Ce n’est pas ce film qui me reconnectera tout à fait au cinéma de Jacques Audiard, mais on s’en rapproche… Car « Dheepan » est une œuvre forte, assez insolente et carrée. Qualités qui faisaient de « De battre mon cœur s’est arrêté » un chef d’œuvre dont le niveau n’a jamais atteint depuis par le réalisateur. Cela s’explique par le manque d’unité du scénario, dont une rupture de ton et d’esprit vient gripper la belle mécanique.
Intelligemment décomposé en trois parties, la fuite/peur, le refuge/apaisement et la reconquête du territoire/violence, le film affiche une féroce lucidité où personne n’échappe à la griffe de l’auteur qui épingle au passage un système (trafic de réfugiés), un état de guerre (la cité décrite avec force de réalisme comme rarement vue au cinéma) et l’humain, quel qu’il soit, prêt à tout pour sa survie ou défendre un statut.
« Dheepan » est aussi un film sur la peur, ou plutôt les peurs. Celle de ces peuples contraints (quelque soient les raisons) à la fuite, la peur de l’autre (en chaque homme il y a un ennemi), celle de l’inconnu ou encore la peur de perdre le pouvoir, et donc la face (ah ce regard de Vincent Rottiers sur la fin !!!)
Jacques Audiard, avec le savoir faire qu’on lui connaît, excelle . Il n’est jamais aussi bon que dans les démonstrations de crise. Sa mise en scène éthérée, à laquelle il ajoute quelques effets de style, maitrise totalement ces moments de tensions. Nous sommes loin de l’esbroufe de « Un prophète » et sa déification malsaine d’une petite frappe. Il est ici beaucoup plus direct, et nettement moins complaisant.
De même dans les scènes plus intimistes, cette même force pousse ses acteurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, et l’histoire d’amour en filigrane nous touche par ses multiples phases et revirements. Quid de la nunucherie « De rouille et d’os », « Dheepan » c’est la vraie vie !
Tout serait parfait dans le meilleur des films si à un moment (heureusement plus sur la fin) la confusion des esprits ne provoquait pas la confusion des genres dans le récit, reléguant « Dheepan » de film social perspicace à une espèce de sous-marque d’un film de Besson. Toute ce qui faisait mouche jusque là est minoré, jusqu’à la mise en scène dont la maniérisme devient soulant. Quant à l’épilogue, c’est le royaume des bisounours !
C’est dommage, car après avoir vécu autant de troubles et de fortes agitations, on se rebiffe et l’émotion reste en plan. Il n’empêche qu’Audiard est un cinéaste sincère, talentueux et sensitif, trop sans doute…