : que vous appreniez son existence à travers cette mise en abîme ou vous souveniez simplement des délices déviants que vous procura sa découverte initiale, il est impossible de garder son sérieux quand on prend la mesure du gouffre existant entre ce qu’on perçoit des ambitions de ce mélodrame sentimental que son auteur voyait comme une confession intime et émouvante et une puissante métaphore de la Vie, à la façon de Terrence Malick (ou plutôt de Bernard-Henri Levy dans ‘Le jour et la nuit’), et la réalité du résultat final, avec ses dialogues suintant d’amateurisme, son romantisme ridicule et artificiel, ses incohérences, sa mise en scène inepte et l’incapacité des acteurs, de tous les acteurs sans exception, ne serait-ce qu’à approcher un niveau minimal de crédibilité dans une seule scène. Ce n’est pas la première fois que le cinéma américain analyse le parcours de ses représentants les plus consternants...mais à l’époque, Tim Burton était parvenu à faire de Ed Wood une figure attachante, en dressant le portrait d’un passionné, sincèrement amoureux du cinéma, fasciné par les monstres et la différence, mais incapable de tenir une caméra dans le bon sens : à peu de choses près, le marginal que Burton serait devenu s’il s’était révélé incapable de donner corps et de faire valider ses visions par le regard critique et public. Le rapport entre James Franco, acteur apprécié et réalisateur prolifique mais relativement boudé par la critique, et Wiseau est moins évident. On peut comprendre qu’il y ait une véritable intérêt pour le phénomène en tant que tel, pour ce naufrage absolu, que les acteurs n’avaient pas vu venir (au contraire de l’équipe technique) : ‘The disaster artist’ serait alors simplement à aborder comme le récit d’une de ces anomalies effarantes qui surgissent parfois au coeur du système bien rodé de la production cinématographique américaine...mais cette fascination s’étend aussi à Wiseau, dont Franco prend un soin tout particulier à mimer la dégaine de vampire gothique, la diction de mec bourré et l’anglais approximatif : un homme par ailleurs peu sympathique, dont la soif dévorante de cinéma et de célébrité se traduit par un comportement tyrannique et pétri de certitudes erronées sur le plateau, mais dont le comportement est si erratique et imprévisible qu’on ne parvient jamais à déterminer si l’homme était un opportuniste incompétent qui s’est fait déborder par ses ambitions, ou un véritable abruti, peut-être même mentalement dérangé. Ajouter à cela les moyens financiers importants dont disposait Wiseau, la coiffure bizarre, la vanité excessive et cette intense facilité à se contredire lui-même sans gêne apparente, et vous obtiendrez un portrait d’une étonnante familiarité avec celui d’un autre “artisan du désastre”, actuellement en poste à la Maison Blanche !