Il y a au moins un mérite au Tournoi : jamais personne n'avait fait un film dans un style pareil sur les échecs, et personne n'en refera jamais.
Ceci dit, il y a de bonnes raisons de ne pas faire un film sur les échecs de cette façon. Comme le fait qu'une réalisation clinquante mettant en scène des personnages capricieux et impulsifs est totalement en porte à faux avec une activité hyper cérébrale pratiquée par des introvertis.
Là, c'est comme si on avait un film sur des sportifs d'une équipe ou des musiciens dans un groupe de rock, et qu'on avait plaqué ça sur le monde des échecs, sans tenir compte de l'esprit qui y règne. Les parties sont le seul aspect reconstitué relativement fidèlement (mais je ne crois pas une seconde qu'un tournoi soit retransmis en Eurovision et commenté comme un match de foot !), probablement grâce à l'apport des consultants qui assurent que le tempo du tournoi est assez réaliste.
Je pourrais faire l'inventaire de ce qui ne va pas dans le film et la liste serait longue. Mais il y a deux points que j'aimerais souligner.
D'abord, le discours féministe du film, avec la discrimination entre joueurs et joueuses mentionnée brièvement mais lourdement par le personnage de Lou. Ça aurait pu être un thème à creuser, sauf que le casting du film a retenu dans le rôle des joueuses des actrices qui ont toutes un physique de mannequin (et qui sont d'ailleurs pour la plupart mannequins en vrai) et qui passent plus de temps en petite tenue dans les couloirs ou dans la piscine qu'à jouer aux échecs... On ne voit jamais d'ailleurs deux personnages féminins discuter ensemble (sauf pour savoir quel garçon elles vont embrasser). On a l'impression d'être dans des scènes de dortoir dans American Pie. Quant à l'histoire d'échange de "faveurs" entre entraîneur et joueuse, elle est transposée d'un fait divers dans le milieu du tennis et on voit mal pourquoi une jeune femme déjà adulte y consentirait pour sa carrière, vu que l'entraîneur en question est tout sauf une flèche.
Ensuite, justement, la relation entre Cal, le jeune champion de France, et Victor, son entraîneur, ancien vice-champion du monde. Aucun des deux acteurs n'est crédible dans son rôle. Et, surtout, les rôles sont écrits de façon hyper-simpliste. D'habitude, même pour des scénarios prenant place dans des milieux moins intellos que les échecs, l'entraîneur est d'habitude un personnage calculateur et manipulateur, qui a recours à l'intimidation, aux insultes et aux menaces pour contraindre le héros à s'exposer et à s'affirmer. Ici, Victor donne l'impression d'être un minable qui agit sur des coups de tête (
mon protégé n'est pas d'accord avec moi et se comporte à mes yeux en bébé ? Je le plaque au milieu d'un tournoi pour entraîner à la place son meilleur pote, et il apprend ma trahison par Internet, ce qui est encore plus puéril que ce dont je l'accuse. Et ça n'est même pas pour qu'il ait un sursaut et qu'il se transcende, c'est juste parce que je suis un alcoolo qui veut se taper sa copine
). Et Cal est lui-même soumis aux événements, sans que ni l'un ni l'autre n'aient vraiment un coup d'avance dans une stratégie. Ce qui est évidemment le contresens absolu quand on traite d'un sport cérébral qui consiste à anticiper les mouvements de l'adversaire et à le faire tomber dans un piège.
On est au fond dans un film où le spectateur a en permanence deux longueurs d'avance sur des gens censés être des pointures, et pas seulement aux échecs. Et, ça, c'est un vrai crime...