Ceux qui ont vu en Rage le prolongement de Frissons avaient raison : les deux œuvres se complètent, traitent des même thèmes à différents nivaux. Frissons abordait la sexualité en tant que besoin viscéral dans un milieu en huis clos où l'individu se retrouve sans aide et doit assurer seul sa résistance, dans Rage le vecteur du mal se propage rapidement à grande échelle et l'on observe les réactions collectives, l'organisation de la société en train de lutter. Bien que l'on assiste à la naissance du mal source, cela constitue un long prologue à Rage, filmée magnifiquement comme un road movie, au sein de paysages sauvages et de lieux quasi oniriques (un établissement de chirurgie esthétique perdu en pleine nature). Le démarrage est encore plus réussi que la présentation de l'immeuble dans Frissons : en quelques plans les protagonistes prennent de l'importance, et ils sont déjà au cœur même de notre attention au bout de quelques minutes. La photographie impressionne encore plus par son découpage minutieux et sa froideur lumineuse qui partage des points commun avec le travail qui sera réalisé plus tard sur le cultissime Silence des Agneaux. L'héroïne est incarnée par un star de cinéma X, choix atypique mais diablement malin de la part de Cronemberg, en lien direct avec Frissons, les autres comédiens assurent un jeu convaincant et ne tombent pas dans le cabotinage propre aux séries B. Comme Cronemberg le disait dans une interview sur Frissons, qu'il avait conscience de faire des séries B d'un genre mineur souvent snobé par Hollywood, mais qu'il les faisaient consciencieusement, avec sérieux. Il est vrai que la plupart des réalisateurs affirment s'être éclaté avec leurs acteurs lors du tournage de tels films. Cette approche de Cronemberg se voit dans Rage. Le film possède moins d'humour glaçant que Frissons et plus de tristesse. La musique mélancolique qui l'accompagne offre des thèmes qui pourraient sortir tout droit de l'antre de Carpenter. La mise en scène a encore gagné en puissance, la caméra cadrant à merveille les grands espaces extérieurs et se faufilant vicieusement dans les intérieurs étroits...Rage m'a plus effrayé que Frissons, avec un suspense prenant, mais moins choqué...Normal, il induit des images déjà présentes dans l'imagerie de notre génération : avant Zombie de Romero, avant 28 jours/semaines plus tard, avant Je suis une légende et tout ces films, Cronemberg parle de contamination, de rage, de moyen de défenses radicaux, peint des tableaux infernaux de villes assiégées par la maladies. Et ce avec un budget peu conséquent et un immense talent. Du grand cinéma horrifico-gore.