Il est incontestable que dans son domaine à lui, Ken Loach, qui sort ici se sa retraite annoncée il y a tout juste deux ans, est un monstre sacré. Le cinéaste britannique le plus socialement engagé, le pourfendeur des injustices bureaucratiques, le dénonciateur des affres morales et sociétales, revient en fanfare sur le devant de la scène en s’emparent au nez et à la barbe d’autrui de la dernière Palme d’Or cannoise en date avec son Moi, Daniel Blake. Que cette palme soit légitime ou pas, ou pourrait en effet se le demander tant le film se veut en marge de toute considérations créatrices, innovantes ou purement techniques, ne change rien au succès mérité de ce brûlot militant, de ce petit morceau de vie retranscrite en image par un individu convaincu que le grand écran est le support parfait pour que gronde la révolte de ceux que l’on écoute jamais. Soit, pour parler clairement, si le dernier film de Ken Loach ne pourrait résolument pas s’inscrire dans la tradition d’un cinéma traditionnel, un septième art qui vend du rêve, qui nous fait découvrir l’inconnu, qui se veut inventif, il est, dans son strict domaine, une sorte de pépite.
Le Daniel Blake dont on parle, dont parle Loach du moins, est un charpentier expérimenté mis au rencard à la suite d’une attaque cardiaque. Le corps médical, son généraliste et son cardiologue, s’accorde à dire que Daniel ne doit plus exercer. Mais il ne s’agit pas ici de l’avis d’une bureaucratie crasse qui ne lui accorde pas sa rente d’invalidité et qui forcera le brave homme à rechercher un nouvel emploi. Le serpent se mord donc la queue et la victime est toute désignée. L’administration broie littéralement le malheureux, les contraintes technologiques l’empêche de voir clair, le système multiplie les bâtons dans ses roues. Désœuvré, bientôt privé d’un revenu lui permettant de vivre dignement, Daniel Blake dégringole. Et pourquoi? Ken Loach, en attaquent frontalement la bureaucratie de sa nation, en visant frontalement le cynisme mortifiant des fonctionnaires, y apporte une réponse, la seule possible. Le monde est donc ainsi fait. Mais Daniel, dans sa chute, son combat, prend sous son aile une mère célibataire et ses deux enfants, eux aussi dans le besoin. Si Daniel est la victime du système, il entend pourtant bien être la solution, ou du moins le protecteur, de quelqu’un.
Le gouvernement et son conglomérat d’agences pour l’emploi face au citoyen malchanceux. Un duel que le cinéaste s’approprie, logiquement, pour en faire un véritable cri du cœur. Non, le Royaume-Uni de Ken Loach n’est pas un grand pays. Il s’en donne simplement l’air. Mais la véritable prouesse de Loack, cela est sans doute, également, l’œuvre de son comédien principal, c’est de nous faire rire, un rire jaune, de cette absurdité si commune à chacun d’entre nous. Confronté sans cesse à l’informatique, qu’il ne maîtrise absolument pas, tristement mis à mal par des fonctionnaires taciturnes, perpétuellement confronté au paradoxe de sa situation, pris de pitié pour une petite famille en décrépitude, les péripéties de Daniel Blake, chez Loach, ont pourtant quelque chose de burlesque, de comique par situation. Ceci permet donc au film de ne jamais basculer dans le pathos, de ne jamais se morfondre mais de toujours rebondir.
Bref, notre vieil ami Ken Loach a décidément bien fait de sortir momentanément de sa retraite. On imagine assez aisément qu’un tel personnage, si passionné par la dénonciation d’un système à la dérive, ne peut raccrocher définitivement ses gants. Un thème, un sujet l’interpelle et revoici le britannique, plus acide que jamais. On ose espérer, malgré son âge, avec tout mon respect, que le cinéaste grisonnant reviendra nous conter les malheurs de sa société, notre société, contemporaine, une fois encore. 16/20