"Quelques minutes après minuit" : en voilà un titre accrocheur ! Enigmatique à souhait, il attire immanquablement notre attention, et la curiosité est telle que notre regard s’attarde sur le synopsis. Ce dernier est complété par une bande annonce qui finit de donner envie d’aller voir ce film en salle obscure, une envie qui s’en trouvera décuplée si vous avez des enfants. En réalité, la bande annonce ne laisse rien paraître de la trame du film, tout du moins elle n’a pas grand chose en rapport avec le synopsis, excepté le côté fantastique. Seulement la voix rocailleuse (pour la version doublée en français) et néanmoins délicieusement suave de l’arbre millénaire donne une ambiance envoûtante, et nous fait penser plus à un conte qu’autre chose. Le tout est relativement trompeur car on pense voir ce jeune garçon s’échapper dans des aventures fantastiques enchanteresses. Eh bien non. A ma grande surprise, c’est beaucoup plus terre à terre qu’il n’y parait. Alors qu’en est-il vraiment ? Evidemment, on ne peut pas vraiment rester insensible devant ce jeune garçon à l’esprit tourmenté. Pensez-donc : issu de parents divorcés, il vit avec sa mère qui est malade, et bien que la maladie ne soit jamais citée nommément (sans doute par une espèce de pudeur infantile), on en devinera aisément la nature ; à cela ont été rajoutées des relations houleuses entre lui et sa grand-mère, et des brimades subies à l’école. De quoi avoir des nuits agitées, au cours desquelles les mêmes rêves reviennent inlassablement à la même heure. "Quelques minutes après minuit" est plus un conte onirique qu’autre chose, porté par une partition superbe de Fernando Velázquez qui accompagne efficacement le film à chaque instant, et par des silences absolus (non, ce ne sont pas des soucis de bande son). J’ignore si l’œuvre du réalisateur espagnol Juan Antonio Bayona respecte à la lettre le roman éponyme de Patrick Ness, mais ce film trouve sa singularité dans la leçon de vie qui va être dispensée auprès de Conor
par la narration de trois histoires, chacune ayant un rapport avec chacun des problèmes du jeune garçon, des histoires mises en image par des aquarelles surprenantes car inattendues
. Le scénario est original, empreint de tendresse et de poésie, et son propos est d’une grande profondeur. Si ça ne tenait qu’à moi, je donnerai une note de 4,5/5. Seulement voilà : je reprocherai cependant un manque de clarté dans le récit, bien que ce film soit réalisé à hauteur d’enfant, au plus près de sa souffrance et de la colère qui sommeille en lui. Je m’explique : mes filles de 15 et 17 ans m’ayant accompagné n’ont pas fait le lien
entre les histoires racontées et les soucis de Conor (tout comme le jeune garçon qui lui non plus n’a pas fait le lien jusqu’à ce que le monstre lui explicite clairement les rapports)
, et de ce fait, elles ont décroché et sont ressorties de la salle relativement déçues. Mais c’est une façon aussi de pousser les personnes à réfléchir par elles-mêmes (en l’occurrence Conor), de les placer face à leurs craintes les plus profondes, et à en tirer les conclusions qui s’imposent (acceptation, rébellion). Pour un public adulte, "Quelques minutes après minuit" sera un film accompli, ce dont je suis moins sûr pour les plus jeunes. En tout état de cause, il est difficile de ne pas verser quelques petites larmes. Conor est poussé dans ses retranchements, et j’ai même craint à un moment que ça ne tombe trop dans le pathos. C’est le seul effet de longueur que j’y ai trouvé. Mais cette pente dangereuse qu’est le sentimentalisme à outrance nous amène vers la scène la plus forte émotionnellement, amenée par un Lewis MacDougall (Conor), décidément très convaincant
, lorsqu’il rejette l’injustice sur l’arbre
. Ce jeune acteur est impressionnant de maturité, tant il parvient à donner une densité de tous les instants à son personnage. On peut également applaudir Felicity Jones pour son implication dans son rôle de mère malade, car elle a accepté de transformer son corps afin de rendre crédible l’évolution de sa maladie. Bien que moins présente, Sigourney Weaver rend une copie propre et solide en grand-mère superbe d’austérité, et pour le coup antipathique. Et puis il y a Liam Neeson, qui a donné vie au monstre via la motion capture. Il en résulte une apparence physique humanisée (un peu trop selon moi car j’aurai préféré que le monstre garde plus son aspect arborescent originel) qui permet d’amener une scène qui fait sourire quand il s’assoit sur le toit d’une maison. Les effets spéciaux sont d’excellente facture, et nous en aurons un aperçu dès la scène pré-générique. Au final, la profondeur donnée par le propos de "Quelques minutes avant minuit" réussit à toucher le cœur et l’esprit du spectateur, faisant passer les 108 minutes relativement vite et, cerise sur le gâteau, offre une réflexion sur les choses essentielles. Une œuvre pas si innocente que ça, en fin de compte…