"Ma loute" est bien ce qu'on en dit : une oeuvre comique ET burlesque, avec un zest de polar. Mais c'est aussi la quintessence du cinéma de Bruno Dumont, une réflexion sur la partition riche/pauvre, sur l'universalité et le mystère de l'amour, sur le cinéma d'aujourd'hui ( et d'hier), sur le regard, sur la lumière, sur la folie, sur la vie, sur la mort, sur la terre, sur... Bon, vous l'aurez compris on trouve tout chez Dumont et surtout dans son dernier film, mille feuilles gourmands et splendide, intrigant et poétique, violent et intello, simple et drôle. Il suffit de se laisser porter par ces images inspirées aussi bien par la peinture de Courbet, de Magritte ( et d'autres) que par la lumière des plages du Nord ( ah pardon, Hauts de France dorénavant ! ) et par la démesure d'un scénario qui ne s'interdit rien pour mieux atteindre l'universel. Le mélange de tronches du Nord et de stars fonctionne admirablement bien. L'ambiguïté ressentie dans " Le petit quinquin " quant à l'utilisation d'amateurs au physique atypique est ainsi gommée. Vedettes ou non, tout le monde est filmé avec le même regard, n'occultant aucun défaut ou s'en servant pour les sublimer. Le choc des cultures, des castes a lieu. Tous deux assez dégénérés ( consanguins pour les bourgeois/stars, cannibales pour les pauvres/amateurs), leur représentation va jusqu'au grotesque. Les non professionnels déploient une fraîcheur et un naturel ahurissants, les pros se défoncent dans un numéro affolant (mention pour Juliette Binoche qui lâche tout et nous emporte dans un sommet délirant rarement atteint par une comédienne de cette envergure). Et le film avance, parfois un peu lentement, mais allant crescendo dans cette folie bien plus organisée qu'il n'y paraît. Rien n'a été laissé au hasard. En plus de l'image hyper travaillée, le son prend une part importante dans la réussite de l'ensemble. De l'emploi très circonscrit de la musique aux bruitages des personnages ( oui Luchini se déplace tout le temps avec des bruits de vêtements trop amidonnés qui craquent et l'inspecteur Machin grince à qui mieux mieux ), tout concourt à nous étonner, nous faire rire, voire nous émouvoir ou nous faire frémir. Et dans toute cette débauche folle furieuse, les métaphores sont nombreuses pour qui veut les saisir mais pas indispensables pour celui qui veut seulement se laisser aller à un moment ludique et merveilleux.
Et puis, il y a Billie. Billie, c'est sans doute la figure centrale du film, celle qui essaie d'établir un pont entre les deux mondes. C'est la fille ou le garçon (on ne saura jamais) consanguin(e) des bourgeois qui tombe amoureuse de ma loute, le fils des prolos du coin. Leur passion symbolise l'attirance et la violence de ces deux univers opposés, contraires. Pour moi métaphore du cinéma de Mr Dumont, Billie, par son côté double, symbolise ce balancement entre tragique et comique, cette interrogation ( entre autre) sur le beau et le laid que le réalisateur nous propose depuis longtemps et qui nous trouble tant. Pour incarner cette figure singulière, le réalisateur révèle à l'écran Raph, véritable déflagration cinématographique, une apparition comme il en arrive peu dans une année. Aussi beau en fille que belle en garçon, son regard bleu et magnétique, sa voix grave et sensuelle, son physique de rêve quelque soit son genre, il, elle, offre une interprétation parfaite qui donne à penser que nous le, la, reverrons très vite. ( Oui, même sur le net, Raph garde son ambiguïté).
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